pourquoi nos hommes politiques n'écrivent-ils pas de livres, ni ne rédigent de mémoires lorsqu'ils quittent les affaires ou la politique en général ? Il faut préciser d'emblée, et c'est peut-être là leur excuse, que les dirigeants des partis par exemple ne quittent jamais la politique de leur vivant. S'il est une tradition bien française et certainement louable chez les hommes politiques de France c'est celle qui consiste à publier des livres pour se donner une légitimité. On a bien dit publier et non écrire, car tous les ouvrages en la matière ne jaillissent pas toujours directement de la plume de ceux qui les signent. La «négritude littéraire», confessée ou tue, participe aussi de cette entreprise éditoriale. Mais il arrive assez souvent que des hommes politiques s'essaient directement à cet exercice avec plus ou moins de bonheur sinon de fortune dans le sens commercial du mot. On écrit pour être lu et par le plus grand nombre si possible. D'où ce qu'on appelle les coups éditoriaux et tout le marketing qui les accompagne. Historiquement, la publication d'un livre par des hommes politiques a connu des moments glorieux. Certaines personnalités ont excellé dans l'exercice et donné des pages lumineuses d'une haute facture à la fois politique et littéraire. On peut citer, sans remonter aux siècles passés, aux Mémoires du général De Gaulle ou au Coup d'Etat permanent de François Mitterrand. Et puis il y a eu, hors de la politique, une anthologie de la poésie française de Georges Pompidou, un fin lettré condisciple de Senghor à Normal Sup'. Giscard s'est lui aussi laissé tenté par la narcissique d'essais, de mémoires et même d'un roman d'amour. Aujourd'hui, c'est devenu le cogito en vogue : je publie donc j'existe. Résultat : on ne connait pas une personnalité politique qui a plus ou moins pignon sur rue qui ne se soit pas sentie obligée de publier un livre. Aidé souvent par un «nègre assermenté» qui tient la plume ou par un journaliste en mal de piges qui tend le magnétophone, l'homme ou la femme politique se doivent de passer par le livre avant d'accéder à la télé. Car tout cela doit, comme on dit maintenant, faire un «buzz» et essaimer à travers les médias. Ce n'est plus le bouche à oreille et le petit article élogieux dans la presse qui donnent la mesure et lancent une campagne, un retour sur la scène, la fin d'une traversée du désert ou un règlement de comptes. Le procédé est, par ailleurs, assez périlleux car la cote de popularité pourrait se mesurer au nombre d'exemplaires écoulés. Mais pour cela, les éditeurs font ce qu'il faut pour s'y coller. Cependant, certains auteurs politiques cherchent moins le succès éditorial que le prétexte pour marquer leur retour et d'avoir donc une «actualité» qui justifierait leur tournée des plateaux de télé et radio. Aux dernières nouvelles, l'ancien premier ministre français, Alain Juppé, a écoulé en deux mois près de 53 000 exemplaires de son dernier livre assez autobiographique, Je ne mangerai plus de cerises en hiver, écrit sans le recours à un «nègre» tient-il à préciser. D'autres livres d'hommes politiques de gauche, de droite et du centre feront leur apparition dans les librairies dans les prochains jours ou semaines. Leurs auteurs feront la tournée des plateaux, certains se feront crier dessus par des saltimbanques et autres chroniqueurs entre une chanteuse sans voix et un rappeur bougon. C'est la loi du genre et comme dit le proverbe de chez nous : «le singe qui danse ne cache pas son visage». Alors à propos de chez nous, restons-y pour répondre à cette question à mille balles : pourquoi nos hommes politiques n'écrivent-ils pas de livres même en se faisant tenir la main par des «nègres», ni ne rédigent de mémoires lorsqu'ils quittent les affaires ou la politique en général ? Il faut préciser d'emblée, et c'est peut-être là leur excuse, que les dirigeants des partis par exemple ne quittent jamais la politique de leur vivant. Ils n'ont donc pas le temps de rédiger leurs quoi que ce soit et «mémoires d'outre-tombe», c'est déjà écrit, n'est-ce pas ? Quant aux autres, certains d'entre eux se contentent d'alimenter une certaine presse de fausses anecdotes et de souvenirs revisités du temps de jadis, les uns avec une nostalgie non dissimulée et d'autres avec les ressentiments des gens aigris et des cocus de l'histoire marocaine contemporaine. Il reste tel ou tel ancien conseiller ou proche du sérail qui radote à longueur de colonnes et dégoise sur des ondes arabiques à propos de son ancien maître nourricier, s'invente des audaces et crache parfois dans la pastilla. Les autres n'ont sans doute rien à dire et ont toujours entretenu de mauvaises relations avec les livres et les choses de l'écrit. «Il faut beaucoup d'histoire pour faire un peu de littérature», disait Gide. Mais il faut croire qu'ici nous sommes plutôt face à une histoire abondante et en jachère et des mémoires pleines de trous.