La digitalisation a été au coeur du débat lancé par «Les Inspirations ECO» dans le cadre de son nouveau rendez-vous mensuel le cercle des ECO. Ce fut ainsi l'occasion de revenir notamment sur les avancées ainsi de les freins pour son développement au Maroc. La question a soulevé de nombreuses interrogations. En voici le récap'. Les intervenants étaient Youssef Zerrari, responsable SU Stratégie, Marketing, Qualité et Innovation à la société Générale Maroc, Hicham Chiguer, président de l'Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (Ausim) et Mehdi Lahlou, Chief Technology et information officer INWI lors de ce débat animé par Hicham Bennani, DGD du groupe Horizon press. L'infrastructure digitale Comme n'importe quelle mutation, la transformation digitale nécessite de gros investissements, notamment pour mettre à niveau les infrastructures nécessaires à la mise en place du Cloud. «Il faut upgrader tout le système d'information pour qu'il soit un cloud-native qui réponde aux nouveaux besoins et soit rapide et efficace. Cette transformation digitale va demander des investissements et de l'accompagnement pour gérer un certain nombre de projets, en plus des ressources humaines qui vont les piloter». «C'est illusoire de dire que la transformation digitale ne coûte rien. C'est même plutôt l'inverse ! Pourtant, si on investit dedans, c'est in fine une manière de réduire nos coûts, donc c'est bénéfique pour la société», explique Mehdi Lahlou, Chief Technology et information officer INWI. 5G dans les starting blocks Jusqu'en 2022, les autorités n'ont pas encore réglementé les licences d'exploitation commerciale de la 5G au Maroc. Tous les acteurs du marché attendent le début du processus d'attribution qui sera défini et organisé par l'Autorité nationale de régulation des télécommunications (ANRT). «Normalement, la 5G est un processus qui a des règles et qui dépend des autorisations du régulateur. Mais ce qui est sûr, c'est qu'au moment où il sera lancé au Maroc, nous serons prêts pour l'adopter. Aujourd'hui, on est dans les starting blocks», précise Lahlou. Il faut rappeler que l'ANRT a déjà ajusté sa propre estimation pour la date du lancement d'un réseau 5G. En 2020, l'autorité elle-même parlait d'un démarrage prévu pour fin 2023. Mutualisation des infrastructures Les questions de mutualisation et de partage d'infrastructures sont d'actualité chez les opérateurs et les régulateurs dans tous les pays, y compris au Maroc, même si des freins persistent. Pour Hicham Chiguer, président de l'Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (Ausim), «Il faut assurer une couverture de 100% du territoire national. Pour cela, le Maroc doit réfléchir à une vraie mutualisation des infrastructures des opérateurs télécoms». En effet, la plupart des pays encouragent le levier du partage des infrastructures, eu égard à son impact sur le déploiement du réseau et à l'amélioration de la qualité de service. Le partage entre opérateurs mobiles correspond à la mise en commun d'une partie des équipements constituant leurs réseaux mobiles. Les régulateurs encouragent ces derniers à mutualiser les infrastructures afin, d'une part, de réduire les coûts et d'autre part, de faciliter le déploiement des services télécoms. «L'enjeu est d'assurer la couverture de l'ensemble du territoire national. D'ailleurs, inwi est fortement impliqué dans le programme PNHD qui vise la couverture des zones rurales avec le haut débit. Ce programme, réalisé avec le régulateur, est censé arriver à échéance fin 2023», explique Lahlou. Digitalisation des banques À l'ère du digital, l'ensemble des agents économiques n'ont eu d'autres choix que de s'adapter aux Nouvelles technologies de l'information et de la communication en intégrant une stratégie de digitalisation dans leur culture. La transformation digitale est considérée comme étant un des leviers de l'évolution du secteur bancaire. Ainsi, celui-ci s'est vu accorder une importance considérable, notamment en période de crise. «Il y a une vrai maturité des acteurs bancaires, avec des avancées notables