Pour Habiba Benjelloun, DG de Digital Nomads Agency, les digital natives ont déjà une longueur d'avance sur les nouvelles tendances et ont plus de facilités à s'adapter aux innovations technologiques. Ils ont soif d'apprendre et d'évoluer avec leur temps. Qu'est-ce qui caractériserait cette population qu'on nomme les digital natives ? Au-delà d'être totalement connectés aux outils numériques, les digital natives ont grandi avec cette ouverture sur le monde et sont donc beaucoup plus tournés vers l'international que les générations précédentes. Dans mon agence, tous mes experts sont des digital natives, ils ont naturellement adopté l'anglais non seulement dans leur communication professionnelle, mais également comme langue principale. Ce n'est pas anodin, leur expertise s'acquiert sur le net et est principalement accessible en anglais. Ils adoptent des comportements de consommation centrés sur le Online. Que ce soit pour l'achat de produits, la recherche d'informations et de recommandations, leur processus décisionnel s'effectue sur Internet. Ils ont déjà une longueur d'avance sur les nouvelles tendances et ont plus de facilités à s'adapter aux innovations technologiques. Que ce soit la révolution de la Métaverse, des NFTs (jeton non fongible) ou de l'intelligence artificielle, les digital natives ont soif d'apprendre et d'évoluer avec leur temps. La communauté est un aspect très important qui leur permet d'échanger et se retrouver en fonction de leurs centres d'intérêts. Le sentiment d'appartenance est très important et permet de donner un sens identitaire. Mais au-delà de leur rapport avec la technologie, les digital natives ont un mindset beaucoup plus entrepreneurial. Les réseaux sociaux leur offrent la possibilité de tester leurs projets, de toucher une large audience et de gagner en indépendance et confiance pour démarrer un business en ligne. Qu'en est-il de leur rapport avec le travail ? Il est différent. Ils recherchent plus d'ouverture et d'autonomie. Le model hiérarchique traditionnel ne les motive pas, d'où un très fort turnover dans les entreprises au management classique. Le Covid ayant exacerbé ce besoin de liberté. Sur beaucoup d'aspects ils se sentent en décalage avec les générations précédentes et le système qui s'offre à eux aujourd'hui au Maroc. En marketing digital, par exemple, beaucoup sont autodidactes et vont préférer offrir leurs services sur des plateformes de freelancing (type Upwork ou Fiverr) et travailler avec des start-up internationales. Ce secteur au Maroc étant encore peu dynamique. Quelles sont leurs attentes ? Ils ont plusieurs attentes. D'un point de vue administratif tout d'abord, le statut auto-entrepreneur leur a permis de s'ouvrir à de nouveaux clients et développer leur activité. Mais cela reste insuffisant. Le plafond de revenus reste encore très bas et les démarches ne sont pas 100% dématérialisées. Les paiements à l'international sont soumis à beaucoup de restrictions, or c'est une cible qui a naturellement besoin de consommer en devises, ne serait-ce que pour avoir accès à des outils de travail digitaux ou pour se former en ligne (les techniques évoluent rapidement et sont accessibles sur des plateformes étrangères). Le niveau de vie peut être très élevé pour la jeune génération qui débute professionnellement et qui ne se voit pas recevoir des avantages et ou des aides au démarrage. Enfin, le management en entreprise est obligé de s'adapter à ce nouveau mindset. Faire confiance et revoir le rapport à la hiérarchie qui peut étouffer leur créativité. Dans un monde en pleine instabilité, cette jeune génération doit continuer à avoir le sentiment de s'épanouir, de produire et d'apporter de la valeur ajoutée. Comment les attirer et surtout les retenir ? Il est évident que nous subissons une vraie fuite des cerveaux au Maroc. Je le vis dans mon entourage professionnel, plusieurs de mes experts ont fait les démarches pour s'installer à l'étranger. Je travaille avec des digital nomads marocains installés au Canada, au Portugal ou en Asie. 49 pays proposent aujourd'hui le digital nomads Visa, un permis de séjour temporaire qui permet aux entrepreneurs qui travaillent à distance dans le domaine digital et Tech de s'y installer. Les Marocains sont des talents qui n'ont aucun mal à se revendre à l'étranger, on le voit avec les développeurs, mais aussi avec les experts en marketing digital. En raison des différentes attentes citées plus haut, les Marocains ne se sentent pas progresser professionnellement et avoir accès à un environnement de travail épanouissant. Que ce soit en entreprise où la transition digitale se fait lentement, ou au niveau des aides administratives et logistiques qui sont trop restrictives, il y a un gap entre la réalité marché et le niveau d'exigence recherché par les digital natives. Or, la fuite de ces cerveaux devient très handicapante si l'on souhaite devenir la nouvelle start-up nation et se mettre aux normes internationales, ne serait-ce qu'en comparaison avec d'autres pays africains, en termes d'innovation et de progrès technologique. Que peuvent faire les entreprises dans ces cas précis ? Elles ont un rôle à jouer pour retenir ces talents : mettre en place une infrastructure digitale qui permet de tracker factuellement les résultats, donner accès à des formations de qualité qui permettent de progresser et accepter de changer son modèle managérial pour donner plus de flexibilité dans le travail. Dans mon agence, plusieurs de mes collaborateurs sont installés en dehors de Casablanca (Agadir, Marrakech, Nador, Salé ou Rabat), ce qui leur permet de rester proches de leurs familles ou dans un cadre de vie qui leur correspond davantage. Nous utilisons des outils de tracking et de collaboration à distance qui ne desservent pas leurs performances. Au contraire, ce mode de fonctionnement augmente leur motivation et leur engagement.