Le dernier rapport du CCDH – avril 2004 – est très sévère sur l'état des prisons au Maroc. Les rapports des associations de défense des droits de l'Homme vont dans le même sens et les plaintes arrivent en nombre à l'OMP. Principale doléance, le surpeuplement : il y a 60 000 prisonniers pour une capacité d'accueil de 30 000, soit une superficie de 1,5 m2 par détenu alors que les normes en prévoient 6. Les associations des droits de l'homme au Maroc, dont l'Observatoire marocain des prisons, créé en 1999, reçoivent quotidiennement des dizaines de plaintes et doléances qui décrivent l'état inquiétant des prisons marocaines. Surpopulation, malnutrition, manque de soins médicaux, transferts aveugles de prisonniers loin du lieu de résidence de leurs familles, suicides… La liste des maux dont souffrent les prisons marocaines est longue. Y a-t-il vraiment lieu de s'en étonner, si on compare cette situation au tableau que brosse l'hebdomadaire français Le Nouvel Observateur de l'état des prisons en France, pays pourtant développé, à la démocratie bien installée. «La surpopulation dans les prisons atteint un niveau record, condamnant les détenus et les personnels à vivre et à travailler dans des conditions indignes. Entre le 1er janvier et le 1er juin, près de 5000 prisonniers supplémentaires ont rejoint des cellules déjà surpeuplées, et le nombre total des détenus dépasse les 64 000 pour 49 000 places», peut-on lire, en effet, dans le magazine de Jean-Daniel. On croit rêver, par contre, lorsqu'on compare le diagnostic sur l'état des prisons marocaines à un autre, fait par un député marocain, membre d'une sous-commission parlementaire chargée d'établir un rapport sur les conditions carcérales au Maroc. A l'issue d'une visite que cette sous-commission a effectuée le 24 juin 2004 à la prison centrale de Kénitra, le député marocain déclare à un quotidien francophone, qu'hormis «quelques exceptions, il n'y a pratiquement plus d'atteinte aux droits de l'homme dans nos prisons. Et d'ajouter : «J'ai rendu visite, dans le cadre d'une commission parlementaire, à des prisons dans l'Etat américain de l'Oregon et je peux vous assurer que l'approche marocaine est beaucoup plus respectueuse des droits humains que celle des Etats-Unis.» Incompatibilité des infrastructures carcérales avec leur mission de rééducation S'il n'y avait ces milliers de plaintes de prisonniers et ces rapports des associations des droits de l'Homme, dont l'Observatoire marocain des prisons (OMP), qui s'apprête à rédiger son troisième rapport, on serait tenté de croire ces élucubrations. Même le Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), institution très officielle, publia en avril 2004 un rapport sur la réalité carcérale marocaine beaucoup plus sévère. Un document de quelque 130 pages, résultat d'un travail d'investigation d'une année et demie, fait par le groupe chargé de la dénonciation des violations des droits de l'homme au sein du CCDH. Une trentaine de prisons et autres centres de rééducation ont été visités par les membres du conseil entre juillet 2003 et février 2004. Loin de brosser un tableau idyllique de nos prisons, le diagnostic établi dans ce rapport met en exergue les mêmes maux et violations des droits de l'homme déjà soulevé par ses prédécesseurs quant à l'état des prisons au Maroc. Une architecture dictée par le souci sécuritaire, et qui aggrave la violence Il y a même «incompatibilité des infrastructures pénitentiaires avec la mission qui leur est assignée : la rééducation et la réinsertion», note le rapport. Des parloirs, selon le rapport, qui n'ont rien à envier à des cellules, et ne facilitant guère la communication entre le prisonnier et sa famille ; des cours de promenades exiguës, boudées par les prisonniers qui préfèrent plutôt rester dans leurs cellules ; manque de salles d'étude et d'ateliers pour la formation professionnelle ; chambrées très mal aérées et mal éclairées, sans sanitaires. «C'est plutôt le souci sécuritaire qui a dicté cette architecture carcérale où les prisonniers sont entassés dans des cellules étroites, ne