Contrairement à ce que laisse entendre la version médiatisée, la crise actuelle n'a pas été brutale, malgré la violence des soubresauts. Tout a commencé avec les fameux «Subprimes», c'est-à-dire ces taux d'intérêt volatiles, qui, au départ, sont à la base du boom de l'immobilier aux Etats-Unis. L'abondance de liquidités avait permis aux banques de financer des crédits immobiliers très risqués. Les hypothèques adossées à ces crédits étaient titrisées et revendues à un second marché, qui, lui, n'a que peu de moyens d'évaluer le risque. Les banques ont fait du chiffre, sans être trop regardantes au risque. Dès le premier retournement de la conjoncture, la sinistralité, les défauts de paiement ont explosé. Les taux étant variables, ils ont grimpé mettant les débiteurs dans l'impossibilité de rembourser. Remises sur le marché, les propriétés saisies ont gonflé l'offre alors même que les crédits devenaient rares, l'immobilier s'installait dans la sinistrose. On savait la crise grave, mais les financiers voulaient y voir un problème Américain, soluble à brève échéance. Seulement les faits sont têtus, l'effet domino a joué, malgré l'interventionnisme de l'Administration Américaine. Les marchés passablement nerveux, sont devenus fous après l'annonce de la faillite de Lehman Brothers et ensuite du géant de l'assurance AIG. Lehman and Brothers était la quatrième banque d'investissement américaine, elle existe depuis 158 ans, a survécu à deux guerres mondiales, à la crise de 1929, à la tempête asiatique ou à l'effondrement du « Hedge Fund ». Cette fois elle est parterre. C'est l'une des plus grandes faillites de l'histoire des banques d'investissement. Elle présentait 630 milliards de dollars d'actif lors de son dépôt de bilan. Des actifs qui risquaient d'être fortement dévalorisés. Le problème n'est plus américain. Des banques, des sociétés d'assurances, des fonds de pension, partout dans le monde annoncent leur exposition à Lehman Brothers. Cela va de 60 millions de dollars à 800 milliards pour l'assureur canadien « la financière Manuvie». Dès lors les marchés sont fébriles et posent la question à qui le tour ? Ils n'ont pas attendu longtemps, moins de 72 heures après AIG, le Mont Everest de l'assurance annonce qu'il a besoin de 85 milliards de dollars, dans les 24 heures, pour éviter la faillite. Toutes les bourses du monde plongent. La bourse plombe l'économie réelle, AIG est un pont Idéal pour transférer la crise de la sphère financière à l'ensemble de l'économie. La faillite de Lehman Bothers se soldera par la perte de 25.000 emplois, très qualifiés en général, aux Etats-Unis et en Europe. AIG assure tout, des boeings, aux petits commerces, ou aux ustensiles de la ménagère. Sa faillite enclenchera à elle seule une avalanche de faillites. L'administration Bush, les autorités financières réagissent dans la journée et accordent les 85 milliards, qui évitent la faillite mais n'assurent pas la sortie de crise. Les marchés repartent à la hausse, mais les politiques s'affolent partout dans le Monde (sauf au Maroc !), et les analystes sont dans l'expectative, sans craindre d'annoncer que le pire est à venir. Si les politiques s'affolent c'est qu'ils se rendent compte, selon la formule de Jacques Attali que « le marché financier fout en l'air l'économie réelle ». C'est que les USA ont déjà dégagé 900 milliards de dollars pour contrer la crise en mettant les actifs pourris dans une poubelle financée par l'Etat. Le budget Américain peut se permettre des déficits colossaux depuis la fin de l'étalon-Or et le fameux Nixon-Round qui fait du dollar et surtout des euro-dollars, une monnaie de singe basée sur la puissance US en premier lieu. Mais même les Etats-Unis ont des limites qu'ils ne peuvent dépasser. L'explosion des déficits met à mal l'administration actuelle et surtout celle à venir. Obama élu, n'aurait aucun moyen de réaliser son programme. Que dire des autres ? Ceux dont l'économie est très dépendante des fondamentaux et qui ne peuvent se permettre des déficits colossaux, sans créer de l'inflation, du chômage, une perte de compétitivité et finalement la récession. Or, ils sont obligés eux aussi d'agir pour mettre en place une digue à la déferlante du Marché Financier. Nul ne peut plus dire que la crise ne s'étendra pas. Les banques Européennes chancellent, Carillaud filiale du Crédit Lyonnais annonce 500 suppressions de postes. Axa, l'assureur français est engagé jusqu'au cou dans AIG. Les Allemands et les britanniques reconnaissent aujourd'hui la réalité de la crise. Même les russes, les chinois, les pays du Sud-Est asiatiques, grèvent leurs budgets pour construire la digue. Tout ceci au moment où structurellement le Monde est face à la rareté des matières premières et à la déconnexion entre croissance et chômage, au changement du modèle de consommation qui accentue la faiblesse du pouvoir d'achat. Les nouvelles technologies sont par exemple, devenues des besoins. La socialisation des pertes Le chiffre qui circule le plus concernant les fonds nécessaires pour construire, ce qui n'est pas un plan de relance, mais juste une digue face à la déferlante est de celui de 3000 milliards de dollars. Les Etats devront sortir de leurs budgets ce montant énorme qui fait des dizaines de fois le PIB de l'Afrique, Afrique du Sud comprise. Cela ne pourra se faire que sur le dos des prestations sociales des investissements publics, avec l'augmentation des impôts, les plus iniques s'entend, et le relèvement de