L'actuelle campagne sera parmi les plus faibles depuis 40 ans. Sur la bande côtière, le rendement ne dépassera pas 6 q/ha pour le bour. Les aides annoncées sont invisibles sur le terrain et l'assurance-sécheresse se fait attendre. C'est une lapalissade que de parler d'une campagne agricole 2007 catastrophique due à une sécheresse devenue une donnée structurelle. Les premiers travaux de moisson, précoces, le confirment. Ainsi, un propriétaire de moissonneuse-batteuse, travaillant à façon dans la région de Doukkala, signale que sur la bande côtière, c'est-à-dire jusqu'à 35 km à l'intérieur des terres, les rendements vont de 4 à 6 q/ha pour le bour et jusqu'à 35 q avec irrigation d'appoint, là où d'habitude on moissonnait 45 quintaux et plus sans arrosages. Au total, des agriculteurs et autres observateurs tablent sur une production de 20 à 25 millions de quintaux, toutes céréales confondues, ce qui ferait de cette récolte l'une des plus faibles depuis 40 ans. En effet, seules 3 campagnes ont connu un rendement égal ou inférieur à 20 Mq (17,5 Mq pour 1995, 19,5 en 2000 et 20,2 en 1981). Au ministère de l'agriculture, c'est le black-out total sur la situation. Le ministre, Mohand Laenser, s'est contenté d'annoncer dans une interview accordée à l'hebdomadaire Jeune Afrique, en marge du Siagrim, que «la récolte sera inférieure à 40 Mq contre une moyenne habituelle de 55 à 60 Mq» . Il ne donne aucune borne inférieure, ce qui laisse le champ libre à toutes sortes de supputations. A ce propos, Wadii Krafess, producteur du Gharb, rappelle qu'une production de 40 Mq pour 4,3 millions d'ha équivaut à une moyenne de 9,3 q/ha soit la moitié d'une année record et 81% d'une année moyenne (60Mq), ce qui est plus qu'improbable. De même, les conditions de déroulement du cycle végétatif n'ont pas permis un remplissage normal du grain permettant un bon poids spécifique. Par ailleurs, tout en étant bénéfiques pour les champs qui ont résisté et pour les autres cultures, les dernières pluies ont entraîné une dégradation de la qualité (mauvaises herbes, germination sur épi de certaines variétés à glumes écartées, couleur et état du grain, qualités meunières…). Aucune visibilité en matière de commercialisation A signaler que, dans la Chaouia, des agriculteurs qui avaient commencé à irriguer leurs champs ont dû abandonner au vu des quantités d'eau nécessaires et au coût que cela allait générer : un quintal à 500 DH : personne ne se hasarde à faire un tel investissement. Concernant les cultures de printemps (pois chiche, maïs, fèverole, tournesol), une bonne partie a été mise en place comme cultures de substitution. Elles ont, certes, bénéficié de pluies exceptionnelles cette année, mais elles ont souvent été travaillées dans de mauvaises conditions. Ainsi, à titre d'exemple, le pois chiche, qui nécessite une lutte chimique soutenue, souffre cette année de problèmes phytosanitaires sérieux en raison du manque de traitements, le coût de l'opération étant décourageant dans les conditions particulièrement difficiles de cette campagne. A ce jour, les agriculteurs sont pour la plupart désabusés. Les aides annoncées en grande pompe sont encore invisibles sur le terrain. En plus des pertes de cette année, ils auront à faire face, lors de la prochaine campagne, à deux tâches insurmontables : les problèmes de trésorerie, pour assurer leur quotidien et entamer une nouvelle culture, et les disponibilités des semences. Ces dernières ne peuvent être importées sans passer par une période expérimentale et, dès à présent, la course aux commandes sur l'éventuelle production attendue a commencé. Les agriculteurs déplorent un manque de communication avec la tutelle Par ailleurs, le problème de la commercialisation n'a pas encore été abordé alors que les moissons ont commencé et que les prix flambent sur le marché mondial des céréales. Ainsi, on parle de 290 DH le quintal de blé tendre arrivé au Maroc, soit 16% de plus que le prix de 250 DH fixé par les autorités pour la production nationale. En somme, les agriculteurs déplorent le déficit de communication de leur ministère de tutelle qui les «traite comme des mineurs» au moment où d'autres départements, à l'instar de celui de l'équipement, s'emploient à discuter ouvertement avec les opérateurs concernés des problèmes des secteurs relevant de leurs prérogatives. Assurance La déclaration de sinistre se fait attendre Dans le contexte actuel, les agriculteurs couverts par l'assurance-sécheresse n'attendent plus que la déclaration de sinistre pour la faire jouer. Mais, là aussi, aucune information officielle n'est pour l'instant disponible. L'on sait toutefois que des commissions se sont rendues directement dans certaines régions pour négocier le degré du sinistre avec les caïds et les présidents de communes. «Les discussions se sont déroulées dans les bureaux sans visites sur le terrain», indiquent certaines sources. Alors que la moyenne pondérée pour certaines régions devrait se situer entre 0 et 2 q/ha, ladite commission a proposé un rendement moyen de 5 q/ha. Les professionnels considèrent cette estimation pénalisante surtout pour les petits producteurs qui ont souscrit pour la 1ére tranche de l'assurance couverte à hauteur de 1500 DH/ha. En conséquence, non seulement ils ne seront pratiquement pas indemnisés, mais devront, en plus, rembourser les prêts du Crédit agricole. Après avoir fait l'impasse sur leur culture principale, les assurés ont aussi perdu, à cause du retard de déclaration de sinistre, la possibilité de réaliser des cultures de substitution et celle de lâcher leurs troupeaux dans les champs sinistrés. En tout cas, l'assurance sécheresse, instaurée en 1994, n'a jamais eu la faveur des agriculteurs puisque les superficies assurées dépassent difficilement 100 000 ha sur les 300 000 escomptés (environ le 1/3) malgré les efforts de subvention et le fait qu'elle soit exigée des clients du Crédit agricole. Pour la présente campagne, seulement 122 000 ha sont couverts sur les 4,3 millions emblavés, soit moins de 3 % du total.