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Crise financière internationale : origines, évolutions et conséquences
Publié dans La Vie éco le 17 - 10 - 2008

Les prémices de la crise remontent au début des années 2000
Politique agressive du crédit aux Etats-Unis et contournement des règles prudentielles par les banques ont aggravé la crise de l'immobilier pour la rendre générale
La titrisation a propagé la crise à travers le monde.
Le Maroc ne sera pas épargné, des points de croissance en moins dès 2009.
«Le monde va changer après cette crise financière internationale». C'est ce qu'affirment nombre d'économistes, au Maroc comme à l'international, sans toutefois donner de contours clairs à ce que va être la future scène économique et financière mondiale. Plus d'un an après son déclenchement aux Etats-Unis, en été 2007, la crise fait des ravages.
Les Bourses mondiales sont toujours très volatiles, de grandes banques déposent le bilan les unes après les autres et les petits épargnants craignent pour leurs avoirs. Pour l'instant, donc, l'heure n'est pas encore à la reflexion sur les causes profondes de ce désastre financier, le plus important de l'histoire récente, ni sur les coupables. Les gouvernements et les banques centrales des pays développés n'ont actuellement qu'un but : sauver ce qui peut encore l'être à coup de milliards de dollars et d'euros pour restaurer la confiance.
En somme, des crédits pour tenter de réparer les dégâts causés par le crédit, le fameux «subprime». Ce terme n'a jamais été autant prononcé sur la planète car la crise touche tous les pays, y compris le Maroc. La formule est simple : un capitalisme acharné et démesuré aux Etats-Unis, sans régulation des autorités ni surveillance des agences de notation, conjugué à des produits financiers sophistiqués ayant permis de financer la croissance américaine par l'épargne des autres pays tout en leur transférant une bonne partie des risques. Résultat : tout le monde paie pour la cupidité dont certains ont fait preuve, malheureusement, même les pays dont les systèmes financiers étaient verrouillés.
La crise sera-t-elle résolue par ces ajustements techniques (baisse des taux, injections de fonds…) ? Personne n'en sait rien. La preuve en est que les marchés financiers restent très volatiles même après l'annonce des plans de sauvetage, mobilisant pourtant des centaines de milliards de dollars. Pour avoir une idée précise sur l'ampleur des réformes qu'il faudra entreprendre pour sortir de cette crise, et éviter d'en connaître une autre, il faut comprendre son origine, ses causes, son déroulement et ses conséquences. Mais, avant d'expliquer une histoire qui a démarré au début des années 2000, essayons de situer le Maroc dans cette évolution. La crise financière internationale qui, jusque-là, avait épargné le Maroc, devrait avoir des répercussions conjoncturelles sur son économie.
Ayant touché l'Europe (taux de croissance quasi nul en 2008), principal partenaire de notre pays (plus de 65% du total des échanges), elle devrait entraîner, selon les analystes de la place, le ralentissement des échanges Maroc-Europe et, par conséquent, celui de la croissance à moyen et long terme. En effet, «la conjoncture internationale devrait impacter négativement les flux d'investissements étrangers (IDE), dont le montant moyen sur ces dernières années s'élevait à 5 milliards de dollars et qui jouaient un rôle important dans le développement des capacités de production du Maroc», note le département de recherche d'Integra Bourse.
Selon la même logique, les flux financiers en provenance de l'étranger, à travers les activités de tourisme ou les transferts des MRE, devraient connaître une baisse, ce qui se traduirait par une dépréciation de la demande externe sur la production nationale et par une détérioration de l'équilibre de la balance des paiements. De même, la demande nationale serait impactée légèrement par la crise, suite au ralentissement des activités de tourisme et à la hausse du taux d'inflation qui a atteint des niveaux historiquement élevés (4,8% en août dernier), même si cette hausse devrait être modérée par le relèvement du taux directeur de Bank Al-Maghrib de 3,25% à 3,5%.
