«L'accès des détenus au développement passe non seulement par la préparation à la réinsertion, mais aussi par un large accès aux droits humains universels, fondements essentiels de toute politique de développement» affirme DGAPR dans un rapport qui enrichit les efforts de la CSMD. Le roi Mohammed VI a chargé, début janvier, une commission spéciale de repenser le modèle de développement et de réduire les disparités sociales dans le pays. Début 2020, le roi Mohammed VI a chargé une commission spéciale de repenser le modèle de développement et de réduire les inégalités et les disparités sociales dans le pays. Cette commission consultative, qui doit remettre son rapport en 2021, a mené une série d'auditions avec des étudiants, des représentants de parti politique ou des syndicats. Les autorités pénitentiaires marocaines contribuent aux réflexions menées et ont dévoilé, le 19 août, un rapport sur le développement de la condition des maisons d'arrêt et des détenus. Dans un rapport long de 17 pages, la direction de l'administration pénitentiaire (DGAPR) affirme que parmi les contraintes à caractère pénal rencontrées, on trouve que «le surpeuplement carcéral figure parmi les problèmes chroniques dont souffrent les prisons marocaines. Il résulte essentiellement de l'augmentation continue du nombre de la population carcérale. Ce dernier est passé de 74 039 à 86 384 entre 2015 et 2019, soit un taux d'accroissement de 16,67%» affirme DGAPR. Face à ce fléau, affirme l'institution, «la seule mesure relative à l'extension du parc pénitentiaire pour désengorger les prisons et améliorer les conditions de détention, n'impacte que peu la situation du surpeuplement.» Et de détailler : «cette situation entrave également la mise en œuvre des programmes d'humanisation des conditions d'incarcération et une meilleure application des programmes de rééducation des détenus. D'autant plus que ces répercussions se voient aggravées par la stabilité des allocations budgétaires attribuées annuellement au secteur pénitentiaire.» La DGAPR déploré dans un deuxième point le positionnement du secteur pénitentiaire et de la réinsertion, marquée par une autonomie incomplète. Alors qu'elle loue «une autonomisation du secteur pénitentiaire et de la réinsertion [qui] a eu un impact positif sur la modernisation du secteur et sur l'amélioration de l'image du Royaume au niveau mondial et des avantages en termes de gestion et de prise de décision, la consolidation des droits des détenus par le renforcement du contrôle administratif et judiciaire». La DGAPR en tant qu'institution sécuritaire «questionne aujourd'hui la pertinence de ce positionnement institutionnel» Dans un troisième point, la DGAPR évoque le financement des projets du secteur de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion, qu'elle décrit comme un «vrai dilemme» : «Les allocations budgétaires annuelles directes pour le secteur pénitentiaire (...) ne sont pas en phase avec l'augmentation continue du nombre des détenus et les chantiers de réforme entamés notamment en matière d'humanisation des conditions d'incarcération et de renforcement des programmes de préparation à la réinsertion. La volonté de poursuivre ces chantiers de réforme et de mettre en œuvre les projets sociaux se confronte malheureusement aux insuffisances budgétaires» indique l'institution, qui ajoute que les tensions budgétaires «sont accentuées à la fois par les besoins sécuritaires liés à la prise en charge des catégories spécifiques de détenus poursuivis ou jugées dans des affaires spéciales (extrémismes et radicalisme, le crime organisé intercontinental, la cybercriminalité, le trafic des stupéfiants, etc.) et par les besoins spécifiques de chaque détenu conformément au principe de l'individualisation de la peine.» S'agissant des ressources humaines, la DGAPR évoque un «effectif limité avec des missions lourdes» : «les insuffisances précitées ne se limitent pas aux allocations attribuées en matière d'investissement, mais elles touchent également les postes budgétaires dédiés annuellement au secteur pénitentiaire, au moment où l'on s'efforce d'améliorer le taux d'encadrement de la population carcérale, qui ne cesse d'augmenter, pour se conformer à la norme internationalement admise à ce propos, qui est de 1 surveillant pour 3 détenus. En 2019, ce ratio n'a pas dépassé en moyenne nationale 1 surveillant par 14 détenus, sachant qu'il s'agit d'une moyenne qui cache des situations très contrastées selon les établissements ainsi que les heures du travail» énonce l'institution. Dans le même sens, ajoute-t-elle, «la motivation du personnel pénitentiaire reste déficitaire en raison de l'inadéquation entre les indemnités accordées actuellement à cette catégorie de fonctionnaires de l'Etat et la nature des missions qui leur incombent ainsi que l'ampleur des risques encourus.» En ce qui concerne les contraintes à caractère social, la «préparation des détenus à la réinsertion nécessite de renforcer les efforts engagés». Dans ce sens, affirme DGAPR, «l'accomplissement de la peine exige pour exercer son effet réformateur que le traitement soit appliqué de la manière la plus individualisée possible, c'est-à-dire en tenant compte des spécificités propres au détenu. C'est pour cela qu'il convient non seulement de tenir compte des conditions matérielles de détention mais aussi de mettre l'accent sur les côtés mental et psychologique du détenu et sa volonté de se réinsérer dans la société après sa remise en