Le bilan du contrat-programme 2010-2015 est occulté. Reconduits jusqu'en 2020, les objectifs initiaux risquent d'être obsolètes. Le déficit de formation et le coût du foncier pointés du doigt. Le Maroc a encore beaucoup à faire dans le domaine de la logistique. L'un des objectifs initiaux de la Stratégie adoptée pour le secteur était de ramener le poids du coût logistique sur le PIB de 20% à 15% en 2015 déjà. Cet objectif n'a jamais été atteint, et continue de figurer aujourd'hui parmi bien d'autres priorités telles l'installation de zones logistiques, la décongestion des routes, l'éradication de l'informel et l'amélioration de la compétitivité par les coûts, identifiées par les acteurs du secteur comme points vitaux conditionnant le développement du secteur. C'est ce qu'affirme Hicham Mellakh, président de la commission logistique à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Dans une déclaration à La Vie éco, il a estimé que «le manque de visibilité, la concurrence déloyale exercée par le secteur informel, le déficit en termes de formation du personnel et le coût du foncier» étaient des facteurs hautement handicapants auxquels il faut impérativement s'attaquer. La carte professionnelle n'est toujours pas exigée Mais au-delà de ces problématiques, «il n'existe, à ce jour, aucun bilan des réalisations menées par les précédents contrats-programmes. Celui de 2010-2015, en l'occurrence, a simplement été reconduit à 2015-2020, sans que le moindre enseignement n'en soit tiré, ni le moindre chiffre publié. Sur la chaîne de valeur, depuis l'arrivée des conteneurs sur les ports jusqu'à leur stockage, en passant par le transport, l'éclatement, l'acheminement vers les points de livraison, etc., aucune donnée sectorielle n'est disponible. Chaque opérateur connaît, bien évidemment, ses coûts. Mais personne ne connaît le poids global de cette chaîne», observe Hicham Mellakh. «Nous ne savons toujours pas ce qui a été réalisé ou non dans le cadre de ce contrat-programme, et nous ignorons le taux d'avancement des chantiers entamés. Est-ce 10%, 15%, 20% ? Nul ne le sait. Ce que nous savons, par contre, c'est que les zones logistiques n'existent toujours pas, à l'exception de quelques efforts de concentration sur certaines régions ; qu'aucun accompagnement à l'externalisation n'est mis en place ; que l'informel gangrène toujours le secteur ; et qu'aucune visibilité n'est donnée aux investisseurs alors que l'amortissement de tels investissements se fait sur 10 à 15 ans», poursuit-il. M. Mellakh n'écarte pas la possibilité que les objectifs fixés, reconduits indéfiniment depuis plus d'une décennie, risquent fort bien d'être obsolètes. Les opérateurs explorent aujourd'hui la transformation digitale du secteur, certains l'ont même entamée. Mais les aspirations du contrat-programme reposent toujours sur des conclusions tirées voilà plus de 15 ans, qui ne prennent en compte aucune des évolutions qu'a connues le secteur depuis. Il considère que l'un des aspects les plus urgents et les plus «évidents» qui tarde, pourtant, à être traité est la carte professionnelle des chauffeurs. «Plusieurs conducteurs prennent le volant pour acheminer des conteneurs, alors même qu'ils ne disposent pas de carte professionnelle. C'est un problème que nous avons relevé au début des années 2000, et contre lequel rien n'a été fait. Il y va tout de même de la sécurité des citoyens car les accidents se multiplient sur les routes», commente-t-il. Le contrôle fait défaut Lors de la 8e édition du Salon Logismed, tenu à Casablanca du 9 au 11 avril 2019, les intervenants, alliance des représentants de Portnet, l'Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL) et l'Organisation de la coopération islamique (OCI), y avaient traité plusieurs de ces problématiques. Parmi elles, les technologies disruptives à la logistique, le développement d'écosystèmes commerciaux transfrontaliers, la distribution et le désengorgement des flux sur le réseau routier, la formation et les compétences que le secteur requiert aujourd'hui, l'accompagnement des entreprises dans leurs démarches d'ouverture au marché mondial, le poids de la bureaucratie, la compétitivité et les voies de maîtrise des coûts. Autant de chantiers qui concentrent l'intérêt des parties prenantes, mais dont le développement reste plombé par l'informel qui gangrène le secteur, ainsi que le manque de structure et de contrôle sur le terrain. C'est ce qu'indique Ahlam Amrani, directrice générale d'Eslog, opérateur marocain spécialisé dans la logistique internationale et membre du Global Logistics Associates (GLA). «En tant que logisticiens, la pérennité de nos activités est fondamentalement basée sur le capital confiance que nous construisons avec nos partenaires, clients et transporteurs. Il y va de notre crédibilité. Malheureusement, la persistance d'acteurs peu scrupuleux dérange dans la mesure où ces derniers n'hésitent pas à contourner la loi et les règles en place pour réaliser du chiffre, souvent aux dépens de la crédibilité du secteur», explique-t-elle. Ahlam Amrani fait