Au Maroc, on compte plus d'instagrameurs et de youtubeurs que de vrais influenceurs. Les taux d'engagement et de reach des influenceurs ont baissé drastiquement en 6 mois. La visibilité et la proximité avec les consommateurs sont les principales raisons du recours des marques à ce canal en attendant un système de paiement intégré aux réseaux sociaux et à la data. Youtubeur, instagrameur, influenceur..., sont des métiers nouveaux, arrivés avec la vague d'internet et des réseaux sociaux dans la fin des années 2000. Ces métiers différenciés rapportent gros à certains de leurs adeptes. Les catégories vont de nano influenceurs (moins de 10000 followers/suiveurs) à micro-influenceurs (plus de 20000) jusqu'au macro (plus de 100000) finissant par les mégas stars incontestées dans leur domaine (chanson, cinéma, mode, sport...) qui rallient des millions de followers. «Au Maroc, il existe surtout des instagrameur(ses) et des youtubeur(ses) qui ne sont pas encore arrivés au stade de l'influence», déclare Khadija Idrissi Janati, directrice générale de T'n'koffee, agence conseil en relations publiques et communication. Pour elle, porter une robe et exposer sa tenue du jour sur Instagram ou Youtube (seul réseau social à rémunérer les créateurs de contenu) équivaut à un acte de télé-achat et non d'influence. «Par contre, lorsqu'une star de la chanson telle que RedOne s'allie à une marque, elle véhicule une histoire, une image, un vécu et des track records qui interpellent sa communauté de followers. On se demande quelles sont les valeurs que véhiculent ces influenceuses?», ajoute-t-elle. Pour Nawal Houti, directrice de l'agence Brand Factory, spécialisée dans les relations Médias, influenceurs, RP et conseil et organisatrice du GIS (Global influencer summit), rendez-vous annuel des influenceurs au Maroc, le «métier» a déjà pris le virage de l'influence engagée. Après avoir vu et revu des postes sur la beauté, la mode, le maquillage et les voyages, la communauté de fans et/ou followers s'attend à s'inspirer et à apprendre de son influenceur. «Protection de l'environnement, encouragement au travail et à l'innovation, développement personnel, spiritualité, sport et fitness..., sont les principales préoccupations des followers aujourd'hui», explique Mme Houti. Aujourd'hui, les influenceurs qui présentent un contenu intéressant qui aide à l'apprentissage de nouvelles compétences et de connaissances bénéficient des meilleurs taux de suivi de followers. Déjà, les influenceurs conventionnels perdent en engagement et en interaction de leur communauté. Influenceurs followers Un taux d'engagement en baisse depuis 6 mois Selon les agences spécialisées, les taux d'engagement (interaction de la communauté avec l'influenceur à travers les mentions «j'aime», commentaires...) et de taux de reach (nombre de personnes exposées au contenu) ont baissé, en six mois. «On est passé d'un taux d'engagement (d'interaction) de 5 à 6% il y a 6 mois à 0,5% aujourd'hui même pour certains influenceur(se)s en vogue», déclare Mme Idrissi Janati. Généralement, les meilleurs influenceurs atteignent des taux de «reach» de 10 à 15%. En pratique, les chiffres sont bien plus bas. A titre d'exemple, une story réalisée pour la promotion d'une marque de smartphone par Laila Haddioui, influenceuse mannequin et actrice (4 millions de followers sur Instagram), n'a réalisé que 70 000 vues, soit un taux de reach (pourcentage de personnes exposées au contenu) de 1,75%. Salim Hammoumi, influenceur, comédien et vlogger (704000 followers) a pu réaliser 72 000 vues, soit un taux de reach de 10%. Les stories de Rawaa Beauty (1,8 million de followers) ont réalisé, elles, 110 000 vues pour le même type de produit. Ce qui correspond à un taux de reach de 6%. Sa performance a été expliquée par l'absence de teaser permettant de préparer et fédérer sa communauté autour du contenu qu'elle s'apprête à lancer. Généralement, les marques plébiscitent énormément ce canal de communication facile, pas cher et accessible. Un canal très demandé par les marques pour augmenter la visibilité «Qu'elles soient dans l'immobilier, la mode, le maquillage ou l'hôtellerie, les marques me contactent afin d'augmenter la visibilité de leur produit et non dans une approche commerciale. A titre d'exemple, les promoteurs immobiliers tels que Kettani Immobilier et les Villas d'Anfa font appel à moi pour améliorer la visibilité de leurs projets auprès de mes followers. Ces opérations m'assurent certes un revenu très respectable mais elles ne sont pas pérennes», déclare Mounia Senhaji, instagrameuse qui accumule 264 000 followers sur son compte. Pour elle, le métier d'influenceuse étant éphémère, elle privilégie les partenariats à long terme et prépare déjà une reconversion par le biais d'une agence pour la location de costumes. Les agences spécialisées déclarent très rarement payer les influenceur(ses) sauf en cas de service rendu telle que la production de vidéo pour la marque relayée à travers ses canaux de promotion ou une publicité directe. «On privilégie un échange de bons procédés: une invitation à un voyage ou un déjeuner, des produits gratuits… Par contre, certaines marques signent des contrats avec des influenceurs (ses) dont la valeur peut atteindre 250000 DH. Des stories ou des posts instagram sont parfois vendus entre 3000 et 8000 DH», remarque Mme Houti. Une visibilité très cher payée tenant compte des taux de «reach» et d'engagement précités. «Pour un produit bancaire, une influenceuse a été rémunérée à hauteur de 12500 DH. Mais la prestation, étalée sur 15 jours, comprend l'élaboration d'un teaser pour le produit, l'animation d'un concours et la participation à un événement». Outre la visibilité, les multinationales font, elles, appel aux influenceur(ses) pour créer une proximité avec le consommateur. Sous d'autres cieux, elles se transforment en machines à vendre, particulièrement quand le e-commerce est bien développé, intégré avec les réseaux sociaux, les systèmes de paiement et la data. Becky Li, influenceuse chinoise qui a écoulé 100 voitures Mini Cooper en 5 minutes sur son compte WeChat en est le parfait exemple. Certaines entreprises européennes ou américaines vont commencer à offrir aux stars et influenceuses un pourcentage sur les ventes réalisées à travers leur compte instagram. Adidas et Nike réalisent les premiers tests aux Etats-Unis. Au Maroc, on est encore cantonné aux opérations de codes promo et de give-away (concours réalisés pour permettre aux followers de gagner des cadeaux aux followers) faute d'un développement de e-commerce et de moyens de paiement par carte. «Cette opération éphémère dure pendant quelques semaines, permettant aux followers d'acheter dans les magasins ou à travers les sites de e-commerce l'article de leur choix avec le code de promotion de l'influenceuse bénéficiant d'une réduction en magasin», explique Mme Idrissi Janati. Le métier d'influenceur va sûrement évoluer ou réaliser un virage vers l'engagement social et sociétal plus cher aux internautes que les nombreuses futilités du Net.