L'éducation des filles est la première brèche dans le patriarcat. Un enjeu toujours d'une brûlante actualité, comme le montrent Homeira Qadiri à partir d'Afghanistan et Ahmed Farid Merini à partir du Maroc. «J'ai l'impression d'être un héros», confie Homeira Qaderi. Dans la lettre à son fils dont elle a été séparée lors de son divorce et à qui son père prétendait qu'elle était morte, l'écrivaine afghane raconte son enfance dans le Herat d'abord en guerre contre les Soviétiques, puis contrôlé par les talibans. «N'importe quoi Homeira, un héros, c'est un homme qui parcourt les montagnes avec un fusil à l'épaule», répond son petit frère. Et pourtant, elle l'est. Dans ce pays où «il vaut mieux être une pierre qu'une fille», la jeune Homeira refuse le sort qui lui est fait et organise à la mosquée des cours clandestins d'alphabétisation et des ateliers d'écriture. «Danser dans la mosquée» est un récit poignant. Un récit de résistance, ponctuée de scène sidérantes : l'intrusion des talibans en plein cours, obligeant toutes les petites filles à rabattre leur burqa pour cacher leurs cahiers ; les descentes des talibans pour fouiller les maisons et identifier les filles qu'ils «épouseront», comprendre «dont ils feront leurs esclaves, économiques et sexuelles». Homeira Qadiri parle de la peur mais aussi de la colère qui l'anime et qui l'amène à prendre de nombreux risques pour ouvrir des espaces, relatifs et fragiles, de liberté. Elle souligne aussi l'envers de ces régimes implacables, qui laissent la place à tous les abus, à commencer par le harcèlement sexuel et les tentatives de viol. Elle dit la peur dans les familles, quand les hommes sont rendus responsables de ce que font les femmes. Si elle raconte aussi les ouvertures possibles, comme ce jeune taliban qui devient son élève, elle conclut à la déstructuration psychique totale induite par des sociétés aussi répressives. Grandir sous les talibans, c'est être définitivement exposée aux conséquences d'un discours profondément hostile à l'égalité entre hommes et femmes, laissant le champ libre à tous les abus, et où même des hommes qui se disent ouverts peuvent du jour au lendemain décider de prendre une seconde épouse, car la première leur fait de l'ombre. Et de conclure : «Je veux que mon fils fasse partie des hommes qui croient à l'égalité des genres». On lit ce livre avec une émotion d'autant plus forte que depuis un an les talibans œuvrent de nouveau avec acharnement pour priver les filles d'éducation et d'avenir. Pour les priver de leur droit à exister en tant que personnes. Aujourd'hui installée aux Etats-Unis, Homeira Qadiri poursuit son combat pour la cause des femmes. Le droit à exister Fatema Mernissi racontait elle aussi dans «Rêves de femmes», cet enjeu qu'est l'école pour les filles. Pionnière de la sociologie, elle s'est beaucoup intéressée aux savoirs féminins et à leur transmission. C'est ce dont témoigne le psychanalyste Ahmed Farid Merini dans un bref essai en guise d'hommage, «Fatema Mernissi, le fil invisible du féminisme». Il y raconte un travail partagé avec elle et les tisseuses de tapis de Taznakht. Tissage comme broderie sont, rappelle-t-il, une expression féminine, qui se transmet de mère en fille et qui constitue un espace de liberté. La mère de Fatema Mernissi elle-même, refusant les motifs classiques, affirmait avec son style personnel son indépendance et son refus des «hudud du patriarcat». Entre la sociologue et le psychanalyste se noue une double complicité, celle d'avoir eu une mère «terraza», et d'avoir été initiés ainsi à ce langage du fil, que l'un et l'autre lisent comme une véritable écriture. Entre «khit» et «khatt», «le tissage pour Fatema Mernissi se compose d'un fil visible, qui permet une transmission telle qu'on la conçoit socialement, doublé d'un fil invisible qui lie la femme à son intériorité psychique». Ce petit livre retrace à la fois la dimension sociale, en pleine transformation, de cette pratique du tissage, qui autonomise économiquement les femmes et redéfinit leur place dans la société, et sa dimension symbolique: l'expression de soi. Donc le droit à l'individualité.