Quarante grands barrages sont touchés dont onze ont perdu plus de 20% de leur capacité. Pour lutter contre ce fléau, le département de tutelle déploie une série de mesures préventives et curatives. Trop cher, le dragage est l'ultime recours pour restaurer la capacité de retenue. Un malheur ne vient jamais seul. Surexploitation des ressources hydriques, déficit pluviométrique, changements climatiques… Ces phénomènes augmentent le risque d'un stress hydrique sévère au Maroc. Moins médiatisé, l'envasement des retenues des barrages est un autre fléau qui menace la sécurité hydrique du pays. Selon les chiffres les plus récents du secrétariat d'Etat chargé de l'eau (SEE), l'impact de l'envasement des retenues des barrages sur leur capacité de stockage est de 75 millions de m3 en moyenne par an. La capacité totale perdue est évaluée à près de 2100 Mm3, soit près de 11% de la capacité de stockage des barrages. Plus inquiétant encore, le rythme actuel de perte de capacité pourrait s'accélérer sous l'effet de l'évolution du taux de mobilisation du potentiel en ressources en eaux superficielles et l'accentuation de l'érosion par la sollicitation accrue des sols et du couvert végétal. «L'envasement varie d'une région à l'autre en fonction du régime pluviométrique, du relief, du couvert végétal – cultures, parcours, forêts – et de la superficie du bassin versant. L'aridité du climat du Maroc, la dominance du relief montagneux, la dégradation du couvert végétal par la sécheresse et la surexploitation humaine, conjuguées à la violence des crues, notamment en saison sèche, amplifient le phénomène», explique un cadre en charge du dossier au sein du SEE. Ce phénomène sape l'effort d'aménagement des eaux de surface en réduisant les capacités de stockage de ces retenues par le fait d'accumulation des sédimentations avec le temps. De même, il impacte les performances de la retenue du barrage en réduisant sa capacité de régularisation et sa durée de vie. «S'il est le résultat des répercussions négatives de l'érosion en amont, l'envasement a des répercussions négatives qui ne se limitent pas au niveau du barrage; elles s'étendent aux infrastructures de transfert, d'adduction, de distribution et de traitement en aval. Ces répercussions se traduisent par le renchérissement du coût de l'eau à travers des actions aussi bien préventives que curatives», poursuit notre interlocuteur. Ce fléau n'épargne aucun barrage ou presque. Toujours selon le SEE qui fait le suivi régulier de l'envasement des retenues via des études bathymétriques, 40 grands barrages parmi les 140 que compte le Royaume sont impactés. Les plus anciens sont les plus touchés. Ainsi, les barrages Mohammed V (Moulouya) et Abdelkrim Al Khattabi (près d'Al Hoceima) ont perdu plus de 50% de leur capacité de stockage. Le barrage Nakhla a, quant à lui, perdu entre 40 et 50%. Dix sept autres grands barrages tout aussi névralgiques, dont ceux de Lalla Takerkoust (Marrakech), Mansour Eddahbi (Ouarzazate), Hassan Eddakhil (Errachidia), ont vu leur capacité fondre de 10 à 30% . Pour les 20 barrages restants – dont Al Massira, Abdelmoumen, Tanger-Med, Al Wahda – l'impact sur la capacité de stockage ne dépasse pas 10%. Gestion conservatrice des sols Le département de tutelle déploie deux types de mesures pour minimiser l'envasement des retenues. Il s'agit, en effet, de mesures préventives et à caractère curatif. Les premières concernent trois niveaux. D'abord, l'atténuation des effets de l'envasement est prise en compte lors de la conception de l'ouvrage par la réservation d'une tranche morte dimensionnée pour la durée de vie du barrage et destinée au stockage des sédiments de manière à garantir les objectifs en matière de régularisation des eaux par ces ouvrages. Ensuite, l'aménagement de bassins versants permet la régularisation et la préservation des eaux à leur source via la promotion d'une gestion conservatrice des sols en amont. Plusieurs techniques sont mises en œuvre – comme pour la plantation d'arbres et d'arbustes fourragers -, dont l'impact sur la réduction de l'érosion va de 25 % à 75% avec la construction de terrasses. Enfin, il est procédé à la réalisation des seuils et des barrages de protection. «Depuis les années 80, le Maroc a lancé une campagne de construction de barrages de petite taille pour atténuer les effets de la sécheresse et protéger les grands barrages en aval en retenant une partie de l'érosion en amont», détaille notre source au département de Charafate Afailal. Côté curatif, trois mesures sont déployées. La première est relative à la gestion des transports solides. Plusieurs techniques sont utilisées, dont la réalisation de lâchers au cours des périodes de crues permettant l'évacuation d'importantes quantités de sédiments ainsi que l'évacuation des sédiments par chasse d'eau. De même, l'évacuation des sédiments par chasses d'eau à niveau bas est également de mise, sauf qu'elle doit être prévue au départ lors de la conception du barrage. Deuxième mesure curative: la récupération de capacité par surélévation. «La surélévation d'un barrage, quand elle est possible techniquement, permet la récupération de capacité de stockage perdue par envasement de la retenue et, partant, le rétablissement, voire l'amélioration du niveau de régularisation assigné à l'aménagement. Quatre barrages ont déjà fait l'objet de surélévation: Lalla Takerkoust, El Kansera, Oued Mellah et S.M.B. Abdellah», fait remarquer notre interlocuteur. Enfin, le désenvasement des retenues par dragage s'impose comme une solution adéquate pour prolonger leur durée de vie et assurer leurs services à des niveaux acceptables. Cette technique reste donc le recours ultime dans le cas où l'envasement d'une retenue atteindrait des niveaux très critiques en raison du coût très élevé du mètre cube de capacité récupérée. Au Maroc, deux expériences de dragage ont été menées au niveau des barrages Sidi Driss et M.Hamadi avec des techniques différentes. Le recours à cette solution a été dicté par le besoin urgent de récupérer le maximum de capacité au niveau de ces deux retenues de compensation ayant connu des taux d'envasement très critiques. Somme toute, l'envasement des retenues de barrages est une énième problématique hydrique qui rappelle, si besoin est, que l'eau sera l'or de demain.