Livrés à eux-mêmes dans l'attente de jours meilleurs, les petits et moyens agriculteurs sont plongés dans une grave crise et se voient désormais forcés à subir seuls les effets de la sécheresse. Sauf que pour cette saison agricole, la situation devient encore pire vu les effets néfastes engendrés par la pandémie du Covid-19. Le département de tutelle pointé du doigt L'élevage du bétail, de son côté, n'échappe point au marasme qui frappe de plein fouet le secteur. Sombrés pleinement dans la crise, les petits et moyens éleveurs déplorent le manque de soutien du département de tutelle. D'ailleurs, c'est ce qu'a affirmé à Al Bayane, Khalid El Kiraoui, président de l'Association marocaine du développement agricole (AMDA), en indiquant que le ministère de l'agriculture et ses départements extérieurs ont brillé par leur absence en faisant preuve d'une réelle faiblesse en matière de communication de crise. Or, a-t-il ajouté, sa véritable mission consiste à les rassurer quant à l'avenir. «Les rumeurs alléguant que la fête du sacrifice ne sera pas célébrée cette année, a fait que les éleveurs sont devenus une proie facile pour les «Les «chenak»» et les chevillards qui imposent leurs propres lois», a-t-il noté en substance. En fait, la majorité des terrains de parcours sont desséchés notamment dans la zone se situant entre Rabat et Marrakech. Faute de fourrage suffisant, les petits éleveurs ont dû ainsi puiser dans le stock de foin qui reste pour subvenir au besoin du cheptel. «Les faibles précipitations enregistrées pour la deuxième année consécutive ont anéanti sérieusement les espoirs des agriculteurs et plus particulièrement les petits éleveurs de bétail», déclare Mustapha, éleveur dans la région Ouled Amrane relevant de la province de Sidi Bennour, avant de souligner que la crise engendrée par le coronavirus et les mesures imposées par le confinement sanitaire ont alourdi davantage leurs souffrances. «La fermeture des marchés hebdomadaires ou encore la cessation des activités des restaurants et des snacks nous a redu la tâche impossible pour liquider notre production animale», a-t-il précisé. A en croire, Saïd, un petit éleveur de bétail dans la région de Chaouia, certains éleveurs dans la région, ayant la bourse plate, ont vendu des brebis à 100 DH la tête en raison de la pénurie du fourrage. Encore pire, parfois ils ne trouvent même pas preneur, sachant que la plupart pour eux n'ont pas les moyens pécuniaires pour se payer les aliments de bétail a-t-il expliqué. La santé du cheptel pose question Ce dernier nous a encore confié que dans la région d'Ouled Saïd, sous la pression du stress hydrique, les éleveurs se contentent d'une seule fois par jour pour abreuver les ovins, ce qui pourrait affecter sérieusement la santé du bétail, a-t-il expliqué. Outre le fait qu'ils soient victimes des rumeurs, la crise à laquelle sont affrontés les petits éleveurs, s'explique entre autre par la montée vertigineuse des prix des aliments de bétail. En fait, les prix du son de blé ou encore l'orge ont atteint trois dirhams le kilo et même plus dans certains zones, soit une augmentation de presque 30% par rapport à la normal. Idem pour la meule de foin passant de 10 DH à 28 DH et même à 40DH dans la région Tensift-el Haouz. D'où le fait que certains éleveurs vendent à prix bas pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Cela étant, «les effets de la sécheresse poussent l'éleveur à pomper son propre capital pour assouvir les besoins de sa famille et avoir de quoi alimenter le cheptel», a indiqué de son côté, Abderrahmane Majdoubi, président de l'Association nationale ovine et caprine (ANOC). Et d'ajouter «qu'il est tout à fait probable qu'un éleveur qui dispose d'un troupeau d'ovins d'une valeur de 40 millions centimes pourrait voir sa petite fortune se réduire de trois quart en fin de saison en raison de la crise». Même son de cloche chez Jilali, un éleveur de bétail