également remarquer que «cette situation est fortement dommageable parce que l'on voit apparaître des pseudos logisticiens sans la moindre expérience ni la moindre crédibilité sur le marché, mais qui arrivent tout de même à attirer une clientèle appâtée par la faiblesse du coût des prestations, et parfois la promesse de services en opposition avec les clauses stipulées dans les contrats signés, tel l'acheminement des marchandises avant que le fournisseur ne soit payé, par exemple». La recrudescence de telles pratiques a pour effet de «créer des situations malencontreuses pour les acteurs du secteur tels l'abandon de marchandises sur le port parce qu'un client n'est pas arrivé à payer ses dus, l'accumulation de surestaries, souvent à la charge du logisticien qui ne dispose que de très peu de recours, la captation de clients mal informés par des transporteurs informels et bien d'autres situations plus rocambolesques les unes que les autres», poursuit la directrice d'Eslog. Peu de coordination entre les secteurs Elle appelle ainsi à «une meilleure structuration du secteur, avec un contrôle plus étoffé sur le terrain», et estime que «la Stratégie logistique nationale va dans le bon sens. Au vu de l'état actuel des choses, tout changement ne peut être que bénéfique». Seulement, le président de la commission logistique à la CGEM insiste sur la dangerosité d'avancer sur une telle stratégie sans la moindre visibilité. «Certes, nous remarquons avec satisfaction que les choses commencent à bouger avec la nouvelle équipe de l'AMDL. Cela dit, nous ne pouvons concevoir une quelconque amélioration sans, d'une part, avoir de la visibilité – ce qui est le minimum requis avant d'inciter les acteurs du secteur à externaliser ou à s'investir -, et, d'autre part, une synergie dans la formulation des stratégies sectorielles», analyse-t-il. Il explique en substance qu'il y a une impression que chaque secteur travaille seul dans son coin. Ce faisant, il ne faut pas s'étonner que les projets tardent à voir le jour. M. Mellakh cite, entre autres, le cas des zones logistiques. «Leur absence crée une situation pour le moins dangereuse pour les importateurs car certains font confiance à des opérateurs informels qui ne respectent ni le risque de détérioration des marchandises, ni les conditions d'acheminement qu'elles requièrent», regrette-t-il. L'instauration de l'ICE (Identifiant commun de l'entreprise) par la DGI (Direction générale des impôts) et l'ADII (administration des douanes et impôts indirects) étant un pas dans le bon sens, il est à relever, toutefois, que «90% des marchandises acheminées sont stockées dans des dépôts informels afin d'échapper aux contrôles. Certains acceptent les risques encourus, pensant réaliser des économies. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que lesdites économies sont réalisées à très court terme. Les pertes occasionnées par la détérioration des biens sont parfois si importantes que des sociétés sont obligées de mettre la clé sous la porte», confie M.Mellakh. Mohamed Yousfi, directeur général de l'Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL), explique que «les zones logistiques, composées de plusieurs plateformes logistiques, lesquelles sont composées de bâtiments et d'installations logistiques, développés sur de grandes surfaces, constituent des projets de développement assez importants et ne peuvent pas, de ce fait, échapper au contrôle des autorités». Ce dernier confie que «faute d'absence d'une offre de zones logistiques à services publics (multi-utilisateurs), adaptée aux besoins des acteurs économiques, plusieurs développements dispersés prolifèrent d'une manière non maîtrisée et parfois dissimulée en changeant la destination initiale des locaux». Cela a pour effet «une réalisation de bâtiments logistiques non adaptés en dehors des zones logistiques planifiées par la stratégie nationale», poursuit-il. Comme quoi il faut encore se retrousser les manches sans quoi les objectifs ne seront que des illusions. [tabs] [tab title="Contrat-programme : entre ambition et réalité" id=""]Le contrat-programme 2010-2015 devait ramener les coûts logistiques, principalement ceux des produits de grande consommation et des matériaux de construction, de 20% à 15%. Certains acteurs du secteur estiment que ce coût n'a été baissé que de 2 points de base tout au plus. Aussi, il était question de mobiliser le tiers du foncier nécessaire au déploiement du réseau national de zones logistiques. Aujourd'hui, les projets sont toujours en attente, et l'AMDL compte sur l'année 2019 pour actionner plusieurs de ces chantiers. Le secteur contribue, toutefois, à hauteur de 5,1% du PIB, contre près de 3% voilà près de 10 ans, d'après l'annonce faite par Abdelkader Amara, ministre de l'équipement, du transport, de la logistique et de l'eau, lors de son intervention à l'occasion de la 8e édition du Logismed. Au regard des objectifs initialement fixés, cette croissance constituerait, selon les opérateurs, la seule réalisation palpable des précédents contrats-programmes.[/tab] [/tabs]