enregistrées dans la transformation digitale de l'ensemble des banques de la place», précise Youssef Zerrari, responsable SU Stratégie, Marketing, Qualité et Innovation à la société Générale Maroc. L'importance de la digitalisation a été démontrée par le recours des entreprises, institutions financières et administrations publiques à cette alternative, afin de se rapprocher du client, faciliter son accès à l'information sans qu'il soit dans l'obligation de se déplacer, et répondre à ses besoins dans les meilleurs délais. Changement de mindset Face au manque de compétences sur le marché, les entreprises encouragent et accompagnent de plus en plus la reconversion de leurs salariés pour s'adapter aux besoins et à l'évolution du secteur. Aujourd'hui, la difficulté est que l'offre des diplômes et la demande du marché de travail ne coïncident pas, d'où l'existence d'un décalage des besoins en compétences. «Pour remédier à cette problématique, on est en train de travailler sur un livre blanc pour pouvoir parler des nouveaux métiers du digital et IT», précise Cheguar. Et d'ajouter : «Aujourd'hui, le mindset des candidats et des collaborateurs est en train de changer. Du coup, l'entreprise doit aussi évoluer pour pouvoir accompagner cette mutation et continuer à être compétitive à l'échelle du recrutement». Les nouveaux défis organisationnels des entreprises Etat des lieux de l'adoption du digital dans nos entreprises. Quel est son poids ? Quel est le retour d'expérience de nos dirigeants en entreprise? Est-on assez mûr pour la transformation digitale au sein des entreprises marocaines ? Si la peur d'être remplacé par une IA ou un robot nourrit des appréhensions pour les nouvelles technologies au sein des entreprises, plusieurs dirigeants réunis dans le cadre du Cercle des Eco rassurent. «Parfois on parle de robotique et on a une vision très futuriste, avec des petits robots qui se baladent. Non, tout le monde ne va pas être à la rue. Avec la transformation digitale, il y a certes des métiers qui vont disparaître, mais d'autres métiers sont en train de naître et d'autres se transforment», réagit Youssef Zerrari, responsable SU Stratégie, marketing, Qualité et Innovation chez Société Générale Maroc. En effet, il est courant d'entendre que «ceux qui ne sauront pas coder seront les analphabètes de demain». Eh bien, cela est avéré, dans la mesure où il faudra bien des ressources humaines pour développer les programmes. Il va donc falloir nous ouvrir à la transformation de nos métiers et nous adapter en ces temps de transition. De plus en plus d'entreprises accompagnent et anticipent les nouvelles transformations des métiers Exemple dans le secteur bancaire où les opérateurs commencent à créer leurs propres technologies. Pour ce faire, les ressources humaines aussi se transforment pour pouvoir accompagner ces technologies. «Chez nous, par exemple, depuis un certain moment nous avons lancé un programme de reskilling de nos collaborateurs parce qu'il y a aussi de nouveaux métiers qui se créent. Par exemple, dans le domaine de l'Agile, il y a des métiers, comme Product Turner, qui n'existaient pas dans les organisations bancaires, Scrum Master, etc.», explique Zerrari. Chez les opérateurs télécoms aussi, il y a aujourd'hui une nouvelle donne. «Chez un opérateur télécoms, vous aviez historiquement des ingénieurs télécoms et des informaticiens. Aujourd'hui, cette séparation n'existe plus parce que beaucoup de tâches, qui étaient initialement de la technique pure et dure, deviennent du développement informatique, du software», explique Mehdi Lahlou, directeur technique et des systèmes d'information chez Inwi, pour qui tout l'enjeu de cette transformation digitale c'est justement de ne pas oublier l'humain derrière. «Il faut penser à accompagner nos employés dans les nouvelles transformations de leurs métiers, et anticiper ces transformations». Le dirigeant trouve également exagéré « de dire que les métiers vont disparaître. On n'en est pas encore là ». Cela dit, le dirigeant souligne que les opérateurs télécoms sont conscients que