Nous autres «modernistes» avons beaucoup de mal à concevoir qu'une femme qui se couvre les cheveux puisse être une femme libre. Or, l'événement qui vient de se tenir à Barcelone montre que certains, a priori, méritent d'être revus. Depuis la date fatidique du 11 septembre, l'Occident n'a plus d'yeux que pour l'Islam. Non point l'Å"il énamouré de Chimène mais le regard suspicieux de l'inquiet. Les attentats terroristes d'Al Qaà ̄da associés à l'émergence d'un Islam européen ont valu aux musulmans un intérêt appuyé – et parfois trouble – dont ils se seraient largement passés. On scrute à la loupe leurs capacités à se développer, on s'interroge sur leur solubilité dans la modernité, on se préoccupe de leur aptitude à la démocratie. Les médias trouvent dans cette thématique un marronnier qu'ils ressortent à intervalles réguliers. Après avoir multiplié les gros titres sur l'extrémisme islamique, l'attention s'est focalisée sur les réformateurs dont la lecture et l'interprétation des textes sacrés réconcilient l'islam avec l'esprit et les valeurs du temps présent. Le statut de la femme est l'une de ces questions essentielles sur lesquelles les musulmans sont appelés à revoir leur copie. Qu'ils se nomment Arkoun, Talbi, Charfi ou Filali Ansari, les «nouveaux penseurs de l'Islam» s'accordent à reconnaà®tre que l'égalité des sexes, au même titre que la liberté de conscience ou l'ouverture à l'autre, est au cÅ"ur de la problématique de la modernité posée aux musulmans. Mais ces prises de parole réformistes auxquelles les médias font référence, pour émancipatrices qu'elles soient, restent une fois de plus masculines… Pourtant, dès lors que l'on prête l'oreille, un autre bruissement est perceptible : le bruissement du féminin. Bien qu'encore peu audible, sa sonorité est réelle. De l'intérieur de cette tradition islamique qui fait si peur, des voix de femmes sont en train de s'élever. Du coup, la subversion en matière de réforme devient totale. L'an passé, en France, l'affaire du voile a enflammé les passions entre les partisans et les adversaires de la loi interdisant le port du voile à l'école. Ce fut l'occasion de voir émerger sur la scène médiatique française des jeunes voilées dont la personnalité tranchait avec l'image de passivité et de soumission habituellement associée aux mouhtajibates. La conviction avec laquelle elles prônaient leurs idées et, parfois aussi, la pertinence de leur argumentation en matière de respect des libertés donna souvent du fil à retordre à ceux à qui elles portaient la contradiction. Le port du voile demeure cependant associé à réclusion et obscurantisme aux yeux des défenseurs laà ̄cs des droits de la femme. Nous autres «modernistes» avons beaucoup de mal à concevoir qu'une femme qui se couvre les cheveux puisse être une femme libre. Or, l'événement qui vient de se tenir à Barcelone le week-end du 27 au 29 octobre montre que certains, a priori, méritent d'être revus. Dans la capitale catalane en effet, une rencontre a eu lieu. Un congrès international plus exactement. Lequel ? Le premier Congrès international sur le féminisme islamique. Ni plus ni moins. Associer islamique à féminisme provoque le sursaut. Etre féministe impliquait jusque-là d'appartenir nécessairement à la mouvance moderniste. Eh bien non, ce n'est plus le cas. Il est aujourd'hui des femmes se situant à l'intérieur de la tradition islamique et portant le voile qui se revendiquent féministes. Mais féministes islamiques. Non pour nier l'universalité de la lutte pour les droits des femmes mais pour «contextualiser» celle-ci . «Le qualificatif islamique ne peut pas être la définition d'un type de féminisme différent et opposé de l'Occidental, explique l'organisatrice de cette manifestation, Ndeye Andujar, vice-présidente de Junta Islamica Catalan. En même temps, il faut contextualiser le problème de la libération dans le cadre de l'islam afin que cette lutte soit efficace». Au cours de ce congrès qui regroupa 400 participants, il fut question de «jihad de genre» et de «lutte contre les interprétations machistes des textes sacrés». Pour ces féministes islamiques, les hommes, en imposant une lecture patriarcale des textes sacrés, ont dénaturé le message de l'islam, message dont l'égalitarisme serait contraire à la suprématie de l'homme sur la femme. Depuis une dizaine d'années, elles seraient ainsi plusieurs, disséminées à travers le monde, à travailler à une relecture féminine du Coran et de la Sunna. Amina Wadud, cette professeur d'études islamiques aux USA qui fit scandale l'année passée en conduisant la prière devant des fidèles des deux sexes, est l'une de ces militantes qui prônent l'égalité totale des sexes en Islam. L'un des moments forts du colloque fut d'ailleurs celui oà1 elle prononça la khotba du vendredi et dirigea à nouveau le prêche devant un public composé d'hommes et de femmes. Etre une femme éprise de liberté et d'égalité tout en étant une fervente musulmane attachée à sa foi, cela ne serait donc plus incompatible. Le voile, dans cette perspective, redeviendrait à ce qu'il devrait toujours être : une histoire personnelle, une affaire intime entre une croyante et son Dieu