L'Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC) se mobilise contre la violence numérique qui touche particulièrement les femmes. Plusieurs articles de la loi 103-13 punissent les auteurs de ce type de violences. Association Tahadi, Derb Ghallef, Casablanca. Le centre d'écoute de l'ONG reçoit quotidiennement des femmes victimes de tous types de violences. Les cadres de l'association ont remarqué qu'un type bien particulier de violences contre les femmes prend des proportions alarmantes : la cyberviolence. Violence contre les femmes Harcèlement et chantage Houda (nom d'emprunt), une des victimes qui s'est adressée à l'association, a subi un harcèlement numérique de la part de son ancien époux. Ce dernier, pour la punir, et dans une tentative de la priver de la garde de leur unique enfant, a mis en ligne des photos et des vidéos à caractère sexuel sur Facebook et Whatsapp. Des documents qu'il a pu collecter par le biais d'une caméra cachée qu'il avait mise dans leur chambre à coucher. D'autres jeunes femmes ont vécu la même histoire de harcèlement, de chantage, avec des hommes qui leur étaient liés d'une manière ou une autre (petits amis, époux, concubins). Le refus d'obtempérer à leurs désirs (relations sexuelles ou sextorsion, argent) se termine par la diffusion de photos ou de vidéos à caractère sexuel sur les réseaux sociaux. «En 2016, nous avons reçu la première plainte de harcèlement numérique. De plus en plus de femmes sont victimes de harcèlement via le Net, de diffamation, de chantage sexuel. Aujourd'hui, les femmes ont la possibilité de poursuivre les auteurs de ces actes par le biais de la loi 103-13, adoptée en février 2018. Malheureusement, peu de femmes le savent», explique Bouchra Abdou, directrice de Tahadi. Le travail d'écoute réalisé par Tahadi montre que toutes les femmes peuvent être victimes de violence numérique. Après avoir refusé à un homme l'amitié sur Facebook, une autre victime raconte qu'elle a tout d'abord été victime d'insultes envoyées sur son compte. Puis, s'appuyant sur les informations contenues sur son compte, il a réussi à la localiser, puis a commencé à la suivre, à lui prendre des photos dans différents endroits, dans des restaurants, à la plage, et à les envoyer à ses contacts. Les auteurs de ces actes qui opèrent en grande majorité avec des faux comptes sont ainsi difficiles à identifier. «La société marocaine reste encore tolérante vis-à-vis de cette violence numérique. On vous sort l'argument que tout le monde fait ça, qu'il suffit de bloquer ou de prendre son mal en patience parce que ce n'est qu'Internet. Alors que c'est une atteinte au droit des femmes d'accéder librement et en toute sécurité au Net et aux réseaux sociaux», souligne Mme Abdou. Et d'ajouter : «Ces violences peuvent commencer sur le Net, mais elles passent dans bien des cas dans la vie réelle. Puis, quand on met en ligne des photos à caractère sexuel d'une femme, toute la société s'attaque à elle, la traitant de prostituée, de dévergondée. La société en veut toujours aux femmes, alors que les assaillants ne sont presque jamais inquiétés. Les conséquences psychologiques pour la victime sont parfois dévastatrices». En effet, des femmes ont dû changer de quartier, voire de ville afin d'échapper à l'opprobre et au regard des autres. Elles présument que tout le monde a vu la photo ou la vidéo «compromettante». L'association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté a participé à l'élaboration du rapport sur les violences faites aux femmes facilitées par la technologie à côté de l'association Amal pour la femme et le développement (Hajeb), la Fédération des ligues des droits des femmes (Ouarzazate), Anaouat pour femme et enfant (Chichaoua), Tafiil al moubadart (Taza), l'association Mhashass (Larache) et l'association Voix de femmes marocaines (Agadir). Un rapport préparé par Mobilising for rights associates (MRA). L'étude qui a été rendue publique fin novembre dernier et intitulée «Violence virtuelle, préjudice réel : promouvoir la responsabilité de l'Etat en matière de violences faites aux femmes facilitées par la technologie au Maroc», lève le voile sur ce phénomène encore peu connu chez le grand public. Du «en ligne» à l'«hors ligne» La violence en ligne, ce n'est pas seulement le harcèlement. Ce sont également, «des commentaires abusifs, la diffusion d'images privées, notamment à caractère sexuel à travers les réseaux sociaux, le chantage, les mensonges attentatoires à la réputation ou encore le sabotage électronique». Une des conclusions principales de l'étude, c'est que plus de la moitié des agresseurs sont inconnus de la victime. Quant à ceux de son entourage, ils sont issus de relations intimes, personnelles et professionnelles. Quant aux mobiles, ils sont en majorité des cas, «de la pression pour relations sexuelles, de l'extorsion pour de l'argent ou pour éviter des obligations légales en matière familiale». L'étude constate que ces violences sont fréquentes et répétées : «35% des répondantes vivent plusieurs incidents par jour et 57% d'entre elles ont signalé des actes de violence durant au moins un mois à plus d'un an». Autre conclusion majeure de l'étude : la violence «en ligne» engendre souvent une violence «hors ligne», dans le monde réel. L'étude insiste sur le fait que dans la majorité des cas, ces violences restent impunies puisque seuls 10% des femmes ont signalé ces violences numériques aux autorités publiques. Cela est dû au fait que les femmes méconnaissent les lois, mais aussi parce que «la majorité des femmes qui ont déclaré ces violences n'ont reçu aucun résultat, ni suivi». 70% des femmes interviewées sont restées silencieuses à propos de ces violences et n'ont pas demandé de l'aide de leur entourage personnel ou professionnel. Pour Tahadi, le travail de lutte contre les violences numériques passe par le changement des mentalités. A cet effet, l'association casablancaise a lancé une campagne intitulée: «La technologie numérique est pour apprendre et communiquer, non pour harceler». Les cadres de l'association se déplacent dans les établissements scolaires, de formation professionnelle et les instituts supérieurs pour sensibiliser sur la violence numérique basée sur le genre et aux techniques utilisées par les agresseurs. Ils organisent aussi des ateliers de formation au profit des cadres associatifs du Grand Casablanca. L'association a mis à contribution les artistes comme Mohamed Choubi, Abdelali Anouar et d'autres qui ont accepté d'associer leurs images à des slogans contre les violences numériques. Des capsules de sensibilisation sont également diffusées sur Whatsapp, qui devient, de plus en plus, le véhicule favori pour la collecte des informations chez bon nombre de nos concitoyens... Questions à Bouchra Abdou, Directrice de l'Association Tahadi pour l'égalité et citoyenneté