A-t-on tout dit de la crise financière internationale? Non. Du moins, l'accent n'a pas été mis de la même manière sur toutes les causes qui ont entraîné la finance dans le gouffre où elle se trouve aujourd'hui. La semaine dernière, au Forum de Davos, quelques grands chefs d'Etat et de gouvernement se sont réunis pour tenter de redessiner le visage de la finance mondiale. Seulement, pour envisager des solutions, encore faudrait-il être d'accord sur le diagnostic. Entre ceux qui préconisent l'abandon de tous ces produits dérivés accusés d'avoir précipité le monde dans la crise économique actuelle, et ceux qui prônent une meilleure régulation, le débat reste entier. Le cabinet d'avocats français Lefèvre Pelletier & Associés, qui vient de s'implanter à Casablanca en 2008, a réuni pour sa première conférence une brochette d'experts d'horizons divers venus échanger leur expérience afin de livrer une meilleure compréhension de la crise financière internationale. Ainsi pour Catherine Lubochinsky, professeur à l'Université Paris II-Panthéon-Assas et par ailleurs présidente du European Money and Finance Forum, la crise n'est pas due qu'aux subprimes. Ces derniers n'ont été que la goutte d'eau qui a fait débordé le vase, car il y avait déjà dès 2007 des signes d'essoufflement de l'économie réelle. «Ce sont les produits financiers, et entre autres les produits dérivés qui sont à mettre en cause. Car ce ne sont pas les Maserati qui causent les accidents de la route, mais les ânes qui sont au volant», explique-t-elle. Les banques ont d'abord continué à prêter même lorsque leurs clients n'étaient pas forcément solvables, car le bien financé servait de garantie, vu que de toute façon, les prix sur le marché de l'immobilier continuaient à s'envoler. Sans compter que les banques transféraient le risque de défaut aux assureurs, ainsi ce risque n'était pas conservé dans leur bilan (voir shéma). Ensuite, il y a un rôle non négligeable joué par les agences de notations (Standard & Poor's, Moody's,..). Car à l'origine, elles devaient réduire l'asymétrie d'information entre prêteurs et emprunteurs. Seulement, ces agences sont rémunérées par les emprunteurs qu'elles sont censées noter. Du coup, les agences de notations ont expliqué aux emprunteurs, à leurs clients en l'occurrence, comment améliorer leurs notes. Ce qui a permis de donner une image biaisée de la santé financière des emprunteurs. Le droit dépassé par la finance Les banques centrales ont elles aussi alimenté et mis leur grain de sel dans cette crise. Elles ont maintenu des taux d'intérêt faibles, pendant que les taux de rendement des banques variaient entre 15% et 25%, alors même qu'il y avait un excès de liquidité. On empruntait d'un côté pour placer les fonds de l'autre, c'est-à-dire auprès des banques qui assuraient un meilleur rendement. Résultat, les banques prêtaient à tour de bras, le tout à taux variable. Un comportement en lui-même annonciateur de crise. «Quand les banques accordent davantage de crédits à taux variable, elles reportent davantage le risque de défaut sur les clients. Ainsi, elles augmentent davantage le risque de défaut de leur client, justement en cas de hausse des taux d'intérêt. Et c'est cette corrélation que les banques n'ont pas perçu et qu'elles ne perçoivent toujours pas», fait remarquer Catherine Lubochinsky. Les derniers fautifs à mettre en cause dans cette crise sont les régulateurs et les superviseurs. Non pas qu'ils soient animés de mauvaise volonté, mais ils n'ont pas les moyens de rivaliser avec les grands groupes financiers et autres banques privées pour recruter des profils assez pointus et compétents pour exercer les contrôles nécessaires. Et le Maroc dans tout ça ? L'une des causes de cette crise est justement liée au contrôle, à son aspect juridique. Autrement dit, à l'inaptitude du droit à maîtriser la finance. «Le droit a une vision obsolète des métiers financiers, car l'organisation juridique des métiers financiers est cloisonnée du point de vue du contrôle. A cause de ce cloisonnement, par exemple, les hedges funds sont gérés comme des OPCVM sans en respecter les fondamentaux», affirme Alain Gauvin, avocat et associé du cabinet Lefèvre Pelletier & Associés. Il précise en expliquant qu'à chaque fois qu'un risque financier se balade d'un monopole à un autre, et donc d'une autorité de tutelle à une autre, chaque autorité de tutelle n'en a qu'une vision partielle. Car pour Alain Gauvin, il existe un cloisonnement légal des métiers financiers en trois monopoles: celui des banques, celui des assureurs et celui des prestataires de services d'investissement, c'est-à-dire les sociétés de bourse (cf schéma: inaptitude du droit à maîtriser la finance). Autrement, comment une crise très réduite, qui touche un petit secteur de l'économie, peut-elle se diffuser au point de devenir une crise économique internationale? On a souvent accusé la titrisation, qui permet le transfert de risque de défaut de paiement, d'être à l'origine de cette crise. Seulement, cela signifie-t-il pour autant que l'on doive abandonner ce type d'opération, ou tous types de produits dérivés. La réponse et conclusion d'Alain Gauvain est sans équivoque: il faut que le droit puisse assurer une parfaite traçabilité du risque. Ce qui rejoint une des pistes de réformes proposées par Catherine Lubochinsky: assurer une supervision transnationale.«Qu'est-ce qu'on pourra bien dire de plus sur cette fameuse crise? Tout a été dit ou presque. En revanche, certaines questions méritent d'être posées dans notre pays», commence par déclarer Chakib Erquizi, directeur Banque des marchés chez Attijariwafa bank et secrétaire général de l'Inter Arab Cambist Association. Au Maroc, les opérateurs doivent-ils continuer à financer les activités de marché pour justement éviter ce qui arrive sur les marchés financiers aux Etats-Unis et en Europe, car ils ont 15 années d'avance sur nous? Ne devrait-on pas arrêter de développer des produits de couverture, mais plutôt se contenter des marchés spot? «Il y a quelque temps, j'ai effectué un déplacement dans l'un de nos pays voisins du Maghreb et un représentant de la banque centrale de ce pays m'a déclaré la chose suivante : vous au Maroc, vous êtes allés très vite en autorisant le placement de vos devises à l'étranger. Nous ne l'avons pas fait et nous en sommes contents aujourd'hui, vu le contexte de crise financière internationale. C'est vous dire à quel point nous en sommes arrivés aujourd'hui: on remet même en cause le fait de placer les devises de nos banques dans des institutions étrangères, de peur que les crises à venir ne se propagent à nos systèmes financiers», poursuit Chakib Erquizi. Mais M. Elalami, du Trésor, n'est pas de cet avis: «pour nous au Maroc, il n'est pas question de revenir en arrière. La crise financière internationale a été une locomotive pour mieux préparer et percevoir l'avenir. Au contraire, 2009 sera l'année d'accélération des réformes». Reste à savoir si ces réformes seront les bonnes, car pour ce représentant du Trésor, le Maroc n'a pas été impacté par la crise financière internationale…