Ainsi, il faudra s'attendre à un ralentissement économique, notamment sur l'année 2009. Les économistes parlent d'un taux de croissance de 4,5% contre 6% initialement prévu. Cependant, il faut noter que le système financier marocain reste à l'abri des risques qui sont à l'origine de la crise, notamment les crédits subprime, conformément aux propos du gouverneur de la Banque centrale. En effet, les banques marocaines, que ce soit pour les ressources ou pour les emplois, n'ont pas de liens significatifs avec l'étranger et dépendent uniquement des ressources locales. Pour ce qui est de la Bourse de Casablanca, la panique qui règne actuellement sur le marché découle principalement d'un effet psychologique.
Ainsi, l'onde de choc de cette crise est tellement forte qu'elle finira par toucher tous les pays, même ceux dont les systèmes financiers étaient les moins exposés à l'international. Les dégâts dans les zones les plus concernées sont astronomiques et se chiffrent à des centaines de milliards de dollars. Mais, en réalité, si la crise n'a atteint son paroxysme que cette année, il faut savoir que ses origines remontent à sept ans. Tous les financiers se souviennent, en effet, de l'éclatement, en 2001, de la bulle Internet (effondrement du marché financier des valeurs technologiques aux Etats-Unis), aggravé par le choc des attentats terroristes du 11 Septembre. Cette crise a donné un coup d'arrêt brutal à la croissance américaine.
La Federal Reserve, présidée par Alan Greenspan, avait alors brutalement baissé son taux directeur de 6,5% à 1,75% de janvier à décembre 2001, puis à 1% en juin 2003, niveau de taux le plus bas depuis 1958 ! L'intention était de procéder à une forte injection de liquidités pour éviter tout risque de récession en dopant la croissance.
Mais cette politique «accomodante», dans la pratique, a conduit à un relâchement total du crédit et donc, au-delà de l'intention initiale, encouragé la spéculation sur l'immobilier et les actifs à risque. Le coût très bas du crédit hypothécaire qui en a résulté a directement nourri un boom immobilier, à partir de 2003, qui est progressivement devenu spéculatif et a développé, chez tous les acteurs économiques, particuliers comme institutionnels, l'attrait de l'argent facile.
Comme dans la plupart des marchés développés, le système bancaire américain finance le logement sur la base de garanties hypothécaires. Le bien financé hypothéqué peut être revendu pour rembourser la dette au cas où l'emprunteur viendrait à faire défaut. Sauf que les pratiques aux Etats-Unis diffèrent sur un premier critère essentiel : alors que, ailleurs dans le monde, les banques restent attachées à la capacité de remboursement mensuelle des clients, les prêteurs aux Etats-Unis se réfèrent à la valeur du bien financé et à sa valeur future projetée en fonction de la croissance connue des prix de l'immobilier.
La banque peut ainsi prêter 100% (souvent même au-delà) de la valeur du bien puisque son prêt, quel que soit le montant remboursé par l'emprunteur, sera toujours inférieur au produit de la revente du bien en cas de défaillance. Les pratiques américaines du crédit diffèrent sur un second critère important : les prêts hypothécaires sont souvent montés à taux variable, classiquement sur un taux de référence plus une marge. Cette politique commerciale permet d'attirer les emprunteurs, notamment en période de taux bas.
Elles se distinguent enfin sur un dernier facteur, celui de la marge, qui peut varier en fonction de différents paramètres tels que la valeur du bien ou la situation financière de l'emprunteur. Dans de telles conditions, les conséquences d'un retournement de marché peuvent être dramatiques : une remontée des taux, une baisse de la valeur du bien ou une détérioration de la situation économique de l'emprunteur peuvent se traduire par une augmentation significative des mensualités, au pire moment en général. Un crédit «subprime» (littéralement : en dessous de la prime), le meilleur taux accordé pour un prêt hypothécaire, est un crédit accordé à un emprunteur qui présente un risque supérieur à celui d'un emprunteur classique, notamment pour des raisons économiques liées à une plus faible capacité de remboursement. Classiquement, aux Etats-Unis, l'analyse principale est basée sur un scoring établi à partir de l'historique de remboursement de l'emprunteur auquel des critères tels le ratio mensualité/revenu, ou montant du prêt/valeur du bien sont ajoutés.
