La flambée des prix du gasoil et de l'essence est principalement liée à la hausse des cotations des produits raffinés à l'international. C'est un phénomène mondial et un fait confirmé par un nouveau rapport du Conseil présidé par Ahmed Rahou qui révèle tout (ou presque) sur les marges dégagées par les opérateurs marocains. Lecture analytique. Pas moins de 8,3 milliards de litres, soit 228 litres par Marocain par an en moyenne... Le gasoil et l'essence sont évidemment des stars de la catégorie des biens de grande consommation. Et avec le prix à la pompe qui a mis le turbo, creusant l'écart avec le coût de la vie et sa composante transport, le sujet déchaîne les passions, donnant lieu à moult accusations infondées et contre-vérités orientées. Le Conseil de la concurrence a alors pris l'initiative de se pencher sur la question, en avril dernier, pour produire une étude au sujet de «la flambée des prix des intrants et matières premières au niveau mondial et ses conséquences sur le fonctionnement concurrentiel des marchés nationaux». L'avis rendu public le 28 septembre apporte son lot de révélations sur la décomposition des prix des carburants ainsi que les marges des principaux opérateurs sur le marché. Et c'est le mythe de sociétés de distribution considérées comme pompe à fric qui s'effondre à la lecture analytique du rapport. Les quatre vérités à retenir... Ni entente, ni position dominante sur le marché «Le présent avis s'est fixé comme objectif principal de répondre à la question de savoir si les hausses constatées sur le marché national seraient liées aux éléments exogènes relatifs à la flambée des prix du gasoil et de l'essence importés ou à des éléments en rapport avec des pratiques interdites par la loi n° 104.12, notamment des ententes ou des abus de position dominante». C'est ce qu'on peut lire dans la présentation du rapport du Conseil de la concurrence. Dans ses conclusions, en revanche, le Conseil ne relève aucune forme d'entente entre les opérateurs sur le marché. On ne retrouve d'ailleurs aucune occurrence du terme «entente» dans les 104 pages du rapport, si ce n'est dans la partie introductive. Idem pour le terme «position dominante»... L'image de cartel pétrolier qui agirait à sa guise sur les prix s'évapore donc comme une chimère. Autre élément qui rend peu imaginable une entente entre les opérateurs sur les prix : les niveaux de marges sont très variables d'une société de distribution à l'autre. Alors pourquoi par exemple, un petit opérateur comme Ziz irait trouver un arrangement avec Vivo, alors qu'il marge moins que cette multinationale, tout en vendant moins de quantité ? Ne serait-il pas plus enclin à chercher à conquérir plus de parts de marché en proposant un meilleur prix ou encore à tenter de gagner davantage sur la quantité moindre que son réseau commercial arrive à écouler? D'ailleurs, ce deuxième choix, il le fait pour l'essence, segment dans lequel il dégage une marge brute de 3 centimes de plus que celle réalisée par Vivo sur le même produit (voir tableau). La flambée des prix est du fait du marché international Les experts du Conseil de la concurrence se sont prêtés à l'exercice de décomposition des prix de vente du gasoil et de l'essence selon les différents postes de charge. Et c'est sans grande surprise qu'ils concluent que 51% du prix final du gasoil à la pompe et 43% de celui de l'essence sont constitués du coût d'achat des produits raffinés (voir infographie). Ce dernier est à son tour composé du prix d'achat calculé d'après le prix de référence (Platts FOB), qui représente plus de 95% de sa composition alors que les 5% restants se partagent entre les frais d'approche, les frais de fret ainsi que les droits et taxes portuaires. «Le coût d'achat du gasoil et de l'essence devient plus prépondérant quand les cotations à l'international augmentent, comme c'est le cas en 2022 où il a frôlé 65% du prix de vente à la pompe», notent les experts du Conseil de la concurrence. Le rapport évoque néanmoins «un affaiblissement de la corrélation entre les cours du baril de pétrole brut, les cotations des produits raffinés et les prix de vente sur le marché national durant les années 2020 et 2021 ainsi