Il tend vers des contenus scientifiques et pédagogiques de plus en plus soutenus. L'édition nationale, un contrepoint aux livres étrangers. Le mécénat reste malheureusement le seul soutien pour éditer. Ils ne sont que deux éditeurs au Maroc exclusivement spécialisés dans l'édition du livre jeunesse : Yanbow Al kitab et Yomad. L'un est à Casablanca et l'autre à Rabat. Le hasard a voulu que ce soit deux femmes qui ont pris ce risque. Car l'édition jeunesse demeure très onéreuse et la marge bénéficiaire est réduite. Les éditions Yomad ont été créées en 1998 par Nadia Essalmi. «L'un des objectifs principaux de Yomad est de transcrire la littérature orale qui représente une très grande richesse culturelle. De très grands écrivains ont prêté leur plume à la maison tels que Mohammed Dib, Driss Chraïbi, Abdelhak Serhane, Fouad Laroui, Abellatif Laâbi… Mazini a aussi signé chez Yomad deux contes : Le Règne de Poussin Ier et La Révolte du 30 février. Les deux derniers sont de Zidrou : Dagobert fait tout à l'envers et La Fiancée de Dagobert», annonce l'éditrice. Yanbow Al kitab est par contre de création plus récente. En 1999, Amina Hachimi Alaoui décide de créer une collection pour la jeunesse au sein des éditions La Croisée des chemins. Suite au succès de cette première expérience, elle rachète en 2006, le fonds jeunesse de La Croisée des chemins et crée sa propre maison d'édition qui prendra le nom de Yanbow Al kitab. «Notre objectif est de revaloriser le patrimoine ancien dans une perspective d'adaptation aux réalités modernes, dans une approche nouvelle pour insuffler à l'enfant le désir d'exprimer, de créer et de découvrir sa personnalité», précise-t-on à la maison d'édition. L'histoire de ces deux femmes se rejoint dans la difficulté du métier. L'édition jeunesse ne fonctionne pas dans le même état d'esprit que l'édition adulte. D'abord dans son aspect financier. «Depuis que j'ai ouvert ma maison d'édition, je n'ai rien encaissé, ne serait-ce que 1000 DH», confie Amina Alaoui. Au Maroc, il n'y a pas un livre pour enfant qui ne soit édité sans l'aide de mécènes. Amer constat que déplore tout autant les éditeurs que les illustrateurs qui ont autant de mal à maintenir la tête hors de l'eau. En Europe, le coefficient de gain (rapport entre le prix de vente et le coût d'édition) dans le domaine de l'édition jeunesse se situe entre 5 et 7 contre 2,5, dans le meilleur des cas, au Maroc. Pourtant, il faut produire, dessiner, écrire… continuer à offrir le rêve mais aussi la réalité aux enfants. Pas de livres sans mécènes Quand on fait le métier d'éditeur jeunesse, il faut aussi savoir faire le deuil des grosses ventes. «ça a pris 9 ans, avant qu'on arrive à écouler 2000 exemplaires d'un conte marocain», avoue un illustrateur de la place. Pour l'éditrice de Yanbow Al Kitab, pas le peine de se poser trop de questions, les causes sont bien claires. «Même si je fais un livre à 5 DH, dit-elle, l'enfant marocain ne pourra pas l'acheter. Nous n'avons pas encore de budget livre, ça demeure un luxe dans beaucoup de foyers. Un ouvrier se bat pour acheter le pain pas pour acheter un livre à ses enfants». Que faire dans ce cas ? «J'ai créé une polémique autour de cela. J'ai lancé l'idée : le droit de lire pour tous. J'ai sensibilisé les clients de ma librairie en accrochant une pancarte disant : "Ils aiment la lecture, ils n'ont pas les moyens d'acheter un livre, pouvez-vous leur en offrir un ?". Et ça a marché ! Un livre acheté et 40% d'abattement sur un livre à offrir». Cette opération lancée en 2007 ne s'est jamais interrompue et commence à apporter quelques fruits, les meilleurs fruits qui soient : de nouveaux lecteurs. 5 000 enfants en ont bénéficié dernièrement à Tata. Mais avant que n'arrivent ces livres chez les enfants, allons voir ce qui se passe dans les cuisines. à Yanbow Al Kitab, Amina Alaoui arbore fièrement son nouveau livre sonore. Un beau livre imprimé en Italie et vendu à 70 DH seulement (contre 250 DH pour une édition étrangère de la même qualité). «Ce livre a reçu le soutien du ministère de la culture qui a couvert 50% des frais d'impression. Les services culturels de l'ambassade de France ont fait un préachat de 2 000 livres pour SOS village d'enfants, pareil pour la BMCI (2 000 exemplaires) et Ciments du Maroc s'est engagée sur 1000 autres livres…». Ainsi fonctionne l'industrie du livre jeunesse en s'appuyant sur la solidarité. Mais le mécénat ne peut régler à lui seul