l'accès au digital est un «must have». De ce fait, beaucoup d'initiatives sont faites pour réduire la fracture numérique. «De nombreuses initiatives ont été menées de longue date. Parmi les plus récentes qui nous touchent, il y a le développement du haut débit avec l'accès au plus grand nombre à la fibre optique. Nous participons au programme développé par le régulateur portant sur le développement de la couverture 4G dans des zones qui ne sont pas couvertes et des zones blanches». N'empêche qu'il reste encore beaucoup de choses à faire. Des signaux positifs, mais ... Avec un ministère dédié au digital, un Nouveau modèle de développement (NMD) dont l'un des cinq leviers majeurs pour la régionalisation est la digitalisation et après plusieurs plans stratégiques dédié, les intervenants de ce Cercle des Eco, portant sur la digitalisation et la dématérialisation, affichent leur optimisme pour la mise en avant du digital. Cela dit, de gros chantiers attendent d'être développés, notamment la formation des talents, la formation continue, comment reconvertir des diplômés qui n'arrivent pas à trouver du travail dans le coding, etc. «Sur de tels sujets, nous travaillons avec des partenaires afin de réduire le taux de chômage», souligne Hicham Chiguer, président de l'Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (AUSIM). Youssef Zerrari abonde dans le même sens : «Les signaux sont positifs. On voit qu'au niveau du gouvernement le digital est un vrai sujet qui a été concrétisé par des actions très fortes (parcours citoyen, les travaux faits par l'ADD, le service d'identification nationale...). On voit qu'il y a une dynamique. Cependant, il ne faut pas oublier que ce sont des sujets complexes. Ce sont des transformations qui vont se faire sur la durée. Il va donc falloir être patient sur un certain nombre de choses». Idem pour la partie infrastructure sur laquelle les intervenants notent que de nombreux efforts ont été faits. L'enjeu étant que le Maroc puisse occuper la position qu'il mérite. Les retardataires jouent leur survie Il est indéniable que les acteurs économiques marocains veulent se digitaliser, sachant que la valeur ajoutée de l'usage de la technologie est bénéfique pour leur business. Comme le souligne Hicham Chiguer, président de l'Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (AUSIM), «l'adoption de la technologie permet à une entreprise, au moyen de la stratégie, des process et des outils, de pouvoir améliorer sa compétitivité, son développement et surtout devenir plus résiliente sur le marché. Aujourd'hui, le digital est devenu un des leviers majeurs de l'entreprise qui permet de pouvoir se différencier. A ce titre, ceux qui sont en retard jouent leur survie et sont obligés, à un moment donné, d'adopter les technologies et de se mettre en phase. Ceux qui sont en avance vont, quant à eux, avoir plus de parts de marché et donc avoir une adoption beaucoup plus facile par la suite sur tout ce qui est expérience client, fidélisation client, valeur ajoutée, etc.». Digital nation : Les freins à la libération du plein potentiel digital du Maroc. Ces dernières années, le Royaume a déplacé des montagnes, mais pour booster davantage la transformation digitale de son économie, il va falloir une bonne dose de volonté et de motivation. Faire du Maroc une Digital nation est une quête permanente. Si, pour plusieurs analystes, le Royaume est sur la bonne voie, il ne faut surtout pas se reposer sur ses lauriers. Il va falloir mettre la main à la poche, notamment «investir massivement. Il va aussi falloir que le gouvernement et toutes les parties prenantes prennent conscience des enjeux», souligne Hicham Chiguer, président de l'Association des utilisateurs des systèmes d'information au Maroc (AUSIM), dans le cadre du Cercle des Eco portant sur la digitalisation et la dématérialisation. «On peut dire qu'on est premier dans le Maghreb en termes de digitalisation, mais ce n'est pas là qu'on doit mettre le curseur, sinon, cela ne va pas être très challengeant. Il faut plutôt se positionner sur l'Afrique, voire