A la veille de l'an 2014 qui, nous osons l'espérer, sera moins affecté par la crise économique et financière qui a particulièrement marqué ces cinq dernières années, nous tenterons, par le présent dossier, de comprendre, en nous appuyant sur l'exemple de la crise de 2008, comment naît une crise financière à retombées internationales, ses caractéristiques, ses modes de propagation et ses phases. Si la crise de 1929 avait symbolisé l'influence que peuvent avoir les activités boursières sur les économies des Etats à économie libérale, celle qui a éclaté en 2008 a démontré les dangers de la défaillance des systèmes de crédit face à la capacité limitée de remboursement par les ménages à faible revenu. Nous noterons de prime à bord que l'origine de la perturbation, les défaillances de la régulation, les mécanismes de la contagion financière et économique sont différents d'une crise à l'autre. Mais toutes ces crises financières qui jalonnent l'histoire du capitalisme, ont des dimensions communes. Les cycles financiers Toutes les crises financières n'ont pas eu l'ampleur de celle de 2008 ni le même impact sur l'activité économique. En économie, il existe principalement deux conceptions d'une crise, propres à chaque courant de pensée : Pour les Néoclassiques, elles sont dues à des chocs exogènes, qui, selon leur impact sur des «marchés efficients» (c'est à dire des marchés efficaces, autorégulés, où l'information circule parfaitement) nécessitent un réajustement plus ou moins brutal. Pour les Keynésiens, elles sont dues à des chocs endogènes, c'est-à-dire inhérents au système financier, par définition instable. Les comportements des agents économiques y opérant ne sont pas rationnels (comportements mimétiques par exemple) et l'information n'y circule pas parfaitement. Les crises sont récurrentes et présentent des caractéristiques communes: on parle alors de cycle financier. Nombreux sont les économistes qui se sont intéressés aux phénomènes de cycle : John Maynard Keynes, Hyman Minski, John Kenneth Galbraith, Charles Kindleberger ou plus récemment Paul Krugman et Michel Aglietta. Selon ces économistes, Il n'y a pas simplement une répétition des crises, mais une répétition de cycles financiers, dont la crise constitue l'un des moments. Charles Kindleberger (1910-2003), historien économique américain constate l'existence de cycles dans la sphère financière en s'appuyant sur l'étude des grandes crises de l'Histoire. Selon lui, un cycle financier se décompose en cinq phases: l'essor, l'euphorie, le paroxysme et le retournement, le reflux et l'instauration du pessimisme et enfin la déflation de la dette et la restructuration des bilans. Il est possible de rapprocher cette théorie avec le déroulement de la crise financière de 2008. Phase 1: Essor La phase d'essor se caractérise par une croissance économique après un ralentissement ou une récession. Cette phase de croissance peut être générée par une innovation, un changement technologique ou institutionnel ou encore alimentée par un investissement productif. Cette croissance engendre une expansion du crédit (anticipations optimistes de la conjoncture par les agents économiques) qui favorise une hausse du prix des actifs. Cette phase aurait débuté au début des années 1990 aux États-Unis où l'on constatait un essor de l'octroi de crédits et une phase d'innovation et de libéralisation financière qui s'est traduite par une complexification des produits dérivés et de titrisation notamment ceux adossés aux crédits accordés aux ménages américains. Phase 2: Euphorie Cette phase se caractérise par un cercle auto-entretenu entre emballement du crédit et hausse du prix de certains actifs. Les risques sont sous évalués ce qui aggrave la fragilité des structures financières. C'est ce que l'on a observé avant le déclenchement de la crise des subprimes. Les crédits consentis aux ménages américains étaient sur-évalués par rapport à leur capacité de remboursement et donc le risque sous-évalué. Autrement dit, trop de crédits ont été accordés et les prix des titres financiers adossés à ces créances ne reflétaient pas la réalité du marché. Phase 3: Paroxysme et retournement Cette phase est un point de retournement, le passage d'une période d'euphorie à une période de décroissance. Les anticipations des agents économiques se renversent. Après une période de hausse régulière, on assiste à une chute brutale du prix des actifs. Phase 4: Reflux et pessimisme Cette phase correspond ici au début de la crise des subprimes. Les prix du marché immobilier américain baissent brutalement. Phase 5: Déflation de la dette et restructuration du bilan Cette phase est marquée par : - Une déflation de la dette et une restructuration des bilans. - Les investisseurs surendettés doivent se désendetter. Ils peuvent être contraints de vendre leurs actifs pour faire face à leur besoin de liquidité, déclenchant une spirale de baisse auto-entretenue du