toute la problématique. «Je travaille aussi avec l'association Zakoura, l'association Amis des écoles, je sollicite l'aide de tous les acteurs culturels», explique Mme Alaoui. Mais combien de temps encore ces maisons d'édition vont-elles tenir en fonctionnant ainsi sans aucune rentabilité ? Personne ne semble s'inquiéter de leur sort. Lire pour apprendre ou apprendre à lire ? Le contenu de l'édition jeunesse a beaucoup évolué ces dernières années. En effet, elle n'a plus pour vocation, comme on pourrait le croire naïvement, à offrir aux lecteurs une petite part d'imaginaire, mais bel et bien à se substituer à l'éducation, à délivrer des messages, leçons de morale et conseils pratiques. Mais le souci esthétique demeure bien présent. Les livres ont pour première vocation de séduire. Qui n'a pas rêvé étant petit d'avoir un de ces beaux livres qui s'ouvrent comme des boîtes magiques pour plonger dans un monde de rêve conçu juste pour soi. Chacun de nous garde de son enfance, un conte, un héros. Chacun a dessiné dans sa tête son personnage préféré, lui a donné un relief, une vie. De ceux qui ont gardé ces émotions de l'enfance et maintenu cette sensibilité en éveil, on trouve Alexis Logié, illustrateur de livres pour enfants. «A l'âge de 7 ans, je savais déjà que j'allais faire ce métier». Comment faire pour illustrer un livre ? Dessiner un personnage, lui donner vie, habiller l'histoire d'images, accompagner les mots par le trait, sublimer le récit par l'illustration ? Il n'y pas de recette toute faite ou de méthode pré-établie. Il y a une infinité de façons de faire. «Je dessine d'abord avec les yeux, on ne sait pas dessiner si on ne sait pas regarder. Les images que je dessine sont faites pour accompagner un texte pas pour flatter mon ego. Je travaille autour du texte, je l'accompagne sans être dans la répétition. Pour dessiner le feu, j'ai pris un papier jaune et je l'ai brûlé. Parfois, je suis séduit par un paysage…». Le livre est un voyage au pays de l'imaginaire mais, pour celui qui le conçoit, cela est synonyme souvent de galère financière. Seule la passion du métier permet de tenir le coup et pour arrondir les fins de mois difficiles. Et dans ce cas, chacun s'y prend à sa façon. Chez les studios Logié, c'est le monde de la publicité qui permet de maintenir la pérennité de la boîte. Malgré la difficulté du métier et quoi qu'on dise, ce monde exerce une attraction magique. Lorsqu'on est artiste, difficile d'échapper à sa passion. Ils sont quelques obstinés à travailler dans ce secteur. A inventer, à créer et, surtout, à s'adapter au marché et à se poser tout le temps ces mêmes questions : Quels livres proposer ? Pour quels lecteurs ? Quelle médiation mettre en place pour aider les jeunes à se construire une opinion ? En quelle langue ? Quel titre choisir pour attirer le jeune lecteur ? Quelle couverture pour attirer l'œil ? C'est là qu'entre en scène le marketing, qui a fait irruption dans le domaine depuis peu au Maroc. Depuis quelques années, on commence à soigner davantage l'image de l'édition jeunesse nationale. On voit apparaître des livres cartonnés, aux normes internationales, des éditions sonores. On a appris à jouer sur les formes, les couleurs. Dans le souci d'allier qualité éditoriale et choix esthétique, on propose des livres accordéons, des livrets où texte et images sont en parfaite symbiose. Choix du papier, reliure…tout concourt à en faire un très bel objet. Chaque livre est une œuvre d'art. «Les publications françaises de beaux livres pour enfants se vendaient beaucoup plus que l'édition nationale mais, depuis que j'ai soigné l'objet livre, je vends davantage les éditions marocaines», avoue Mme Alaoui. Alexis Logié a, quant à lui, lancé l'idée d'un livre qui s'ouvre à la verticale, ce qui permet d'y insérer deux langues différentes, le français et l'arabe. «Cela a pris des années avant que l'éditeur n'accepte cette idée», se souvient-il. «On me disait que ça ne se vendrait pas. Et finalement c'est l'une des meilleures ventes de Marsam édition», se réjouit l'artiste qui, à travers chaque livre, a vécu une nouvelle histoire, a essayé une nouvelle technique : «Chaque livre, chaque histoire m'inspire une technique particulière. J'aime bien utiliser le collage, par exemple, des fois, je déchire à la main et d'autres fois c'est le collage virtuel qui m'inspire». Les inspirations sont donc diverses mais le but est le même créer des livres pour grandir.