Dans son rapport annuel présenté mercredi à Rabat, l'Observatoire marocain des prisons (OMP) fait état d'une surpopulation latente dans le milieu carcéral. Par ailleurs, il pointe du doigt la lenteur de la mise en œuvre des réformes législatives et son impact sur la situation des droits humains dans les prisons. Au Maroc et jusqu'en décembre 2018, la population carcérale a atteint 83 757 détenus. 51 025 parmi eux sont condamnés, soit 60,92%, les autres sont des prévenus représentant 39,08% de la totalité de la population carcérale (32 732). C'est ce qu'indique l'Observatoire marocain des prisons (OMP) dans son rapport annuel pour l'année 2018, présenté mercredi à Rabat, relevant une augmentation annuelle de 655 personnes incarcérées dans les prisons du pays. Bien que la Délégation générale à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) fasse état d'une légère baisse du taux de surpopulation carcérale (39,08% en 2018 contre 40,66% en 2017), l'OMP estime que le nombre élevé des détenus prévenus aggrave le phénomène. En effet, l'OMP estime que cette dernière catégorie et son taux élevé constituent «le facteur principal responsable de l'amplification de la surpopulation carcérale et de la dégradation des conditions de détention, faisant des prisons des établissements punitifs, au lieu d'établissements privatifs de liberté jouant effectivement leur rôle de réhabilitation et de réinsertion des détenu(e)s». Les prisons restent surpeuplées dans l'ensemble L'OMP en appelle à des solutions «réalistes», notamment la mise en place d'un arsenal juridique et pénal «permettant d'accélérer la tenue des procès. Elle défend tout autant l'adoption de dispositions légales relatives à la libération conditionnelle et la mise en œuvre des peines alternatives non privatives de liberté» ainsi qu'une mise à niveau des établissements pénitentiaires pour les rendre respectueux de la dignité des détenus et de leurs droits. En effet, le taux d'occupation des prisons en 2018 a atteint «des seuils très élevés», que l'OMP énumère dans son document : «205% à la prison d'El Arjat 1 [Rabat, ndlr] , 172% à la prison locale de Kénitra, 172% à Souk Larbâa, 159% à Aïn Sebaâ [Casablanca, ndlr], 144% Loudaya (Marrakech), 133% au Centre de réforme et de rééducation d'Aïn Sebaâ, 122% à Tanger, 113% à Aït Melloul.» Selon l'ONG, deux établissements sur l'ensemble de ceux que compte le territoire ne souffrent pas de surpopulation, à savoir la prison locale de Ras El Mâ occupée à 86% et le Centre de réforme et de rééducation de Benslimane, occupé à hauteur de 88%. Dans ce rapport parvenu à Yabiladi, l'OMP a également dénombré 1 224 mineurs incarcérés en 2018, soit 1,46% de la population totale dans le milieu pénitentiaire. Les femmes, elles, sont 1907, soit 2,28%. De leur côté, les étrangers sont au nombre de 1 288 dans les prisons marocaines, représentant 1,53% du nombre total des prisonnier. La peine de mort n'étant plus exécutée depuis 1993, les couloirs de la mort ont compté 72 détenus en 2018 au lieu de 73 en 2017. L'urgence d'harmoniser les politiques publiques avec les actions Sur la base des doléances parvenues en 2018 à l'OMP, celle-ci déduit que les demandes de transfèrement en premier lieu, suivi de l'accès aux services de santé, puis des plaintes sur les mauvais traitements et les traitements dégradants ainsi que les cas de grèves de la faim ne bénéficient pas assez de l'attention qu'elles méritent en vertu des obligations de l'Etat. Malgré ces garanties, l'OMP, «au regard des cas de mauvais traitements et de traitements dégradants qu'il continue à recevoir et à traiter à travers les dossiers de doléance (49 doléances, représentant 27% de la totalité des doléances reçues)» alerte encore sur «ces comportements inadmissibles qui portent atteinte à la dignité et à l'intégrité physique des détenu(e)s». Dans ce sens, l'OMP rappelle l'urgence d'établir «un cadre juridique national relatif au mécanisme de traitement des doléances des détenu(e)s et de réfléchir à la possibilité de mettre en place une commission mixte dont la mission serait la réception et le traitement des doléances des détenu(e)s et la recherche des solutions aux problèmes soulevés dans des délais respectables pour les détenu(e)s». Par ailleurs, la sortie de ce rapport est une occasion pour l'OMP de réitérer ses appels à un débat national élargi sur les problématiques de la surpopulation dans les prisons ainsi que ceux liés à la politique pénale et carcérale, afin de sortir avec «des solutions concertées et multi sectorielles». Dans ce sens, elle souligne que «la question pénitentiaire, que ce soit en termes de philosophie, de politique, de ressources ou d'infrastructures, constitue une responsabilité sociétale pour l'ensemble des acteurs». Ainsi, l'association pointe du doigt le retard dans la mise en œuvre des réformes législatives en termes de droits humains, de libertés publiques et de démocratie participative «en relation avec les exigences de la Constitution de 2011». Elle remarque la même lenteur dans les révisions des lois relatives aux établissements pénitentiaires, au code pénal et au code de procédure pénale. Par conséquent, la surpopulation carcérale s'est amplifiée et les conditions de détention se sont dégradées, alerte l'OMP. Cette dernière remarque la même attitude dans le traitement du Maroc face aux résolutions de l'ONU relatives au milieu carcéral. En effet, le vote de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies sur l'instauration d'un moratoire universel sur les exécutions de la peine de mort, en décembre 2018, s'est fait sans le Maroc qui «a déçu les espoirs» des défenseurs de droits humains par son abstention, estime l'OMP.