Après avoir eu la peau d'Uber, les taxis veulent améliorer leur qualité de service en s'adossant à l'application française Heetch. Careem est maintenant seule à faire face au syndicat des taxis. Disposant d'une autorisation de transport touristique et ciblant une clientèle haut de gamme, des opérateurs comme votrechauffeur.ma évitent le bras de fer. «Le phénomène de l'ubérisation est inéluctable». Ce ne sont pas les termes d'un geek ou d'un manager d'une plateforme digitale de voitures de transport avec chauffeur (VTC), mais bien ceux de Abdessadek Boujaara, le numéro un du Syndicat national des taxis marocains (UMT). Livrant une guerre sans merci contre les chauffeurs des applications VTC Uber et Careem via des guets-apens, ce syndicat estime que les recettes des taxis ont chuté de 30%. «Ce sont des khettafas (transporteurs clandestins, ndlr) qui utilisent la technologie», accuse Boujaara, qui fait savoir au passage qu'aucun dialogue n'a eu lieu entre les parties prenantes du secteur du transport, aussi bien au niveau local que national. Du point de vue de la loi, la wilaya de Casablanca a pourtant toujours été du côté des taxis. «Uber et les autres applications sont illégales», affirme une source interne. Usé par les harcèlements du syndicat et mécontent de l'absence de tout signe d'évolution du cadre réglementaire, Uber a suspendu ses activités, lundi 19 février. Dans la rubrique Echos du dernier numéro de La Vie éco (www.lavieeco.com), nous avions évoqué le départ de l'équipe dirigeante. «Au Maroc, ce sont près de 19 000 utilisateurs réguliers qui se déplacent avec Uber et 300 chauffeurs qui utilisent notre application. Mais l'incertitude réglementaire actuelle ne nous permet pas de fournir une expérience sûre et fiable, qui répond aux exigences de nos clients, chauffeurs comme passagers. Ainsi, tant qu'il n'y aura pas de vraie réforme et un environnement favorable aux nouvelles solutions de mobilité, nous sommes contraints de suspendre nos opérations, dès cette semaine», lit-on dans le communiqué annonçant la suspension des activités d'Uber au Maroc. Uber est vaincue, mais les chauffeurs de taxi sont loin d'avoir enterré la hache de guerre. Leur syndicat mène d'autres actions pour venir à bout de ses nouveaux concurrents. Heetch cible une clientèle haut de gamme «Primo, nous préparons un dossier pour mener une bataille juridique contre les applications illégales pour concurrence déloyale. Secundo, nous travaillons sur la mise à niveau de notre profession et l'amélioration de la qualité de service qui laisse parfois à désirer», confie le secrétaire général du SNTM. En fait, le syndicat s'est allié en novembre 2017 à la firme française Heetch en lançant «Fiddek», un service VTC légal couplé à un label. Le concept est d'offrir aux utilisateurs de l'application un service premium à bord de taxis en déboursant 10 DH de plus que le prix affiché au compteur. Les chauffeurs des taxis labellisés Fiddek sont tenus de respecter une charte de qualité. Et ce n'est pas tout. Heetch joue sur la fibre sociale des clients puisque tous ses chauffeurs disposent d'une couverture sociale. A ce jour, l'application a dépassé la barre de 10000 téléchargements et le cap de 100 courses par jour. «Contrairement à nos concurrents, nous avons fait le choix de travailler avec les taxis dans une logique win-win. Au lieu d'étendre l'offre en impactant les revenus des professionnels, notre vision consiste à augmenter la valeur ajoutée et la qualité du service», soutient Hicham Amadi, le patron de la filiale marocaine d'Heetch. S'il est encore prématuré d'évaluer les retombées de la stratégie d'Heetch au Maroc, il faut dire que son modèle représente une évolution majeure dans le marché naissant des VTC. «Les entreprises technologiques opérant dans le secteur des VTC adaptent leurs offres selon les spécificités de chaque marché et de ses évolutions. Uber, par exemple, a choisi de s'implanter à Tel-Aviv en associant les taxis, mais pas au Maroc. Or, sur le marché marocain, j'estime qu'il est difficile de réussir sur le long terme en court-circuitant les taxis. Heetch a eu raison de les associer», explique Ismaël Belkhayat, co-fondateur de votrechauffeur.ma, un autre opérateur VTC présent sur le marché depuis 2015. Comme Heetch, cette entreprise a choisi un modèle différent de celui d'Uber et Careem. Opérant avec une autorisation de transport touristique adossée à une agence de voyages, elle cible une clientèle haut de gamme composée de touristes marocains et étrangers et de professionnels. Elle réalise chaque mois 4 000 courses et dispose d'un portefeuille de 20 000 utilisateurs. «Nous avons volontairement développé une offre haut de gamme avec la tarification la plus chère sur le marché pour faire en sorte de ne pas piocher dans la clientèle des taxis. La recette marche et nous sommes rentables», poursuit M. Belkhayat. «Les applis VTC font du dumping. En plus de ne pas disposer d'agréments, elles subventionnent les courses pour gagner des parts de marchés», surenchérit M. Boujaara. Ce que confirme le co-fondateur de votrechauffeur.ma en évoquant les pertes record d'Uber à l'échelle internationale. Meryem Belkziz, DG d'Uber au Maroc, n'a pas donné suite aux sollicitations de La Vie éco. Cependant son expérience, aussi malheureuse soit-elle, a fait bouger les lignes dans le transport. «Il faut reconnaître qu'Uber a joué un rôle très important pour le développement du secteur. Le buzz qu'il a fait et ses investissements dans la promotion ont développé la demande», analyse le co-fondateur de votrechauffeur.ma. Uber a malgré tout apporté un souffle de modernité dans le secteur Careem, l'ex-challenger d'Uber au Maroc, arrive à tirer son épingle du jeu, à en croire son top management. Fondée en 2012 à Dubaï, cette entreprise opère dans 14 pays de la région Mena, en plus de la Turquie et du Pakistan, et compte 500 000 chauffeurs. Au Maroc, elle totalise 1 000 chauffeurs et 100 000 utilisateurs à Casablanca, Rabat et Marrakech selon Ibrahim Manna, directeur général des marchés émergents de l'entreprise. «Nous avons réalisé une forte croissance sur les trois années d'activité. Nous demeurons confiants quant au potentiel de ce marché», déclare M. Manna qui est cependant muet sur la rentabilité. «Contrairement à Uber, Careem a su bien gérer sa relation avec les taxis. Dès le départ, son management a montré sa volonté de collaborer avec eux. Une des clés de réussite dans le secteur des VTC est la gestion de la relation avec les taxis. De plus, Careem a été plus discrète et n'a pas l'image de monstre à l'international comme son concurrent», commente M. Belkhayat. Si le marché des VTC présente un potentiel confirmé du fait de l'urbanisation, de l'élargissement de la classe moyenne et du développement du tourisme, en profiter n'est pas une mince affaire, constatent à l'unisson nos interlocuteurs.