même à l'échelle internationale». Du côté de l'Ausim, l'ambition affichée est que le Maroc devienne un hub africain et international. Comme le souligne son président, «On veut que le secteur du digital prenne de l'ampleur, qu'il soit la priorité stratégique au niveau gouvernemental afin de lancer la machine comme on a pu le faire dans d'autres secteurs, notamment l'automobile, l'offshoring... Quand on avait la volonté et la motivation de le faire, on y est arrivé. On veut que le territoire marocain soit une terre d'accueil, comme ce qu'on a fait par ailleurs. On peut aussi réussir dans le digital parce que le facteur le plus important, c'est l'élément humain». En effet, ces dernières années, le Maroc a déplacé des montagnes, et tout porte à croire qu'avec de la volonté, il peut enregistrer des progrès spectaculaires. Des ressources humaines qu'on a du mal à retenir Certes, le Maroc dispose d'une population relativement jeune et qui apprend vite. Cependant, il a du mal à retenir ses talents. Or, disposer de talents est un élément important à prendre en compte pour booster la transformation digitale du Royaume. Après, il y a la problématique des capacités et des effectifs de talents formés au Maroc. «Sur cet aspect, le fait que ceux-ci partent veut dire aussi qu'on a un bon système éducatif, de «bonnes» têtes. Ce qui est plutôt bon signe», réagit Youssef Zerrari, responsable SU Stratégie, Marketing, Qualité et Innovation à Société générale Maroc. Il ajoute que «Le levier sur lequel il faut qu'on travaille, c'est de créer de l'attractivité pour garder ces talents et se demander quel système mettre en place ?». Aujourd'hui, tous les secteurs ont du mal à retenir leurs ressources qualifiées. Ceci dit, il est possible d'en retenir certains. Selon Mehdi Lahlou, directeur technique et des systèmes d'information chez Inwi, «Parmi les moyens pour les retenir, il faudrait explorer la possibilité de leur proposer une nouvelle offre de carrière. Leur suggérer des formations nouvelles qui les accompagnent pour évoluer au sein de l'entreprise. Etant donné qu'aujourd'hui, chez les opérateurs télécoms, la technique pure et dure devient du développement informatique, nous demandons à nos ingénieurs d'apprendre à coder. Et c'est tout l'enjeu de cette transformation digitale». Surtout ne pas penser uniquement Maroc, mais raisonner dans une logique de hub continental et international ! L'on ne peut pas parler de transformation digitale sans parler connectivité. L'un des nerfs de la guerre sur ce volet, ce sont les câbles sous-marins. «Comparé à l'Egypte et l'Afrique du Sud, qui ont plus d'une douzaine, voire une quinzaine de câbles sous-marins, le Maroc n'en a que 6 ou 7», déplore Chiguer. En parlant d'infrastructures, le Maroc doit attirer des big players du Cloud. L'enjeu étant de créer un écosystème beaucoup plus fort et davantage de valeur. Et surtout ne pas penser uniquement Maroc ! Il faudrait plutôt raisonner dans une logique de «hub à l'échelle continentale et internationale». L'autre défi à relever est de créer l'environnement propice pour qu'éclose un écosystème de startups. L'enjeu pour ces jeunes pouces est de créer, innover, ramener de la valeur et des devises. Une réglementation plus agile En ce qui concerne la réglementation, il va falloir rendre agile un certain nombre de lois pour pouvoir se doter des moyens nécessaires. «Aujourd'hui, le statut startup n'existe pas sur le plan légal. Toute la partie réglementation et légale doit être revue pour que le Maroc puisse libérer son potentiel». Dans le secteur bancaire, par exemple, il y a des choses sur lesquelles il faut qu'on accélère, notamment l'Open banking, qui consiste à ouvrir les systèmes d'information des banques. «Voici une directive qui accélère énormément de choses en Europe et qui a permis à beaucoup de startups de bien se lancer parce qu'elles ont pu se connecter. Autant de sujets sur lesquels les régulateurs travaillent, mais cela prend du temps», explique Youssef Zerrari, responsable SU Stratégie, Marketing, Qualité et Innovation à Société générale Maroc.