dans de la zone de Mdakra, qui, pour sa part, a déclaré à Al Bayane que la fermeture des marchés hebdomadaires et l'interdiction du déplacement a fait que la crise n'a pas épargné les petits producteurs de lait qui livraient leurs marchandises aux crémeries. «Avant la pandémie, la vente du lait me rapportait entre 300 et 400 DH par jours, alors que ce n'est pas le cas aujourd'hui. C'est la crise à tous les étages», a-t-il déclaré. Outre quatre vaches laitières, Jilali dispose d'un cheptel ovin composé de 70 moutons et dont il lui faut au moins 500 DH par jours pour les nourrir. «Cela me donne le tournis à force d'y penser», s'est-il exclamé. Pour plusieurs observateurs du secteur et experts, l'Etat est désormais appelé à lancer un plan d'urgence pour sauver le monde rural, tout en procédant à l'activation du fonds de solidarité contre les évènements catastrophiques. Pour le président de l'AMDA, la subvention de l'orge n'a rien d'exceptionnel, car il s'agit d'une mesure habituelle. Qui plus est, l'alimentation du bétail ne dépend pas seulement de l'orge importée dont la qualité laisse amplement à désirer. Normalement, le ministère doit en principe subventionner les aliments composés en faisant pression sur les grands entreprises d'aliments de bétail qui détiennent le monopole afin de baisser les prix de vente ou accorder des facilités aux éleveurs, a-t-il poursuivi. Réouverture des marchés hebdomadaires Limiter les effets de la crise que subit le secteur du bétail, implique aussi la mise en place des mesures d'accompagnement plus efficaces, comme la réouverture d'un marché hebdomadaire au niveau de chaque province ou région ou la mise en place d'une plateforme-électronique comme le prône le président de l'ANOC. Selon les statistiques officielles, la totalité du cheptel national avoisine presque 27,5 millions de têtes ovines et caprines. Il est difficile devant les changements climatiques que connaît le pays de garder le cheptel en bonne santé, d'où la nécessité de réfléchir à des modalités pragmatiques à l'exemple de l'abatage massive, souligne Abbas Tanji, expert –agronome avant de mettre l'accent sur le fait que cette optique est difficile pour le moment vu l'absence de plateformes logistiques de froid et de stockages dédiée à ce secteur. L'élevage, un secteur pris en otage…! Beaucoup d'analystes estiment que le département de tutelle doit redéployer davantage d'efforts pour corriger les défaillances de la stratégie dédiée au secteur de l'élevage afin d'éviter une facture alimentaire salée et assurer, par conséquent, un certain équilibre de la balance commerciale. A en croire les statistiques, le Maroc importe presque tous les produits de base inclus dans l'élevage du bétail, soit annuellement 5,3Mqx de maïs et environ un Mqx d'orge et un million de tonne de soja, soit l'équivalent d'une enveloppe budgétaire estimée à des milliards de DH. Sachant bien que ces produits subissent 10% de la TVA. Pour changer la donne, certains experts agronomes prônent une agriculture de conservation considérant que le Maroc dispose de tous les atouts pour produire une semence équivalente au soja ou le maïs ou même mieux que celle importée, d'où l'importance de faire prévaloir la culture fourragère. En fait, c'est toute une filiere qui prise en otage d'où la nécessité de revoir toute la chaine de la production de la viande. «On ne peut pas parler d'une production locale alors qu'on est entièrement dépendant de l'importation en ce qui concerne l'alimentation du bétail», a affirmé à Al Bayane un éleveur de la région de Settat. En plus de cela, le Maroc importe chaque année environ 10 mille vaches laitières, a-t-il fait savoir. Pour lui, nos responsables doivent réfléchir à développer une telle activité en procédant par l'amélioration des races bovines locales à travers la création des entreprises d'élevage dans toutes les régions du Royaume. Souveraineté alimentaire oblige!