C'est un bien curieux discours que celui prononcé par Mohammed VI, à l'occasion de la commémoration du « Vingt août » et qui tranche sévèrement sur celui de la fête du Trône, quelques jours auparavant. Le roi aurait voulu se tirer dans le pied qu'il n'aurait pas agi autrement. Pourtant, encore une fois, les applaudisseurs de l'impossible sont montés en première ligne, pour le décrire de révolutionnaire ou de fondateur. Rien que ça ! Entre deux discours, des scandales gigognes L'allocution de la fête du trône s'était voulue conquérante, sous la forme d'un bilan triomphateur et tonitruant. Elle manifestait une certaine volonté du roi, quelque peu ragaillardi par la contre-révolution égyptienne à laquelle il s'était empressé d'applaudir, de se réapproprier les rênes de sa monarchie exécutive, après l'essoufflement du « Mouvement du Vingt février ». La seconde sentait le souffre et les relents de règlements de comptes. Le roi s'y en est pris au gouvernement du PJD, lui imputant la responsabilité de l'échec de la réforme de l'enseignement dans notre pays. C'est qu'entre les deux discours, des scandales gigognes étaient passés par là. L'affaire du pédophile espagnol, Daniel Galvan Fina, en dissimulant une autre, celle d'Antonio Garcia Ancio, narcotrafiquant, gracié en lieu et place de son père et qui, lui-même en dissimulait une troisième, la libération de Mounir Molina Mohamed, quelques jours avant la tenue de son procès, pour trafic de drogue et constitution de bande armée. Le limogeage du Délégué Général de l'Administration pénitentiaire, Hafid Benhachem improvisé bouc émissaire, n'aura trompé personne et surtout pas empêché l'affaire d'écorner un peu plus, l'image du monarque et mettre à nu les dysfonctionnements indignes du système politique marocain qui vaut à tant de criminels, d'échapper à la justice, avec le silence complice des élites marocaines, à de rares exceptions près. Levée de boucliers et crimes de lèse-majesté Mohammed VI est d'autant en colère, que fut grande sa solitude, au cours de ces journées, qui avaient indigné le monde entier et au cours desquelles, le Printemps marocain menaçait de reprendre, de plus belle. Car si Benkirane s'était muré dans un drôle de silence, son ministre de la justice avait affirmé à qui voulait bien l'entendre, qu'il avait bien mis au courant, en vain, le Cabinet royal de l'ampleur des crimes sexuels imputés au prédateur espagnol que l'on s'apprêtait à gracier. Le ministre de la justice avait même ordonné, sous la pression de l'indignation générale, la mise en ligne d'un communiqué sur le site Internet de son département, pour se dédouaner de toute responsabilité, dans le « DanielGate ». Une première dans le genre et un désaveu qui vaut crime de lèse-majesté au Maroc. Et ce n'est pas tout. On doit, à présent, les sorties les plus fracassantes aux membres du PJD, ou encore à ses députés, qui n'hésitent plus à se répandre, chaque fois qu'ils peuvent le faire, particulièrement dans les pas perdus, du parlement marocain, ou sur les bancs mêmes de son hémicycle, en chuchotements ou déclarations, condamnant tantôt la décoration du lobbyiste sioniste Malcolm Hoenlein du Wissam alaouite, tantôt la mesure de grâces collectives des espagnols, tantôt le silence du Maroc, face aux exactions des militaires égyptiens. Autant de prises de positions qui n'ont pas manqué de remonter jusqu'aux oreilles du principal intéressé qui s'est cru obligé de passer à l'offensive, à la recherche d'un nouveau bouc émissaire. Le timing choisi est loin de toute innocence, à l'heure où le PJD négocie avec le RNI, parti du palais, son sort dans le prochain gouvernement. Où le roi se tire dans le pied A moins que la sortie royale n'ait pour objectif avoué de dissuader les chefs de partis de se coaliser avec les islamistes, et tuer dans l'oeuf le projet de gouvernement Benkirane II, la prudence la plus élémentaire, commandait à Mohammed VI, de s'abstenir d'aborder le sujet de l'Education nationale et d'en imputer l'échec de sa réforme à un gouvernement qui n'est en place que depuis quelques mois. Car pour qui connaît le Maroc, la responsabilité historique de la destruction de l'enseignement, incombe en totalité à la monarchie et à son vieux complice et instrument, le Parti de l'Istiqlal. Une bien sombre réalité qui vaut à notre pays, la situation que l'on connaît, d'analphabétisme, d'illettrisme et de misère intellectuelle. Et ce n'est pas le projet de Charte nationale d'éducation et de formation concoctée par l'entourage royal, qui pourrait racheter en quelques mois, plus de quatre décennies d'acharnement du régime sur le système éducatif marocain. Le souverain qui semble soudain, au détour d'une colère, découvrir que la situation de l'enseignement «s'est dégradée encore davantage, par rapport à ce qu'elle était il y a plus d'une vingtaine d'années.», ne fait oublier à personne, que jamais jusque là, lui-même ou le Parti de la balance, dont l'un des membres est, précisément, en charge de l'Education nationale, n'avait démontré un quelconque empressement, à voir figurer ce ministère parmi ses premières préoccupations. Pour preuve cette information accablante, passée sous silence et relayée par le quotidien «Al Alam», selon laquelle, soixante-quinze (75) professeurs lauréats des centres régionaux des métiers de l'éducation et de la formation, auraient été nommés pour enseigner dans le cycle secondaire, malgré l'obtention au concours d'accès, de moyennes ne dépassant pas la note de 6,80 sur une note de 20. Cinquante-neuf (59) d'entre eux ont été affectés à l'enseignement secondaire et seize (16) à l'enseignement collégial. Soixante-quinze cas qui ne feront pas oublier les centaines de milliers d'autres médiocrités qui ont eu en main, le devenir de tant des nôtres, alors que dans son discours, le monarque se présente en bon père de famille et prétend partager « les mêmes préoccupations concernant l'enseignement dispensé à nos enfants, et les mêmes problèmes affectant notre système éducatif, d'autant plus que nos petits suivent les mêmes programmes et les mêmes cursus.». Mohammed VI oublie simplement de préciser, qu'au contraire de nos enfants, les siens bénéficient d'un enseignement dispensé par des professeurs triés sur le volet. Des vacances à point nommé Pendant que les siens montent au front, pour s'indigner de la teneur du discours royal, Benkirane se trompe de scène de bataille. Il fait dans le barouf, ailleurs, en mobilisant les forces de sécurité, les autorités civiles et militaires, dans un souci ostentatoire de mettre son silence sur le compte de vacances, bien commodes, parmi les siens, à Moulay Bousselham. Des vacances qui tombent à point nommé, pour lui éviter une fois de plus de commenter les propos du chef de l'Etat. Les dictateurs sont sans surprise. Ils ont ceci de particulier, qu'ils s'aliènent, tôt ou tard, les plus inconditionnels de leurs alliés ou leurs laudateurs les plus zélés. Mohammed VI en est rendu là, à son tour. Quant à Benkirane, ce Chef de gouvernement d'un genre inédit, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Le malheureux aura eu beau ravaler toute fierté, boire toute honte, subir toutes sortes d'humiliations ou encore évoquer un pacte avec Abdelkrim El Khatib, singeant pitoyablement, Abderrahmane El Youssoufi, et le pacte secret qui le liait à Hassan II, il n'aura pas échappé au verdict qui frappe ceux qui, en voulant s'éviter un affrontement avec la tyrannie, acceptent le déshonneur, mais finissent tout de même, par avoir la confrontation.