Si les vols de câbles de cuivre, en particulier, et de métaux en général, causent des problèmes techniques et des pertes financières pour certaines entreprises, pour le pays, le manque à gagner est énorme : environ 2 milliards de DH par an !! 2 milliards de DH, le préjudice est énorme… C'est pourtant bel et bien une des conséquences directes des vols de câbles de cuivre qui font rage depuis quelques mois. Car les pertes financières et les accidents engendrés par ces vols de câbles de cuivre (coupure d'électricité, de ligne téléphonique, retard de train…) dont souffrent l'ONE, l'ONCF ou encore Maroc Télécom ne sont que la partie émergée de l'iceberg. En réalité, c'est toute l'industrie métallurgique du Maroc qui trinque. Pourquoi? «Il faut savoir que l'apport des déchets dans l'approvisionnement des industries métallurgiques représente environ 50% des intrants», commence par expliquer Adnane Lamdaouer, membre du comité de pilotage de la FIMME (Fédération des Industries Mécaniques, Métallurgiques et Electriques), chargé du dossier des matières premières. En effet, les vieux métaux peuvent être facilement récupérés, ils ne se dégradent pas et gardent leur aspect et leur propriété, ainsi le recyclage peut en théorie être opéré à l'infini. Sauf que l'industrie métallurgique marocaine souffre de graves difficultés d'approvisionnement, alors que cette matière première constituée par les déchets est disponible localement. C'est pourquoi une étude a été lancée, financée par la commission européenne dans le cadre du programme d'appui aux entreprises et modernisations des PME, justement pour déterminer le pourquoi de cette situation de pénurie. Selon cette étude, il y a eu d'abord l'augmentation des prix des métaux durant les trois dernières années en liaison avec la forte poussée de la demande mondiale, principalement causée par l'Asie du Sud-Est. Le cuivre par exemple est passé de 2.500 dollars la tonne en 2003 à 8.500 dollars en 2006. Du coup, les exportations de métaux sont passées de 145.000 tonnes à 355.000 tonnes entre 2002 et 2005, puisque les statistiques de l'étude vont jusqu'en 2005. On ne peut qu'imaginer une envolée des exportations bien plus importante, vu la flambée des cours des matières premières ces derniers mois. Résultat, «des effets pervers et néfastes sont apparus, notamment les recels et vols de certains métaux tels que la fonte des regards de voiries, le cuivre des câbles électriques et téléphoniques, les contrepoids de tension (ONCF)… Ces métaux volés sont vite exportés en exonération d'impôts sans justification, étant donné l'inexistence de contrôle douanier», indique l'étude réalisée par l'expert Michel Manader. Interdire l'exportation de métaux et supprimer la TVA Cette ruée vers l'exportation, si elle est motivée dans un premier temps par l'augmentation des cours, est également favorisée par le fait que les ferrailleurs exportateurs opèrent en totale exonération d'impôts. Car les entreprises exportatrices bénéficient pour le montant du chiffre d'affaires réalisé à l'exportation de l'exonération totale de l'IS pendant les 5 ans qui suivent la première opération d'exportation. Par la suite, l'abattement est de 50%. «Les exportateurs de déchets opèrent alors avec des sociétés qui ne durent jamais plus de cinq ans, et au bout de cinq ans, ils en créent une nouvelle pour pouvoir continuer à bénéficier de l'exonération», rapporte l'étude. Une pratique somme toute courante, si ce n'est que dans ce cas, elle met en péril tout un pan de l'économie. L'industrie métallurgique dispose d'une capacité de production largement suffisante pour absorber et transformer toutes les quantités de déchets de métaux actuellement exportées. Selon le rapport de Michel Manader, cette transformation représenterait une valeur ajoutée de plus de 2 milliards de DH (estimation basée sur les statistiques de 2005, qui devrait être sans doute revue à la hausse) par an avec un gain conséquent en devises pour la balance commerciale. Or, aujourd'hui, la balance commerciale extérieure pour les métaux est déficitaire, puisque les industries locales sont obligées de réimporter ces mêmes matières à des prix plus élevés, voire des matières plus élaborées et encore plus chères. Sans compter les frais de transport, puisque le fret maritime est principalement effectué par des compagnies étrangères et donc payé en devises. Pour enrayer ce phénomène, la suppression de l'exonération de l'IS pour les exportateurs de métaux semble être une évidence pour la FIMME. Les conclusions de l'étude vont d'ailleurs clairement dans ce sens. D'ailleurs, elle ne manque pas de rappeler que ce genre d'encouragement (exonération d'IS) ne subsiste que dans très peu de pays sous-développés et est le plus souvent appliqué au cas par cas. Le ministère du Commerce et de l'Industrie a bien essayé à deux reprises, dans le cadre des Lois de finances 2004 et 2005, de faire passer une proposition dans ce sens, seulement c'est une fin de non-recevoir que le gouvernement lui a opposée. Cela dit, l'IS n'est pas le seul responsable de la situation. La TVA est également en cause. «La plupart des ferrailleurs évoluent dans l'informel, ils ne préfèrent pas établir de facture et destinent leurs métaux à l'export. Alors que s'ils vendent localement à l'industrie métallurgique, ils sont pour le moins tenus de présenter une facture», explique Adnane Lamdaouer. Sans compter que lorsqu'il arrive que les ferrailleurs vendent localement, ils récupèrent la TVA auprès de leur client via l'établissement de factures sans pour autant la reverser à l'Etat. Le tout «soit par l'achat ou l'émission par des sociétés écrans de fausses factures - d'ailleurs beaucoup d'exportateurs possèdent plusieurs sociétés - soit tout simplement par la fraude, l'absence de contrôle ou encore la corruption», souligne Michel Manader. Conclusion, l'exonération de TVA des déchets permettrait d'assainir le secteur. Ainsi, les déchets seraient vendus localement, transformés, valorisés, et la TVA serait payable sur ces déchets en bout de chaîne. D'ailleurs, tous les pays de l'UE exonèrent les déchets de TVA. Plus encore, vu l'importance du rôle industriel que représentent les déchets de métaux, les pays développés avaient recouru à un strict contingentement à l'exportation de ces matières, et ce dès le milieu des années 70. Récemment, principalement à cause des effets de l'augmentation des cours des métaux, plusieurs pays ont eu recours à des mesures de limitation des exportations de vieux métaux, entre autres pour limiter les vols et les détériorations des infrastructures publiques, mais aussi pour sauvegarder leurs industries. A bon entendeur, salut ! ◆