liberté.» «Actuellement, la préparation à la réinsertion au Maroc se fait à travers des activités et des programmes certes multiples et diversifiés mais qui souffrent de l'engagement volontariste des différents acteurs institutionnels concernés faute d'une politique nationale de réinsertion claire et bien définie. Dans cette situation, et en l'absence d'intervention efficace en amont et en aval, les risques de la récidive restent assez probables», note l'institution. La réinsertion post-carcérale, elle, est «une mission sous-estimée», déplore DGAPR. «Le processus d'insertion des détenus libérés fonctionne sans aucune transversalité. L'inter ministérialité des politiques d'insertion n'est pas une réalité affirmée, ce qui grève évidemment leur efficacité. La fondation Mohammed VI pour la réinsertion fournit des efforts appréciables dans le domaine de la prise en charge post-carcérale. Elle a mis en place un dispositif de réinsertion socioprofessionnelle des détenus qui prend le relais à la libération et accompagne le détenu sur la base d'un projet de réinsertion). A la suite de la réinsertion sociale, l'ex-détenu est inséré dans le monde du travail soit par le placement dans une entreprise citoyenne, soit par la réalisation d'un micro projet pour l'auto-emploi. Les statistiques relatives aux bénéficiaires par rapport au nombre des détenus libérés annuellement accusent une insuffisance à ce propos, faisant appel à la nécessité d'institutionnaliser la prise en charge post-carcérale pour soutenir les efforts de la Fondation en matière de suivi des détenus libérés dans leur parcours de réinsertion sociale, afin de prévenir leur récidive.» Concernant le casier judiciaire, il y a «une rupture entre le discours de réinsertion et la réalité juridique» affirme DGAPR : «Il est indéniable que l'emploi occupe un rôle clé dans une démarche de réinsertion sociale. Ainsi, le casier judiciaire peut complexifier cette démarche en nuisant à la recherche d'emploi. Certes, ce document est un instrument utile et essentiel pour la justice pénale. Cependant, dans sa forme actuelle et ses utilisations, il constitue une véritable dysfonction du système pénal global, et traduit la rupture entre le discours de réinsertion et la réalité juridique.» Les préjigés de l'opinion publique entravant la réinsertion sociale des détenus, note DGAPR : «En prison, le détenu bénéficiait d'un ensemble de programmes de réinsertion. Il se sentait appartenir à un groupe et il était conscient de la communauté de son existence. Par contre, une fois libéré, l'ex-détenu subit le mépris de ses concitoyens et crée chez lui la tendance à retourner à la prison. Les Médias et la société civile devraient assumer une grande responsabilité dans l'orientation de l'opinion publique.» La DGAPR propose plusieurs pistes d'amélioration : «prévention du crime pour endiguer l'augmentation de l'effectif carcéral», «réorientation des efforts pour lutter contre la surpopulation carcérale», une «gouvernance de l'administration pénitentiaire qui concrétise une action pénitentiaire efficace, territorialisée et transparente», «de nouveaux moyens pour le financement des projets du secteur pénitentiaire» L'élément humain «pierre angulaire de tout projet de réforme» écrit DGAPR, insistant sur la « prise en charge pendant l'incarcération» et «d'humaniser l'espace carcéral mais aussi préparer pour réinsérer.» La lutte contre la récidive, un autre sujet qui préoccupe DGAPR : «Il convient de dégager des pistes de réflexion sur le travail en dehors de la prison selon un programme journalier stricte et ce dans le cadre du régime du système ouvert pour lequel le législateur doit définir un cadre juridique permettant ainsi de déterminer les modalités d'adoption et de mise en œuvre. Le travail d'intérêt général est une autre forme de travail prévue déjà dans le cadre des peines alternatives à l'emprisonnement qui connaissent un retard d'approbation. Cette forme de travail permettrait d'économiser les dépenses de prise en charge et de gagner sur le budget de l'Etat puisqu'il est prévu d'être effectué au profit de personnes morales ou d'associations d'utilité publique» détaille DGAPR Parmi les autres points mentionnés : l'accompagnement post-carcéral, le rôle de la société civile au profit de la réinsertion des détenus. Dans ce sens, «les acteurs de la société civile crédibles qui s'intéressent spécifiquement à la promotion des droits de l'homme et à la réforme pénitentiaire sont des acteurs indispensables tout au long du processus de la réforme ambitionnée. Actuellement, ces acteurs interviennent en prison à travers l'organisation de différentes activités au bénéfice des détenus. Cette contribution nécessite d'être davantage renforcée en mettant en place des programmes de réinsertion établis à l'avance et comportant des actions claires et des échéances bien déterminées pour donner plus d'efficacité à leur intervention», précise DGAPR. Et de conclure : «Étant donné que la question de réinsertion s'étend au-delà de la libération, ces organisations devraient contribuer à l'accompagnement des détenus libérés en matière de santé, de famille, de travail etc, pour favoriser leur réintégration sociale. Nul besoin de noter que la vision qu'esquisse la DGAPR dans ce document pour le secteur de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion s'inscrit dans le souci de préserver l'image du Royaume en tant que pays irréversiblement engagé dans la défense et la promotion des droits de l'homme.»