bénéficiant que d'une heure de promenade par jour, une architecture qui génère l'ennui, le vide et une extrême tension avec leur lot de confrontations et de consommation de tous produits (la drogue).» Face à cette situation et à d'autres sévices, le prisonnier marocain possède-t-il juridiquement un droit de recours pour formuler ses doléances et ses plaintes, quand il est l'objet de violation de ses droits ou de mesures punitives prises à son encontre par l'établissement pénitentiaire dont il est l'hôte ? Ce droit de recours du détenu est, certes, reconnu par le texte de loi gérant les établissements pénitentiaires, en l'occurrence la loi 23/98 relative à l'organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires. L'article 98 de cette loi, qui constitue pour les associations des droits de l'homme une nette avancée par rapport à toutes les lois antérieures, est clair sur ce chapitre. «Les détenus ont le droit de présenter leurs doléances, verbalement ou par écrit, au directeur de l'établissement, au directeur de l'administration pénitentiaire, aux autorités judiciaires ou à la commission provinciale de contrôle prévue par le code de procédure pénale.» Or, dans la réalité, par crainte des représailles, les détenus ou leurs familles préfèrent s'adresser directement aux associations des droits de l'homme pour communiquer leurs doléances. L'OMP a reçu des milliers de plaintes depuis sa création, en 1999. Faute de moyens financiers et humains, il ne pouvait les traiter. L'eût-il voulu, sa vocation première n'est pas de résoudre les problèmes quotidiens des détenus marocains. L'observatoire, comme son nom l'indique, est là pour observer et témoigner des violations des droits de l'homme à l'intérieur des prisons, et sa mission première se limite à la rédaction d'un rapport annuel, suivi de recommandations ; rapport fait à la lumière des visites qu'il effectue sur le terrain et des doléances qu'il reçoit. Un travail de sensibilisation et d'alerte. Un logiciel pour la saisie et le suivi des plaintes Pour mieux protéger et défendre les droits des détenus, comme le stipulent ses statuts, l'OMP lança, en février dernier, une structure indépendante d'accueil et de traitement de ces plaintes. Une permanence est tenue par deux avocates contractuelles, dont la mission est d' étudier ces dernières et d'élaborer les procédures à suivre pour les traiter. Un documentaliste contractuel, nous dit Youssef Madad, secrétaire général de l'OMP, «se charge de procéder à la saisie des plaintes grâce à un logiciel installé par un sociologue, qui permettra d'enregistrer toutes les caractéristiques et les indicateurs des plaintes et requêtes reçues, ainsi que le sort qui leur a été réservé. Cela nous permettra de rassembler des informations exactes pour la rédaction de notre rapport.» Bénéficiant d'une aide financière de l'ambassade britannique, se montant à quelque 320 000 DH, le travail de la structure s'étale sur deux ans et comprend aussi une formation destinée aux surveillants-éducateurs. En six mois, 4 ateliers se sont déroulés à l'Ecole de formation des cadres d'Ifrane, en partenariat avec l'administration pénitentiaire. Pour le mois de septembre, l'OMP prépare un atelier de synthèse qui élaborera un programme d'accompagnement. «On s'est aperçu, remarque M. Madad, qu'il est impossible de rehausser le niveau des prisons sans donner une formation aux gardiens. L'administration parle de «surveillant-éducateur» faute de recruter de véritables éducateurs et assistants. Or, il s'avère que ce gardien éducateur n'a reçu aucune formation, qu'il est dépourvu de toute compétence ou visibilité par rapport au phénomène de la violence carcérale. L'objectif est de développer chez le surveillant-éducateur un profil humain qui permette d'absorber la tension. La prison est un lieu de pression extrême, génératrice de violence.» Depuis sa création, en février, la nouvelle structure a reçu plus de 300 plaintes, directement des détenus ou par le biais de leurs familles, par courrier, fax, téléphone. Khadija Rougani, avocate, membre de la