La très forte expansion du marché de l'immobilier américain, portée par une hausse régulière et forte des prix et le bas niveau des taux, a incité les banques, les organismes prêteurs et toute une série d'intermédiaires, plus ou moins scrupuleux et rémunérés aux volumes générés, à développer des politiques agressives mais aussi à pousser les particuliers à emprunter «sans compter» dans une ambiance euphorique (des crédits à l'équipement et à la consommation étaient même accordés sur la base d'hypothèques en deuxième et troisième rangs).
Des dérives se sont même produites avec des offres de services pour faciliter le montage des dossiers de crédit lorsque les critères n'étaient pas remplis et en dépit d'une mauvaise qualité du risque évidente : chômage, niveau de revenus très bas… Les foyers à faibles revenus qui, traditionnellement, n'avaient pas accès aux crédits hypothécaires, se sont alors vus fortement sollicités. En termes macroéconomiques, l'encours des crédits hypothécaires a doublé de 2000 à 2006 pour atteindre 10 000 milliards de dollars (près de 100 000 milliards de DH), tandis que celui des crédits «subprime» a triplé pour représenter quelque 12% de l'encours total des crédits immobiliers.
La tendance s'est accélérée par la suite puisque les crédits «subprime», plus rémunérateurs, ont respectivement représenté 25% et plus de 30% des crédits immobiliers distribués en 2006 et 2007. Traditionnellement, les banques prêteuses détenaient les créances hypothécaires qu'elles conservaient à l'actif de leur bilan. Conformément aux règles prudentielles imposées par leur autorité de tutelle, elles devaient affecter une partie de leurs fonds propres en couverture.
Mais l'explosion du marché hypothécaire a entraîné des besoins en fonds propres et en ressources qui ont rapidement dépassé les capacités de refinancement des banques. Ces dernières ont alors fait appel à une technique, la titrisation, créée dans les années 80, et qui allait leur permettre d'alléger le poids des crédits dans leur bilan en les faisant reprendre par d'autres acteurs du marché. Le principe est simple : il consiste à regrouper un ensemble d'actifs, en l'occurrence de crédits, de les segmenter ou de les fractionner éventuellement et de les céder sous forme de titres adossés à ces actifs gagés.
Les montages des fonds de titrisation sont alors devenus de plus en plus complexes (fonds spécialisés dans le résidentiel ou l'immobilier professionnel, fonds de fonds…) pour permettre aux investisseurs finaux que sont, dans le monde entier, les fonds de pension, les compagnies d'assurances, les banques ou les acteurs de la gestion collective, et donc, in fine, les particuliers ou les entreprises, de diversifier leurs placements en améliorant la rentabilité de leurs portefeuilles.
Bien entendu, rien n'aurait pu fonctionner sans l'intervention des agences de notation, dont les plus connues sont Moody's, Standard & Poor's et Fitch, qui vont noter la capacité des émetteurs à honorer leurs signatures, dans chacune des tranches. Leur notation était souvent le critère retenu par les différents investisseurs dans la chaîne pour conforter leurs choix. Dès le début 2007, le marché de l'immobilier américain donne les signes annonciateurs de crise : il y a saturation du marché et la correction s'amorce.
La suite des événements ressemblera à la chute en chaîne de dominos. Les prix de l'immobilier s'effondrent, la valeur des hypothèques baisse, les mensualités augmentent, parfois de manière spectaculaire, les foyers les plus modestes ne peuvent plus rembourser leurs emprunts, la valeur des maisons hypothéquées ne couvre plus ce qui reste à rembourser des prêts, les sociétés spécialisées dans le «subprime» mettent alors la clé sous la porte, les banques globales et les banques d'investissement, acteurs centraux dans le processus de titrisation, doivent passer des provisions de plus en plus importantes et de plus en plus visibles, de nombreux fonds qui ont investi dans ces actifs sont affectés, les épargnants dans le monde entier s'interrogent sur la composition des produits financiers qui leur ont été conseillés, les premières demandes de rachat accentuent le mouvement tout en se heurtant à l'absence de la valorisation des fonds et autres supports et vecteurs de portage, le marché interbancaire s'assèche, le crédit se raréfie, la confiance s'effondre, les Bourses chutent, les banques centrales se concertent et interviennent pour assurer la liquidité, le FMI déclare être prêt à intervenir et les signes de récession apparaissent aux Etats-Unis et dans plusieurs autres pays.