prix de ces actifs et un assèchement de la liquidité. Cette situation se propage de marché en marché, d'un continent à l'autre. Ce phénomène de contagion contraint les banques à resserrer leur offre de crédit. - La dépense privée se contracte (volonté de désendettement de la part des agents) et pèse sur les revenus et donc sur la croissance qui finalement freine le désendettement. Le désendettement se réalise beaucoup plus lentement que la chute des prix des actifs ce qui entraîne de nombreuses faillites. C'est ce que l'on constate pendant l'été 2008, Fanny Mae et Freddy Mac, les deux plus grandes institutions américaines de financement de crédit immobilier sont au bord de la faillite. Début septembre, le Trésor américain annonce leur mise sous tutelle gouvernementale. Une semaine plus tard, c'est au tour de Lehmann Brothers, la deuxième plus grosse banque d'investissement des États-Unis de se déclarer en faillite le 15 septembre 2008. Cette crise, qu'on pensait propre au système financier, se propage à l'économie. En 2009, les États-Unis et la plupart des États membres de la zone euro entrent en récession. Comment la crise de 2008 a-t-elle commencé ? La crise de 2008 a débuté avec les difficultés rencontrées par les ménages américains à faible revenu pour rembourser les crédits qui leur avaient été consentis pour l'achat de leur logement. Ces crédits étaient destinés à des emprunteurs qui ne présentaient pas les garanties suffisantes pour bénéficier des taux d'intérêt préférentiels (en anglais «prime rate»), mais seulement à des taux moins préférentiels («subprime»). L'endettement des ménages américains a pu s'appuyer sur les taux d'intérêt extrêmement bas pratiqués pendant des années par la Banque centrale des États-Unis (la «FED») à partir de 2001 après la crise boursière sur les valeurs «Internet». En outre, les crédits étaient rechargeables, c'est-à-dire que régulièrement, on prenait en compte la hausse de la valeur du bien, et on autorisait l'emprunteur à se réendetter du montant de la progression de la valeur de son patrimoine. Cela a soutenu la forte croissance des États-Unis. Les crédits «subprime» ont été gagés par une hypothèque sur le logement acheté, l'idée étant que les prix de l'immobilier aux États-Unis ne pouvaient que grimper. Dans ces conditions, une défaillance de l'emprunteur devait être plus que compensée par la vente du bien hypothéqué. Autre caractéristique, ces crédits ont souvent été accordés avec des taux variables. Plus précisément, les charges financières de remboursement étaient au démarrage très allégées pour attirer l'emprunteur. Elles augmentaient au bout de 2 ou 3 ans et le taux d'emprunt était indexé sur le taux directeur de la FED. Ce qui s'est passé est finalement assez facile à comprendre : - La Banque Centrale américaine a progressivement relevé ses taux de 1% en 2004 à plus de 5 % en 2006 pour tenir compte de l'évolution de l'inflation et de la croissance américaine. Les charges financières des emprunts se sont considérablement alourdies. Un nombre croissant de ménages n'a pu faire face. - Les prix de l'immobilier ont fini par se retourner à la baisse dans l'ensemble des États-Unis. Résultat: la valeur des habitations est devenue inférieure à la valeur des crédits qu'elles étaient supposées garantir. L'afflux des défaillances des emprunteurs et des reventes de leurs maisons hypothéquées a accéléré la baisse des prix de l'immobilier. Les pertes se sont donc accumulées également du côté des prêteurs. Des établissements de crédit spécialisés se sont, les premiers, retrouvés en difficulté. A l'été 2007 le taux de non remboursement sur les crédits «subprime» dépassait 15% contre 5% en moyenne à la même époque pour l'ensemble des crédits hypothécaires aux Etats-Unis, chiffre lui-même record depuis 1986. Certes les défauts de paiement ne conduisent pas tous à la faillite de l'emprunteur et à la vente du bien hypothéqué. Mais on estimait, fin août 2007, que près d'1 million d'emprunteurs avaient perdu leur logement. Ce pourrait concerner in fine environ 3 millions de ménages américains. Sur la base d'un taux de défaillance de 15%, l'évaluation initiale du coût financier de la crise des «subprime» était de 160 milliards de dollars. Important certes, mais pas de quoi provoquer une crise financière mondiale. Comment la crise s'est-elle propagée ? Le déclencheur de la crise se situe donc dans un sous-compartiment du marché immobilier américain. Les établissements spécialisés dans le crédit «subprime» ont été directement et logiquement touchés. Mais c'est la mutation opérée depuis une quinzaine d'années avec ce que l'on appelle la titrisation qui permet de comprendre pourquoi et comment la contagion s'est opérée. La titrisation consiste à transformer des crédits distribués par une banque en titres de créances (obligations) qu'un investisseur peut acheter et vendre à tout moment. On dit que ces obligations sont