l'endettement de l'Etat, donc de l'effet d'éviction, du renchérissement du crédit, fatalement de la baisse des investissements, de l'offre d'emplois et assurément de la récession. Ce tableau est tellement évident que partout les voix s'élèvent y compris aux USA, pour dénoncer ce que Jospin, l'ex-premier ministre français qualifie de «socialisation des pertes et privatisation des profits». Les néo-libéraux sont en train de boire la tasse. Ils sont les premiers à réclamer l'intervention de l'Etat. Un Etat qu'ils voulaient réduit à sa plus petite dimension, simple facilitateur. D'ailleurs cette indécence est lisible chez certains éditorialistes Marocains. La CDG devrait maintenir le marché, avec l'argent du petit peuple pour sauver les spéculateurs. Seulement cela présuppose de revoir le rôle de l'Etat. Un loup parmi les loups, qui a largement profité du système comme Soros, réclame plus de règles prudentielles, plus de contrôle par des organismes indépendants du marché financier. Dans son sillage, tout le monde réclame un gendarme et certains libéraux remettent en cause l'indépendance des banques centrales, celles-ci n'ayant pas décelé les failles, ni prévenu la catastrophe. Qui aurait cru, il y a six mois que Bush interdirait les ventes en position débitrices et compte freiner les abus du deal-débit? Au Maroc c'est cette pratique où des banques y compris celle sauvée de justesse de la faillite il y a 10 ans, sont impliquées, qui a gonflé les cours. Certains vont jusqu'à demander l'interdiction de la titrisation et de tous les produits qui permettent un refinancement à l'infini et une perte de sens de l'évaluation du risque. Soros, lui ne demande que «des règles prudentielles plus strictes et un contrôle non impliqué dans le marché. Certains néolibéraux citent Lénine pour caricaturer ces appels. Il est vrai que Lénine dans son ouvrage « l'impérialisme stade suprême du capitalisme » dénonçait déjà la distanciation entre le capital financier et l'économie réelle. Le rôle de l'Etat est à redéfinir en tout état de cause. La crise actuelle ne pourra pas s'exempter de ce débat. Il est clair aujourd'hui que la surchauffe artificielle des marchés financiers grâce à des mécanismes innovants mais fort spéculatifs ne pourra plus être acceptée dans l'avenir. Pour le moment, partout l'heure est à la réflexion dans l'urgence. «Toute prévision chiffrée est impossible» nous répètent les spécialistes. Mais il y a consensus autour de la probabilité d'une crise globale, profonde qui n'épargnera personne. Les économies chinoise, indienne et russe pourront mieux tenir le choc pour des raisons différentes, ayant trait à l'absence d'acquis sociaux pour les uns, aux énormes excédents des autres, et à la richesse en matières premières de la Russie. L'Europe sait qu'elle doit mettre en place une politique commune, d'où la difficulté des tractations budgétaires. Globalement les économies qui ont le mieux anticipé, payeront le prix le moins cher et seront les mieux placés quand les affaires reprendront. En attendant le débat, le rôle de l'Etat aura pour fond de toile des tensions sociales très fortes et un regain de forme des idéologies anti-capitalistes. Qui avait dit que c'était la fin de l'histoire ? ■ Crise : Qui est responsable ? Les banques sont les seules responsables de la crise financière mondiale, a estimé l'homme le plus riche du monde, l'Américain Warren Buffet, dans un entretien au journal El Pais paru dimanche 25 mai. «Les banques se sont trop exposées, elles ont pris trop de risques. Le problème est évident. C'est de leur faute. Ce n'est pas la peine d'accuser quelqu'un d'autre», a déclaré Warren Buffet. L'homme d'affaires, dont la fortune est estimée à 62 milliards de dollars, ce qui fait de lui l'homme le plus riche du monde, selon le magazine Forbes 2008, a ajouté qu'il était «évident qu'il fallait plus de régulation». Née du problème des prêts hypothécaires à risques aux Etats-Unis («subprime»), la crise s'est propagée à l'ensemble du secteur financier et a contaminé plusieurs secteurs économiques. «Je suis étonné qu'avec tout ce qu'il s'est passé sur les marchés financiers, le chômage n'ait pas plus augmenté dans l'immobilier et dans d'autres secteurs d'activité», a commenté Warren Buffet. «Je ne serais pas surpris d'une hausse du chômage dans les prochains mois», a déclaré «l'oracle d'Omaha», la ville du Nebraska (Etats-Unis) où il vit depuis 1956. Pour l'ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin, l'origine de la crise financière actuelle se trouve dans «l'incroyable fossé qui s'est creusé entre la sphère financière et l'économie réelle». «Il y a eu des crises au cours des 15 dernières années mais elles étaient à la périphérie du système, en Argentine, en Russie, en Asie, elles sont maintenant au coeur du système aux Etats-Unis et par ricochet en Europe», a expliqué Lionel Jospin sur France-Inter. «Il y a de graves dysfonctionnements comme les paradis fiscaux, les fonds spéculatifs, la prudence des institutions financières, la folie de tel ou tel broker» mais «le fondement même de la crise actuelle est l'incroyable fossé qui s'est creusé entre la sphère financière et l'économie réelle», a-t-il assuré. «L'échange de biens et services, chaque année, ne représente qu'un peu plus de 2% de l'ensemble des transactions interbancaires, ça veut dire que la sphère purement capitalistique est énorme par rapport à ce qu'est l'économie réelle», a souligné l'ancien Premier ministre. Source : Agences.