Le Maroc est inclus pour la première fois dans l'étude mondiale de Freedom House dédiée à l'évolution des libertés sur internet. L'ONG américaine souligne la montée en puissance des medias sociaux dans le royaume et rappelle les différents moyens utilisés par les autorités marocaines pour tenter d'en garder le contrôle. L'ONG américaine Freedom House publie chaque année une étude mondiale sur l'évolution des libertés sur internet. Le rapport 2013, qui vient d'être rendu public, inclus pour la première fois le Maroc. Dans l'échantillon de 60 pays sélectionnés, le royaume fait partie de ceux «partiellement libres» selon Freedom House. Les faits étudiés par l'ONG s'arrêtent à mai 2013 : ni l'affaire du DanielGate ni l'arrestation du journaliste Ali Anouzla ne sont pris en compte dans le rapport. La progression fulgurante d'internet au Maroc Freedom House rappelle que l'accès à internet au Maroc, bien qu'inégalement réparti entre les zones urbaines et le monde rural, a rapidement évolué ces dernières années. Le taux de pénétration est passé de 21% de la population en 2007 à 55% en 2012. Grâce à la libéralisation des télécoms et au développement des NTIC, le Maroc est devenu, au même titre que le Nigéria et le Kenya, «un hub technologique majeur du continent africain», souligne l'ONG. Les habitudes des internautes marocains ont elles aussi évolué ces dernières années. «Le changement le plus remarquable [...] concerne l'intérêt grandissant pour les médias sociaux, les contenus générés par les utilisateurs et les portails marocains d'information». Contrer le cyber-activisme et les médias online Face à cette montée en puissance de l'internet au Maroc, Freedom House tire deux constats majeurs. D'un côté, les médias sociaux tendent à remplacer les médias traditionnels pour surveiller et dénoncer les défaillances du régime. Freedom House cite l'exemple du «sniper de Targuist» qui publiait dès 2008 des vidéos sur Youtube montrant des gendarmes marocains en flagrant délit de corruption. Les médias sociaux ont aussi servi d'outils de mobilisation pour les mouvements de contestation comme celui du 20 Février et les activistes marocains peuvent désormais se servir de leurs téléphones et caméras pour rapporter des événements censurés par «les médias contrôlés par l'Etat». D'un autre côté, les autorités marocaines, conscientes de cette évolution, utilisent divers moyens pour tenter de garder le contrôle. Freedom House rappelle que le blocage de certains sites web a été levé depuis la contestation populaire de 2011 mais que «le gouvernement contrôle toujours le paysage médiatique online grâce à une série de lois restrictives qui peuvent être manipulées pour des raisons politiques». Le rapport cite notamment le Code de la presse de 2002 et la loi anti-terroriste de 2003 et rappelle que la justice marocaine n'est pas indépendante. Condamnations en série depuis 2011 Freedom House mentionne les affaires liées à la liberté d'expression et/ou à internet qui ont récemment défrayé la chronique : la condamnation du journaliste Rachid Niny à un an de prison en juin 2011 ; le harcèlement policier dont fait l'objet le journaliste Ali Lmrabet à Tétouan depuis l'été 2012 ; la condamnation à un an de prison du jeune Walid Benhomane (18 ans) en février 2012 pour avoir posté une caricature du roi Mohammed VI sur Facebook ; la condamnation du rappeur Mouad Belghouat à un an de prison en mai 2012 pour la diffusion sur Youtube d'une chanson qui «insulte la police» ; la condamnation d'Abdessamad Haydour (24 ans) à trois ans de prison en février 2012 pour des propos tenus contre Mohammed VI lors des émeutes de Taza puis diffusés sur Youtube. Depuis près de deux ans, des ONG internationales comme Human Rights Watch, Amnesty International, Reporters Sans Frontières et Index of Censorship alertent sur les restrictions toujours imposées à la liberté d'expression et de la presse au Maroc, malgré les promesses de réforme et la nouvelle constitution de 2011, censée garantir les droits fondamentaux de chaque citoyen. Attaques et surveillance Outre la répression policière et judiciaire, Freedom House cite d'autres moyens utilisés contre les activistes du net et les médias online. Comme les attaques (menaces, insultes) adressées sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et Twitter. «Des nouveaux comptes sont créés quotidiennement dans le seul but d'attaquer les activistes digitaux», rapporte l'ONG, qui explique ne pas avoir d'indication claire sur l'identité des personnes derrière ces comptes, à savoir s'il sont «sponsorisés» par l'Etat ou de simples citoyens «trop zélés». Cependant, note le rapport, «vu le temps et l'énergie nécessaires pour une telle activité, il y a de sérieux doutes que ces derniers soient des citoyens agissant de leur propre chef». Freedom House rappelle aussi la cyberattaque dont a été victime le portail Mamfakinch en juillet 2011. Un virus envoyé par email à la rédaction du site s'est révélé après analyse être un «cheval de Troie» de dernière génération, développé en Italie et vendu à plusieurs centaines de milliers de dollars. Hors de portée pour un simple individu, estime Freedom House, qui explique toutefois que l'identité exacte de l'auteur de l'attaque n'est pas encore connue. Concernant la surveillance généralisée d'internet par les autorités, Freedom House mentionne le projet «Popcorn» dévoilé en décembre 2011 par le site Reflets.info. Un logiciel développé par la société française Amesys et qui, à l'instar de celui vendu à la Libye de Khadafi, permettrait de surveiller l'ensemble des communications sur le territoire marocain. Aucune preuve formelle de l'utilisation de ce système au Maroc n'a encore été rendue publique. «Shadow publications», pressions financières Le volet financier est un autre facteur décisif pour le développement des médias online. Freedom House mentionne les «shadow publications», qui, sur le papier, n'appartiennent ni à l'Etat ni aux forces d'opposition mais qui adoptent clairement une ligne éditoriale pro-régime. Selon l'ONG, ces sites d'informations ont pour objectif de «faire diversion» face aux sites plus sérieux et plus engagés, tout en les concurrençant sur le marché publicitaire online et sur les parts d'audience. «Le gouvernement utilise aussi les pressions financières pour pousser à la fermeture ou à la banqueroute les médias papier les plus critiques. Les recettes publicitaires provenant du gouvernement ou des sociétés liées au gouvernement ne sont pas réparties équitablement entre les médias pro-gouvernement et ceux indépendants», rappelle l'ONG. Le boycott publicitaire s'applique également aux médias online, explique Freedom House, bien que l'Etat marocain n'empêche pas ces derniers de recevoir des recettes publicitaires ou des investissements provenant de l'étranger.