adossées à un portefeuille d'actifs. Les banques émettrices des crédits créent des sociétés intermédiaires dans lesquelles ces crédits constituent les actifs et qui émettent en contrepartie des obligations qui constituent le passif. Les intérêts et les remboursements des crédits servent au paiement des intérêts des obligations émises et à leur remboursement. Ces sociétés sont appelées SPV pour «Special Purpose Vehicule» ou «véhicule spécial», car elles n'ont pas d'autre objet social et sont créées au cas par cas. Quant aux investisseurs, il peut s'agir de ces mêmes banques ou d'autres banques, de fonds de pension, de hedge funds, etc. L'avantage pour la banque est qu'elle n'a pas à porter les crédits. Elle les sort de son bilan. Elle n'a pas à constituer un capital en réserve pour le cas où des difficultés de remboursement se présenteraient (règles prudentielles concernant les fonds propres), et peut plus facilement consentir de nouveaux crédits. Avantage pour les investisseurs : ils peuvent espérer un très bon couplage rendement / risque sur les obligations. Avantage pour l'économie en général : les risques pris à l'origine par la banque sont reportés sur un plus grand nombre d'investisseurs. En cas de choc, celui-ci est en principe mieux absorbé. Cette mutation de la titrisation a ainsi permis le financement de la forte croissance des États-Unis et de l'ensemble du monde après la sortie de la crise boursière des valeurs «internet». Mais pourquoi le système a-t-il grippé et pourquoi le choc, au lieu d'être amorti, a-t-il été amplifié ? - 1ère raison: avec la titrisation la vigilance des banques et des courtiers immobiliers qui ont initié les crédits aux ménages a été moins importante sur la capacité de ces derniers à rembourser correctement leur emprunt. Les banques qui «titrisent» portent moins les crédits. Elles se rémunèrent à la commission, puis revendent le crédit. Elles font de la quantité et peuvent être moins regardantes sur la qualité. Ce qu'on appelle l'aléa moral a joué à plein. L'aléa moral consiste dans le fait qu'une personne ou une entreprise assurée contre un risque peut, de ce fait, se comporter de manière plus risquée que si elle était totalement exposée au risque. Exemple : si le propriétaire d'un vélo qui s'assure contre le vol réduit la taille des anti-vols au prétexte que si son vélo est volé il sera remboursé, il fait jouer l'aléa moral. Dans le cas des banques, il s'agit du fait que, se considérant comme non pénalisées en cas d'imprudences dans leur opérations, elles prennent plus de risques lors de l'octroi de crédits ou de l'exécution d'opérations de marché. Le cadre de la réglementation et de la régulation des activités bancaires et d'assurance s'efforce d'empêcher de tels mécanismes. Mais il peut parfois perdre de son efficacité. Ainsi, la politique monétaire doit veiller à empêcher les crises générales qui pourraient provenir des effets en chaîne de faillites bancaires sur l'ensemble du système et de l'économie. Mais pour les banques une telle garantie de « nationalisation des pertes » peut entraîner un mécanisme d'aléa moral. - 2ème série de raisons : la façon dont la titrisation a été opérée, avec une démultiplication opaque et spéculative du système. Les banques d'affaires qui organisent la titrisation regroupent des «paquets» de crédits qu'elles mettent à l'actif des véhicules. Elles ont constitué des «paquets de crédits» «subprime», mais aussi des paquets mixtes, mélangeant des crédits subprime avec d'autres crédits hypothécaires, ou avec des crédits destinés à d'autres financements (par exemple des opérations LBO des fonds d''investissement). Les risques de défaillance de ces «paquets» étaient supposés être inférieurs à ceux des crédits pris un par un. C'est ce qui permet d'obtenir une très bonne notation de la part des agences de notation sur les obligations émises en contrepartie. Mais cela n'est vrai que si les risques pris sur chaque crédit mis dans le paquet sont indépendants les uns des autres. Or, les risques mis en paquets n'étaient pas indépendants, (on appelle cela «granulaires») mais interdépendants car tous liés au marché immobilier américain. La baisse des prix de l'immobilier américain a entraîné un effondrement de la valeur des actifs des véhicules. La contagion et l'amplification ont alors tenu à la façon dont ont été construites les obligations souscrites par les investisseurs en contrepartie des paquets d'actifs. Celles-ci ont également été découpées en «tranches». Certaines tranches comportaient des rendements plus élevés, mais aussi plus de risques, en ce sens qu'elles étaient les premières à être pénalisées si intervenaient des accidents de paiement sur les actifs. Ces obligations ont été en principe souscrites par des fonds d'investissement à risque (hedge funds). Des tranches intermédiaires venaient ensuite et des tranches plus sécurisées (dites « senior ») n'étaient pénalisées qu'en cas