Si le plan permet de corriger plusieurs dysfonctionnements, il ne résout pas, selon les promoteurs, le problème du foncier à prix abordable 60% de la demande de logements porte sur le segment du social et 63% de la demande en logements sociaux concentrés dans cinq régions : Casablanca, Rabat, l'Oriental, Souss-Massa-Draࢠet Marrakech 30% des crédits vont à l'immobilier, les banques plus vigilantes par crainte d'un risque systémique. C'est sans doute l'un des dîners-débat qui aura réuni le plus de monde, autour d'une seule table ronde, au cours des dernières années. Jeudi 21 janvier, le Royal Mansour de Casablanca réunissait Toufiq Hejira, ministre de l'habitat, Youssef Iben Mansour, président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), Alami Nafekh Lazraq, patron du groupe Alliances et Ahmed Rahhou, PDG du Crédit immobilier et hôtelier (CIH), à l'invitation de La Vie éco. Promoteurs, notaires, architectes, fabricants de matériaux de construction, banquiers…, ce sont exactement 363 personnes qui ont fait le déplacement, intéressées par le thème du jour : «Immobilier, un nouveau souffle pour le secteur ?» Naturellement, le tout nouveau plan de relance du logement social a mobilisé le débat. Et c'est le ministre Hejira qui a ouvert le bal par une présentation complète du plan de relance du logement social tel qu'il a été approuvé en décembre dernier dans le cadre de la Loi de finances 2010. Mais avant de parler de la relance de ce segment, le ministre a commencé par expliquer les dysfonctionnements qui avaient stoppé net la production du logement social. «Dès le premier semestre 2009, nous avions commencé à constater les premiers symptômes de la désaffection, tels que la baisse de 30% de la production du logement social, l'absence totale de l'offre, le désintéressement du secteur privé qui s'est orienté vers d'autres segments» , souligne M.Hejira. Le ministre met également en avant les «écarts» constatés dans le prix de ces logements qui n'ont cessé d'augmenter pour devenir quasi inaccessibles, notamment pour la population cible. La spéculation y est naturellement pour quelque chose, mais les coûts de revient réels aussi : en moins de 15 ans, le coût du foncier a augmenté de 94% et même ceux du ciment et de l'acier, de 50%. Résultat : avec le manque d'incitation fiscales, le secteur n'était plus attractif. Le manque global est estimé à un million de logements Or, si l'offre a baissé, la demande en logements au Maroc, elle, n'a pas cessé de s'accroître pour atteindre les 125 000 unités par année, dont 60% pour le logement social (70 000 nouveaux ménages sont à la recherche d'un logement social). «Durant ces dix dernières années, le déficit global en logements a atteint 609 000 unités (NDLR, le déficit global est d'environ 1 million de logements). En d'autres termes, nous sommes obligés de produire 131 000 logements par an dont 70 000 pour les nouveaux ménages et 61 000 unités pour résorber un dixième du déficit déjà existant», analyse M. Hejira. Ventilée par région, 63% de cette demande se concentre sur cinq régions, à savoir Casablanca, Rabat, l'Oriental, Souss-Massa-Draâ et Marrakech. Un plan sur dix ans, des avantages fiscaux et un ciblage verrouillé Une fois les difficultés diagnostiquées, le ministre de l'habitat s'est appliqué à présenter le dispositif de relance du logement social qui devrait, en toute logique, corriger les travers existants. Il faut d'abord savoir que le nouveau dispositif s'étale sur une décennie puisque les nouvelles mesures du logement social couvrent la période 2010-2020. «L'objectif est de donner aux promoteurs une visibilité sur 10 ans, ce qui devrait leur permettre de bien étudier leur investissement et de s'engager sans craindre un changement du dispositif», commente M. Hejirra. Par ailleurs, et pour corriger la distorsion existante entre coût de production et nécessité de maintenir un prix bas, les acquéreurs devraient se voir appliquer un prix sans TVA, ce qui ramènerait la valeur maximale du logement à acquérir à 250 000 DH au lieu des 290 000 DH environ que l'acquéreur devrait payer. L'Etat se chargerait alors de verser la différence au promoteur. Ensuite, pour éviter la spéculation et les achats multiples faits par une seule personne, l'acquéreur doit prouver qu'il s'agit d'une habitation principale et non secondaire. «Il s'agit du filtre qui conditionne désormais l'achat. Pour bénéficier du logement social et de l'exonération de la TVA, l'acheteur du bien immobilier devra s'engager à occuper le logement à titre d'habitation principale, pendant 4 ans au moins», explique le ministre. Cette condition sera garantie par une hypothèque sur le logement, consentie au profit de l'Etat. Dans le nouveau dispositif, le logement social est désormais présenté comme un appartement dont la superficie varie entre 50 et 100 m2. Cette superficie variable permet la réalisation de plusieurs produits selon l'offre et la demande qui changent d'un quartier ou d'une ville à l'autre. Quant au prix, il est variable avec un maximum de 250 000 DH hors TVA. Selon M.Hejira, «cette mesure a l'avantage de prendre en considération la variation importante du prix du foncier et le coût de construction à travers le territoire». Les promoteurs ne sont pas en reste puisque le nouveau plan de relance permet à ceux qui produisent un seuil minimum de 500 logements sociaux d'être exonérés de l'IS/IR, taxe sur le ciment et taxes locales dans le cadre des conventions qui seront signées avec l'Etat durant une période de 5 ans. La réduction du seuil de production de 2500 (dans l'ancien système) logements à 500 «vise à intégrer dans cette nouvelle dynamique les petits promoteurs