que les quatre premiers mois de l'année 2022». Pourtant, il omet de préciser que le gap constaté ces années est plutôt entre le brut et les produits raffinés. «La forte demande sur le gasoil – devenu produit de substitution au gaz, au fuel et au charbon – a conduit à la saturation des activités de raffinage où les marges ont fortement augmenté, parfois multipliées même par dix», note un connaisseur du secteur. C'est donc cette composante, avec les taxes (TIC et TVA) qui sont déterminantes dans la formation des prix à la pompe. Quant aux marges, elles restent des plus raisonnables… Les marges sont moins élevées en tenant compte des stocks «Dans l'ensemble, les marges nettes des sept opérateurs du marché (représentant plus de 80% des parts de marché en termes de chiffre d'affaires), qui reflètent le bénéfice net dégagé sur chaque litre de carburant vendu, après avoir soustrait toutes les charges telles que les frais d'exploitation et les impôts, fluctuent entre un minimum de 7 centimes par litre et un maximum de 68 centimes». Le rapport met fin à la surenchère sur les prétendues marges mirobolantes des opérateurs. «La tendance sur les réseaux sociaux était d'accuser certaines sociétés de réaliser des marges de 2 à 3 dirhams par litre de carburant. Ce rapport, assez complet, vient démontrer que c'est de l'intox. Toutes les sociétés du secteur ne cumulent pas plus de 2,7 milliards de dirhams de bénéfices par an, toutes activités confondues, sur un chiffre d'affaires de 60 milliards. Cette marge nette de 4,5% est très correct et elle est comparable aux niveaux constatés avant la libéralisation, contrairement aux idées reçues», précise Mostafa Labrak, expert en énergie. Et encore les experts du Conseil de la concurrence se sont prêtés à un calcul trivial de ces taux de marge. Il a été limité à une soustraction du prix de revient (coût d'achat et taxes) du chiffre d'affaires. Un calcul de la marge brute commerciale, plus peaufiné, aurait dû tenir compte de la variation des stocks qu'il faut rajouter au prix de revient. Le Conseil avait les moyens de se prêter à l'exercice vu qu'il a exposé devant tout le monde les chiffres détaillés de chacun des opérateurs du secteur. Va-t-il d'ailleurs le faire pour toutes les sociétés dans tous les secteurs concernés par la flambée des prix ? Gasoil & essence ne sont pas les plus rentables Le segment d'activité relatif aux carburants (gasoil et essence) participe à un moindre degré dans la rentabilité des sociétés de distribution, comparativement aux autres segments, notamment le gaz, le fuel et le kérosène. C'est écrit noir sur blanc dans le rapport : «Le résultat net cumulé du segment gasoil et essence par les 7 opérateurs du marché représente environ 63% de leur résultat net toutes activités confondues alors que le chiffre d'affaires du segment (gasoil et essence) constitue plus de 76% de celui réalisé par ces opérateurs en intégrant toutes leurs activités». Pourtant le Conseil parle dans un passage de super-profits, alors que les taux de rentabilité qu'il estime élevée sont rapportés aux capitaux propres et non aux capitaux investis. «Si on base le calcul sur le ratio ROCE (return on capital employed), le taux de marge serait bien différent», nuance notre source. Là encore, les spécialistes du Conseil de la concurrence avaient les moyens d'approfondir ce calcul, puisqu'ils ont eu accès aux investissements mobilisés par chacun des opérateurs. «Le leader en termes de parts de marché (Afriquia SMDC) a réalisé en 2020 un montant d'investissement de l'ordre de 266 MDH dont 151 MDH dans le développement des infrastructures de stockage et 115 MDH dans le réseau de stations-service. Tandis que Winxo n'a mobilisé que près de 134 MDH (69 MDH dans le stockage et 65 MDH dans la distribution), soit presque la moitié du montant d'Afriquia SMDC», peut-on lire dans le rapport. A relever que l'essentiel des investissements est donc mobilisé dans le renforcement des capacités de stockage, sachant que les réserves stratégiques sont devenues plus que jamais un enjeu de souveraineté nationale... Rappelez-vous, les capacités de stockage avaient évité au Royaume de tomber en panne sèche pendant la pandémie...