Clairement, les pratiques qui ont prévalu aux Etats-Unis devront être remises en cause et l'on peut prévoir que plusieurs générations d'emprunteurs reconsidéreront leur niveau raisonnable d'appel au crédit pour consommer.
Les prêteurs vont devoir revenir à des pratiques plus rigoureuses et plus conformes aux règles prudentielles, y compris en limitant l'utilisation des offres à taux variable et en réévaluant le rôle de certains intermédiaires de commercialisation. Finalement, même si les mesures prises par les gouvernements et les banques centrales sont nécessaires pour remettre les moteurs de l'économie et de la finance en marche (plan Paulson, plan européen d'aide au système financier, fonds monétaire asiatique…), elles ne sont pas suffisantes pour rétablir la confiance et éviter une nouvelle crise dans le futur.
Le libéralisme acharné et la désintermédiation totale ont montré leurs limites dès le début de la crise. Les banques qui avaient, dans un environnement favorable, sorti des actifs à fort risque de leurs bilans, en contournant de facto l'esprit de la réglementation, doivent normalement les assurer avec les risques de liquidités et de fonds propres qui peuvent en résulter. Ces limites sont apparues encore plus dans l'assèchement brutal de la liquidité, qui aurait pu être fatal, n'eût été l'intervention des banques centrales qui ont, de surcroît, réintroduit une forme de valorisation plancher, comme on a pu l'observer dans la foulée de l'opération de sauvetage de la banque américaine Bear Stearns. Le risque crédit constitue l'essence même du métier de banquier.
Il doit connaître son client, lui accorder des facilités adaptées et le suivre en continu. Mais le métier a été perverti par l'octroi de crédits qui ne resteront pas au bilan, pour en faire des produits d'investissement. La rigueur dans la démarche doit s'appliquer à chacun des acteurs de la chaîne, en commençant par les agences de notation et jusqu'aux gestionnaires de fonds ou même aux investisseurs finaux.
Elle implique à tous les niveaux une meilleure information, plus de transparence et la responsabilité permanente de la banque à l'origine du risque. Investir dans un produit financier, quel qu'il soit, exige un véritable travail de recherche et d'analyse. La leçon principale de cette crise est d'avoir montré que le système bancaire, avec l'accord tacite des autorités de tutelle, a détourné les règles prudentielles grâce à des acteurs qui n'étaient pas soumis aux mêmes règles de solvabilité et de liquidité et qui pouvaient même refinancer des prêts longs par des emprunts courts.
Ces acteurs devraient donc être intégrés dans le champ réglementaire. Quant aux agences de notation, leur mode de rémunération par les émetteurs demeure plus que jamais contestable et leur champ d'investigation s'est révélé beaucoup trop étroit, n'intégrant pas tous les risques systémiques et de liquidités, pourtant essentiels.
Mais la capacité de rebond des grandes économies ne doit jamais être sous-estimée. La crise passée, les provisions d'hier feront les plus-values de demain. Les Bourses mondiales subissent les secousses qui vont continuer d'affecter le secteur de la banque et de la finance et qui exigeront des investisseurs des stratégies recentrées sur l'économie réelle, qui continuera, elle, de se développer. La Bourse américaine devrait refléter ce ralentissement de la croissance, tandis que les places européennes devraient bénéficier d'une demande intérieure forte.
Pour l'investisseur, la règle d'or est de pouvoir durer et donc de disposer d'un montant de liquidités significatif afin de pouvoir progressivement revenir sur le marché, à des niveaux attractifs, lorsque les indicateurs repasseront au vert.


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