Alors que la filière accuse une chute de la production, l'informel ne cesse de gagner du terrain. Et encore, la baisse aurait pu être plus accentuée sans les aides étatiques. Covid, sécheresse et guerre en Ukraine n'ont pas épargné le cheptel laitier du Royaume. L'envolée des prix des matières premières entrant dans l'alimentation du bétail, la flambée du coût de l'énergie, notamment le gasoil, la rareté des fourrages (paille, foin...), en plus de la hausse des prix de transport, de l'emballage et autres intrants sont autant de facteurs qui ont affecté l'activité des unités de transformation de lait. «La quantité collectée qui transite par le circuit officiel et organisé des usines a accusé une chute de 30% durant le premier semestre de cette année par rapport à la même période de l'année précédente», constate un opérateur qui rappelle que la production annuelle moyenne se chiffre à 2,5 millions de tonnes. Subvention salvatrice Cette baisse aurait pu être plus accentuée si les opérateurs du secteur n'avaient pas bénéficié des différentes aides de l'Etat. En effet, la subvention des aliments composés destinés aux vaches laitières, octroyée depuis mars 2022, a quelque peu soulagé les éleveurs-producteurs laitiers. Le plan d'urgence pour la lutte contre les effets de la sécheresse, ordonné par le Roi Mohammed VI prévoyait, entre autres, «la distribution de 7 millions de quintaux d'orge subventionné au profit des éleveurs et de 400 000 tonnes d'aliments composés au profit des éleveurs de vaches laitières, afin d'atténuer l'impact de la hausse des prix des aliments du bétail et de la régression des disponibilités en fourrage, pour un coût global de 2,1 milliards de dirhams», comme l'indiquait le ministère de l'Agriculture. C'est que la sècheresse sévère que connaît le pays a transformé cette opération de compensation des aliments composés en une cruciale «opération sauvegarde du cheptel». La mise en place de cette mesure a été effectuée en concertation avec l'interprofession, notamment à travers l'évaluation des besoins des éleveurs laitiers en aliments, la détermination des types d'aliments à subventionner, ainsi que les listes précises des éleveurs bénéficiaires. Cette opération a eu un impact positif sur les éleveurs qui ont pu augmenter la production commercialisée à travers les circuits organisés et au final garantir l'approvisionnement du marché en lait et produits laitiers principalement pendant Ramadan. Aliments : forte hausse des prix En parallèle à ce circuit organisé, l'informel ou le colportage qui alimente les laiteries a affiché un rebond, dépassant même 40% de la quantité de lait totale, contre 20 à 25% en 2019. Les professionnels estiment actuellement sa contribution dans le circuit de distribution à près de 1 million de tonnes. Selon eux, cette augmentation est due au prix attrayant offert par ces opérateurs aux producteurs laitiers, supérieur de 1 à 1,5 DH/litre, que le prix réglementaire, resté gelé depuis 2013 à 3,60 DH/l, ne permettant pas ou peu de faire face au renchérissement des prix des aliments de bétail, sachant qu'il s'agit du principal souci des éleveurs. Il faut savoir qu'une ration journalière d'alimentation équilibrée des vaches laitières est composée à raison de 50 à 60% des fourrages verts ou secs (foin, ensilage, paille...) produits localement, alors que la part complémentaire consiste en des aliments concentrés, simples ou composés, produits par les usines d'aliments de bétail. Ces deux intrants ont connu une forte hausse des prix: le premier en raison de la rareté due à la sécheresse et le second, à cause des effets des perturbations économiques internationales (voir graphe). A noter que les prix de ces matières ont continué sur leur trend haussier, aggravant du coup la crise chez les producteurs laitiers. Avec cet alourdissement des charges, les éleveurs ont des difficultés à entretenir leur cheptel. «Des cas d'abandon d'activité ont été constatés et des fermetures d'exploitation laitières ou de liquidation de cheptel laitier, par l'abattage essentiellement, ont été signalés dans les principales régions d'élevage laitier du pays», rapportent des acteurs du secteur. Cette situation de crise que connaît la filière soulève des interrogations quant aux prix de vente au consommateur. Resteront-ils inchangés ? «Cette question de prix est complexe», ont affirmé de manière unanime les professionnels. Elle est quasiment «négociée» au cas par cas du fait de la dépendance du prix du lait frais chez l'éleveur, du prix du lait pasteurisé. Une problématique qui est toujours au cœur des discussions entre les représentants de la fédération et le département de tutelle, de même que l'exploitation de différentes pistes pour espérer une sortie de crise. Parallèlement, même si le texte instituant la subvention à l'acquisition des génisses de races laitières importées a connu un retard dans sa publication (septembre 2022), cette opération pourrait contribuer à la relance du secteur en dépit de la conjoncture encore défavorable. Actuellement, des discussions sont en cours avec le département de tutelle pour prendre des mesures pour la relance du secteur sur des bases saines lui permettant un réel démarrage. La conclusion du futur contrat programme dans le cadre de la déclinaison de la nouvelle stratégie «génération verte» pourrait justement apporter cette nouvelle dynamique espérée.
Petits éleveurs et petits cheptels L'élevage laitier est concentré dans les zones irriguées à plus de 75 % de la production, ainsi que les zones bours favorables, où l'élevage laitier est conduit en système mixte avec la céréaliculture et les légumineuses. Ces zones concentrent plus de 80% du cheptel bovin laitier de races améliorées, assurant plus de 82% de la production nationale commercialisée. Le reste étant produit dans les zones bour arides, il est essentiellement destiné à l'autoconsommation. L'écrasante majorité des éleveurs, soit 90%, dispose de moins de 10 vaches laitières et 2% seulement d'entre eux en possèdent plus d'une centaine. Si le secteur est bien organisé en amont, une bonne partie lui échappe en aval, accaparée par le secteur informel. Des efforts ont été déployés par les professionnels et les autorités compétentes afin de maîtriser le circuit, à l'instar de la création et l'équipement de 56 centres de contrôle laitiers, la mise à niveau de 1 600 petites et moyennes fermes, la mise en conformité de plusieurs centres de collectes avec les normes sanitaires, en plus de la mise en place de session de formation au profit des éleveurs.