Mohamed Talal, président de la Commission logistique à la CGEM Les entrepôts informels, le non respect des normes de transport pour certains produits, les formations à la mode souvent incompatibles avec les besoins du marché... le président de la commission logistique à la CGEM s'insurge contre les pratiques anarchiques caractérisant le secteur au Maroc. Non seulement il faut une application stricte de la loi, mais Mohamed Talal plaide aussi pour doter l'Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL) d'un pouvoir de contrôle et de régulation, quitte à la rattacher au ministère de l'Intérieur. Les Inspirations ECO : Quelles sont vos attentes par rapport à l'édition 2017 du Logismed? Mohamed Talal : Le salon Logismed est surtout axé sur la gestion financière et gestion des risques. Il s'agit de faire comprendre aux chefs d'entreprises, notamment les PME, que nous vivons dans un monde en pleine mutation. Si l'entreprise investit dans ses propres entrepôts logistiques, il suffit d'un retournement de marché pour rendre ces installations obsolètes. Le marché évolue continuellement. Les habitudes de consommation changent. Des entreprises opérant dans l'agroalimentaire ont disparu à cause de leur modèle logistique. Logismed est l'occasion d'expliquer aux entreprises que l'externalisation logistique permet d'être flexible et réactif. Chacun doit faire son business. Au lieu d'aller s'endetter pour construire un bâtiment logistique qui n'est pas dans son cœur de métier, l'entreprise ferait mieux d'investir dans le marketing, le commercial, la recherche et développement. C'est aussi une question de gestion de risque puisqu'elle ne peut pas mutualiser les moyens avec d'autres opérateurs, contrairement aux prestataires logistiques. Il faut compter vingt ans avant de pouvoir amortir un bâtiment, or les investissements ne peuvent pas être toujours rentables à moyen et long termes. Pas moins de 600 ha de zones logistiques sont d'ores et déjà aménagés, mais la demande a encore du mal à se manifester. Quelles mesures faut-il prendre pour booster le secteur de la logistique? L'AMDL doit avoir un rôle de régulation, chose qu'elle n'a pas aujourd'hui. Ce n'est pas normal. L'AMDL a fait du très bon travail au niveau du contrat-programme et des contrats d'application, a mené de nombreuses études, a formulé plusieurs recommandations, a arrêté des plans d'action; le développement de la logistique à l'échelle régionale, la logistique urbaine, les plateformes logistiques, tout est prêt. Maintenant, l'AMDL doit avoir une mission de contrôle. Elle doit veiller au respect des normes (transport de produits chimiques, transport des médicaments à température dirigée, transport de fruits et légumes à température contrôlée, etc). Il faut une loi pour octroyer à l'AMDL ce rôle de régulation, à l'instar de l'ANRT et de l'ANP. Aussi, il faut appliquer la loi pour interdire le stockage des marchandises dans les quartiers périphériques. Tolérer ces pratiques, c'est encourager le secteur informel. Non seulement cela échappe au fisc, mais cela génère aussi une concurrence déloyale pour les entreprises structurées qui respectent la loi. Par ailleurs, le contrôle doit se faire sur toute la chaîne de valeur. Prenons l'exemple des produits frais. L'entreprise peut fabriquer, stocker et distribuer ses produits dans les normes. Mais quand ça arrive chez le grossiste ou bien chez le détaillant, les conditions ne sont pas respectées. D'où la nécessité de contrôler la chaîne jusqu'au détaillant. Les entrepôts structurés sont, eux, contrôlés par l'ONSSA. Si l'on interdit le stock du secteur informel, pesant pour près de 80% du marché de la logistique, le client aura la garantie d'un strict respect des normes et des règles de stockage. Le domaine d'intervention de l'AMDL revêt un caractère transversal. Pensez-vous qu'il serait judicieux de la rattacher directement au chef de gouvernement? Le fait que l'AMDL soit rattachée au ministère du Transport ne pose pas de problème à mon avis. Est ce que la primature est en mesure de piloter l'AMDL? Je pense qu'elle doit rester sous la tutelle de l'Equipement et du transport, ou bien le ministère de l'Intérieur pour dissuader ceux qui badinent avec l'hygiène et la santé des citoyens. Se pose aussi un problème de sécurité en cas de contamination ou de pénurie de produits stratégiques. L'AMDL doit absolument avoir ce rôle de régulation. Quid de la formation? Plusieurs écoles proposent aujourd'hui des modules spécialisés dans les métiers de la logistique. L'offre actuelle en formation est-elle suffisante pour répondre à la demande du marché? L'enjeu n'est pas dans la quantité, mais bel et bien dans la qualité. Il existe aujourd'hui un décalage entre les formations et les attentes des entreprises. Un travail de fond a été fait par l'AMDL avec la Fédération du transport et la Commission formation professionnelle de la CGEM pour justement mettre en adéquation les programmes de formation avec les besoins du marché du travail. Seulement voilà, chaque école met en place une formation qu'elle estime la plus adaptée. Ces écoles relevant du privé pour la plupart n'ont qu'un objectif mercantile. Un conducteur de chariot élévateur a-t-il besoin d'apprendre l'anglais? Un futur patron de sites logistiques a-t-il besoin de maîtriser les techniques de marketing? À la limite, ces formations servent à former des spécialistes en commerce international et non des logisticiens. Il est temps de réglementer et d'encadrer les formations en logistique.