Les déchets de cuivre fournissent 40 à 50% des besoins des industries locales Les ferrailleurs préfèrent les exporter en raison des prix plus intéressants. Tout comme pour le sucre, le blé, le bois, le Maroc subit de plein fouet les perturbations du marché mondial du cuivre. De plus en plus recherché, ce métal a vu ses cours sur le marché national suivre la hausse des prix sur les marchés internationaux. De 2003 à 2006, le prix de la tonne est passé de 2 500 à 8 500 dollars (20 000 à 68 000 DH). Du coup, durant cette même période, le kilo de déchets de cuivre a franchi la barre des 53 DH/kg contre 15 DH/kg en 2003. «Cette envolée des cours a attisé la convoitise des intermédiaires européens et asiatiques relayés par les ferrailleurs exportateurs marocains», explique Adnane Lamdaouar, PDG de MacZ, première industrie métallurgique du cuivre et alliages au Maroc (installée à Témara), dans une lettre adressée fin 2006 au ministre de l'industrie, du commerce et de la mise à niveau de l'économie. Cette missive résume à elle seule les doléances d'un secteur qui se trouve privé de ses matières premières, à savoir les déchets de cuivre. Une étude, diligentée par le ministère en collaboration avec l'Union européenne, est arrivée à la même conclusion. Ce document à caractère confidentiel, destiné à l'usage des seuls professionnels, du ministère et de la Commission européenne, et qui a été achevée en mai dernier, fait un constat alarmant. «Les exportations massives ont créé une situation grave de pénurie de matières premières pour l'industrie locale. Ces difficultés ne viennent pas de l'augmentation des prix, car celle-ci est répercutée sur les prix des produits finis, elles résultent de l'impossibilité pour les entreprises industrielles de s'approvisionner, même en offrant un prix plus cher que celui des ferrailleurs exportateurs. Ces derniers n'ont aucun avantage à vendre sur le marché local car ils bénéficient d'importantes mesures fiscales en exportant et échappent à tout contrôle». En 2006, la production nationale de cuivre et laiton a atteint les 17 000 tonnes alors que l'équivalent de 23 700 tonnes de ces deux minerais a été exporté en tant que ferraille. Les simulations faites par la Fédération des industries métalliques, mécaniques, électriques et électroniques (Fimme) estiment le manque à gagner pour l'industrie locale, en terme de valeur ajoutée, à 480 MDH ! Ces exportations sont donc de trop, estime l'étude. Et pour cause, «l'industrie métallurgique (fonderie et sidérurgie) au Maroc présente une capacité de production suffisante pour transformer toutes les quantités de déchets de métaux actuellement exportées». Et l'étude d'ajouter : «Dans la situation actuelle, la balance commerciale extérieure pour les métaux est déficitaire car les industries locales sont obligées de réimporter ces mêmes matières à des prix plus élevés, voire des matières plus élaborées (demi-produits) et encore plus chères. Ils paient également les frais de transport car le fret maritime est effectué principalement par des compagnies étrangères payées, de surcroît, en devises». Pour les professionnels, la situation actuelle crée un autre déséquilibre et une injustice, sur le plan fiscal notamment. «Les ferrailleurs, dernier maillon de la chaîne de récupération, exportent ces matières en exonération d'IS et de TVA. Cette exonération leur permet également d'acheter n'importe quelle marchandise sans facture et en particulier les marchandises volées, créant ainsi un véritable circuit de blanchiment », explique un industriel. 850 mètres de fils de cuivre pour téléphone volés à Al Hoceima Cette situation de pénurie n'a pas créé que des désagréments pour les métallurgistes. Des effets secondaires ont affecté les entreprises propriétaires de réseaux filaires. Vol et recel de cuivre sont en effet devenus monnaie courante. L'Office national des chemins de fer (ONCF), l'Office national de l'électricité (ONE) et Maroc Telecom arrivent en tête des entreprises touchées de plein fouet par ce phénomène. En 2006, l'ONCF a perdu 5 MDH à cause de ces actes (voir encadré). Une année plus tôt (2005), ce préjudice était de l'ordre de 3 MDH, ce qui représente une augmentation de l'ordre de 70%, «non compris les frais généraux découlant des déplacements des équipes d'intervention et du manque à gagner du fait de cette utilisation de moyens humains et matériels au détriment des travaux d'entretien et de maintenance», tient à préciser l'office. La dernière victime de ces actes n'est autre que Maroc Telecom, délesté de 850 m de câbles téléphoniques dans la région d'El Hoceima, mettant hors fonction les lignes de téléphone fixe de toute la région durant le week-end du 9 au 10 juin. «Ce ne sont plus des individus isolés mais de véritables bandes bien organisées. C'est une sorte de mafia qui repère l'infrastructure à dérober, qui subtilise le cuivre et qui le revend facilement sur le marché local ou même international» , souligne un professionnel. «Il y a quelques années encore, les vols perpétrés contre les installations ferroviaires étaient de dimension humaine, œuvre d'individus isolés et destinés à alimenter essentiellement l'activité artisanale en cuivre. De ce fait, des arrestations de receleurs, opérées de temps en temps, permettaient de contenir le phénomène», explique pour sa part une source au sein de l'Office national des chemins de fer. «Aujourd'hui, et compte tenu de l'augmentation des prix de ces matériaux, force est de constater que nous avons affaire à des groupes de malfaiteurs, mobilisant des moyens logistiques importants et disposant de circuits organisés d'écoulement de masses impressionnantes de matériaux» , précise la même source. Une véritable ruée vers… le cuivre ! Zoom 90 km de fil de cuivre volés à l'ONCF en 2006 L'ONCF est régulièrement victime d'actes de vol de câbles de cuivre. En 2006, l'office a été victime de 321 actes. Au total, une longueur de 90 km de fils de cuivre a été volée. En 2005, ce sont 210 actes qui ont été recensés pour une longueur totale d'environ 58 km, soit une augmentation en nombre de 55%. Ces actes ont généré la suppression de 6 trains, des retards pour 833 trains voyageurs, contre 476 en 2005, soit 75% de plus, ainsi que des retards pour 139 autres trains de marchandises, contre 100 en 2005, soit une hausse de 39%.