de dévalorisation générale des actifs, ce qui était supposé ne jamais intervenir. Elles étaient souscrites notamment par des investisseurs plus prudents (fonds de pension ..). Mais l'effondrement des actifs a entraîné même ces obligations dans la débâcle à la surprise de leurs souscripteurs puisqu'il n'y a pas eu d'alerte progressive par une détérioration de la notation. Facteur supplémentaire, les investisseurs qui ont acheté les obligations n'ont pas tous acheté en payant comptant, mais en s'endettant à leur tour pour bénéficier de l'effet de levier d'un endettement à bas taux d'intérêt. Ces investisseurs, banques et hedge funds notamment ont opéré en quelque sorte une titrisation au second degré en créant de nouveaux véhicules (appelés cette fois-ci SIV ou «conduits») dont l'actif a été constitué par des obligations des véhicules de premier niveau et dont le passif a été constitué par du papier commercial à court terme (appelés «Asset Backed Commercial Paper» ou ABCP). Il en a été émis plus de 1000 milliards de dollars. La régulation et le contrôle des banques et notamment les règles de constitution d'un capital prudentiel en fonction des crédits distribués visent à protéger les épargnants et l'économie contre les risques liés à la transformation et à prévenir les paniques. Sauf qu'ici, la transformation s'effectuait sur le marché et non dans les banques. Ces véhicules étaient contrôlés par leur créateur sans lui appartenir techniquement. Comme les autres véhicules de titrisation, ils étaient en principe hors bilan. Du coup, les règles communes du contrôle prudentiel bancaire ne leur sont pas appliquées. L'effondrement des obligations a entraîné un mouvement de retrait massif vis-à-vis de ce papier commercial ainsi que l'assèchement brutal de la liquidité bancaire à partir de juillet 2007. Les banques ont mobilisé toutes leurs ressources pour leurs propres financements et ont refusé de prêter même à court et à très court terme aux autres banques. Cet engrenage a touché l'ensemble du système bancaire américain mais aussi européen parce que, dans le contexte de la globalisation financière, les banques européennes avaient également participé à ces montages. Devant le risque de crise bancaire systémique, les banques centrales des États-Unis, d'Europe et du Japon, ont injecté massivement et à plusieurs reprises des liquidités dans le marché des crédits interbancaires. Née aux Etats Unis d'Amérique, la crise financière qui s'est vite transformée en crise économique a vite fait de se propager à travers le monde, l'Europe en particulier où plusieurs pays ont frôlé la faillite. Une situation qui, cinq après, continue à être préoccupante malgré une relance notable. L'économie mondiale avancera à petite vitesse en 2014 Et pour cause, le Fonds Monétaire Internationale a revu ses prévisions à la baisse, et n'exclut pas de nouvelles crises dans son rapport semestriel, où l'Europe ne semble plus être la principale source d'inquiétude. Les déconvenues en provenance des pays émergents, notamment ceux qui dépendent des investisseurs étrangers pour se financer, et les incertitudes budgétaires aux Etats-Unis, sont à l'origine de cette baisse de 0,3 % sur le PIB mondial prévue pour 2014. LE FMI prévoit une croissance à 7,3% en Chine, 2,6% aux USA, 1,2% au Japon et 1% dans la Zone Euro Les défis provoqués par la crise de 2008 sont encore d'actualité, selon l'analyse de cet économiste FMI Olivier Blanchard : "La reprise se poursuit, je pense que c'est un fait, un fait important, mais c'est trop lent. Les économies avancées ne sont pas sortis d'affaire, la dette publique et dans certains cas la dette privée restent très élevés, et la viabilité fiscale n'est pas acquise. Le chômage reste très élevé et il va rester élevé pendant très longtemps." La Directrice Générale du Fonds a tenu la même ligne : des années difficiles sont encore devant nous: "Nous avons eu une crise mondiale et nous allons assister à des transitions mondiales a insisté Christine Lagarde. Nous sommes probablement en train de passer de la Grande Dépression à la «Grande Transition». Toutes ces transitions, ces changements massifs ne seront pas rapides, ne seront pas faciles, et nos pays vont probablement passer le reste de la décennie à s'adapter à la nouvelle réalité". Et pourtant, selon le Crédit Suisse, l'accumulation de richesse à l'échelle planétaire a atteint un nouveau record à la fin du premier semestre 2013, avec une hausse de 68% sur les dix dernières années. En tête de liste des pays les plus riches par adulte, se trouve la Suisse avec 380.000 euros, suivie de l'Australie, la Norvège, et le Luxembourg. En un an, le nombre total des millionnaires dans le monde a augmenté de 2 millions, nous dit le rapport, qui révèle aussi les disparités : Les deux-tiers des adultes de la planète ne possèdent que 3% de la richesse totale; alors que 86% de celle-ci est aux mains des 10 % les plus riches.