immobiliers, et assurer une meilleure répartition des programmes de logements sociaux sur l'ensemble du territoire», tient à préciser M.Hejira. Du foncier public conditionné à l'engagement dans le programme des logements à 140 000 DH Tout cela est-il suffisant pour la relance du secteur ? Si le plan paraît cohérent et de nature à corriger les dysfonctionnements, la question du foncier reste posée. MM Iben Mansour et Alami Lazraq ont lourdement insisté sur la question. Quelle disponibilité ? Réponse du ministre : «Il y a tout d'abord un stock de foncier public mobilisé, celui des 3 850 ha cédés par la Direction des domaines à Al Omrane». Or, pour en bénéficier, les promoteurs doivent également produire des logements économiques à 140 000 DH, et cela dans le cadre de programmes de logements mixtes, comprenant à la fois social, économique et haut standing, ce qui permettrait de faire de la péréquation. Les promoteurs sont-ils disposés à intégrer cette démarche ? «Quand bien même ils le voudraient, encore faudrait-il que l'emplacement de ce foncier corresponde aux régions/villes où la demande est la plus forte», fait remarquer, à juste titre, le président de la FNPI. Ces remarques auront fait réagir le ministre de l'habitat qui estime qu'en échange d'un foncier public à bas prix (600 DH/m2) les promoteurs immobiliers pourraient faire un geste et intégrer dans leurs calculs une partie des logements à 140 000 DH sur lesquels ils ne sont d'ailleurs pas perdants. «C'est un deal win/win», clame-t-il avant d'ajouter que «de toutes les manières, il y a également le foncier privé pour ceux qui ne seraient pas intéressés». Mais, là encore, la partie n'est pas jouée d'avance ! «Le retard pris dans l'approbation des plans d'aménagement de plusieurs villes comme Casablanca nous empêche de trouver du foncier pour réaliser des logements. De plus, il existe plusieurs statuts juridiques du foncier au Maroc qu'il faudra unifier», argumente Youssef Iben Mansour. Selon lui, le succès du plan de relance dépend non seulement de la possibilité de mobiliser du foncier privé mais surtout de mobiliser davantage de foncier public et spécialement dédié au logement social. Pour M. Alami Lazraq, PDG d'Alliances Développement Immobilier, même en trouvant ce foncier privé, la question du coût de revient du logement devient problématique. «Selon les chiffres présentés par le ministre, 50 % de la demande en logement social se concentre sur l'axe Kénitra-Rabat-Casablanca-El Jadida». Or, ajoute M. Lazraq, le prix du foncier tourne aujourd'hui autour de 1 500 DH le m2 dans cet axe, ce qui ramène l'impact du foncier à 100 000 DH par logement. Les 150 000 DH qui restent doivent servir à payer les études préliminaires, la construction, les frais financiers et à commercialiser le produit. «Ce qui veut dire que si la problématique du foncier n'est pas réglée, nous ne pourrons tout simplement pas produire des logements sociaux dans cet axe qui accapare la moitié de la demande» , renchérit M.Lazrak. Le noir ? Question de mentalités M. Hejira, lui, reste convaincu qu'une offre supplémentaire en foncier permettrait d'en faire baisser le prix au mètre carré et appelle à la patience. D'ailleurs, ajoute-t-il, «nous avons annoncé il y a deux ans l'ouverture de 50 000 ha à l'urbanisation à travers le territoire national, certes des retards existent dans la mise en œuvre des plans d'aménagement mais c'est aujourd'hui une question de mois». A noter que le ministre a annoncé avoir entamé des tournées en vue de sensibiliser les autorités locales à négocier avec les détenteurs de terrains privés désaffectés en vue de céder leurs biens aux promoteurs. Autre sujet soulevé et qui a d'ailleurs fait réagir des notaires parmi l'assistance : la pratique du noir. Si le nouveau plan du logement social, en rendant la transaction obligatoire devant le notaire, ambitionne de freiner quelque peu le fléau, le ministre reconnaît que le noir relève d'une problématique culturelle loin d'être cantonnée au seul secteur de l'immobilier et il estime qu'en dehors de l'évolution des mentalités, c'est surtout une offre abondante qui est à même de permettre au marché de s'auto-réguler. Enfin, sur la question du financement, les promoteurs se sont inquiétés de la propension du secteur bancaire à être plus restrictif concernant l'octroi des crédits, notamment en matière de conditions et de taux. Ahmed Rahhou, PDG du CIH, reconnaît que le secteur a été plus vigilant, mais cela est normal, juge-t-il. «Quand on a un secteur qui représente 30% de l'encours des crédits, cela peut présenter un risque pour le banquier. Il est donc légitime, pour sauvegarder le système financier, de faire attention et de suivre de près les entreprises», ajoute le PDG du CIH. Et si les banques avouent avoir durci les conditions d'octroi de crédits, elles l'expliquent par les problèmes rencontrés par les promoteurs dans la commercialisation de leurs produits. M. Rahhou explique : «Nous avons constaté un allongement dans la durée de vente de certains programmes immobiliers qui prennent un ou deux ans de plus qu'auparavant. Notre rôle n'est pas de pousser au crime et si un promoteur connaît des problèmes pour commercialiser un programme, nous ne l'encouragerons pas à en ouvrir un autre». D'ailleurs, la mévente dont souffrent certains segments du secteur n'est pas restée sans conséquence puisque les impayés ont connu une légère hausse en 2009. Rien d'inquiétant pour M.Rahhou qui rappelle qu'en 2009 il y a eu une baisse d'environ 30% de la production des logements. «Ce qui peut expliquer le tassement de la croissance des crédits aussi bien aux particuliers qu'à la promotion immobilière», conclut-il.