structure, de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) et du centre FAMA, ne cache pas sa satisfaction : «Sur un grand nombre de plaintes qui nous sont parvenues, que nous avons traitées, et sur lesquelles nous avons demandé des éclaircissements à l'administration pénitentiaire, force est de constater que nous avons reçu le jour même des réponses positives.» Mais sur quoi portent les plaintes des 60 000 détenus qu'abritent les 53 établissements pénitentiaires que compte le Maroc ? En premier lieu, sur le surpeuplement. Pour une capacité de 30 000 prisonniers (voir tableau), les prisons marocaines en accueillent le double, soit un espace de 1,5 m2 par détenu, alors que la norme internationale parle de 6 m2. «Au Maroc, l'administration a l'ambition, avec la construction d'autres prisons (5 sont en cours de construction), d'arriver à 3 m2. Or c'est l'inverse qui se passe puisque le surpeuplement va en s'aggravant», note le secrétaire général de l'OMP. En tête de liste des plaintes des prisonniers ou de leurs familles figurent également les mauvais traitements et la violence, la malnutrition, le manque de soins médicaux, la corruption, le harcèlement sexuel et l'interdiction de visites. Il y a aussi les transferts des prisonniers d'un établissement à un autre, très éloigné du lieu de résidence de leurs familles. En ce début de juillet, l'OMP a reçu plusieurs lettres de familles se plaignant du fait que leurs enfants sont emprisonnés à la prison agricole Outéta, à Sidi Kacem, loin de Casablanca, leur lieu de résidence. «Le transfert d'un détenu d'une ville à l'autre, au lieu d'être un outil pour une meilleure gestion, devient une punition à l'encontre du prisonnier», remarque M. Madad. Aucune grâce pour les condamnés à mort depuis 1994 Autre doléance récurrente des prisonniers : la demande de grâce, émanant surtout des condamnés à mort. La dernière grâce qui a touché cette catégorie de détenus remonte à 1994. Il y avait alors 90 condamnés à mort, dont 13 seulement ont bénéficié d'une commutation de peine. Depuis cette date, en dix ans, le quartier B de la prison centrale de Kénitra, celui réservé aux condamnés à la peine capitale, en a accueilli presque le double. Ils sont actuellement 164 détenus, dont 9 femmes, à y croupir. Un condamné à mort vit une double souffrance : l'attente, à tout instant, qu'on l'extirpe de sa cellule pour l'exécuter, et son quotidien dans le couloir de la mort, fait de brimades, de malnutrition, d'isolement et de manque de soins. «Le condamné à mort n'a aucune visibilité par rapport à ses droits puisqu'il est censé être hôte de l'administration pénitentiaire le temps qu'on le passe par les armes, sa seule requête est que sa peine soit d'abord commuée», remarque Khadija Rougani. D'autant qu'il y a un vide juridique concernant cette catégorie de prisonniers, pour la simple raison que la législation marocaine n'a pas prévu que le condamné à mort reste longtemps en prison. Or, il se trouve que l'on n'exécute pratiquement plus au Maroc depuis 1993, année où cette sentence avait été exécutée pour le commissaire Tabit. Pourquoi alors ne pas abolir la peine capitale, comme le réclament nombre d'associations des droits de l'homme ? Une trentaine de prisons et autres centres de rééducation ont été visités par les membres du Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), institution officielle, entre juillet 2003 et février 2004 Il est impossible d'améliorer la situation dans les prisons sans donner une formation aux gardiens. Le «gardien éducateur» (c'est son appellation officielle) n'a en effet reçu aucune formation, il est dépourvu de toute compétence ou visibilité par rapport au phénomène de la violence carcérale. L'objectif est de développer chez lui un profil humain qui permette d'absorber la tension, car la prison est un lieu de pression extrême, génératrice de violence. Trois cents plaintes ont été enregistrées depuis que l'OMP s'est organisé pour traiter les doléances des détenus. Interpellée sur ces plaintes, l'administration pénitentiaire a en général répondu rapidement et de manière positive.