L'élaboration d'une constitution relève d'abord d'une construction intellectuelle fondée sur une maîtrise des concepts, des mécanismes spécifiquement cartésiens et une réflexion suffisamment élaborée pour en assurer la cohésion. L'absence parfois de ces éléments explique les confusions, les ambiguïtés, les contradictions et les incohérences qui entachent la nouvelle constitution. Pour la première fois en un demi-siècle, l'institution monarchique, qui s'est toujours érigée en constituante monocratique, a chargé une Commission présidée par le professeur Abdeltif Menouni et composée uniquement de nationaux présentés comme d'éminents experts en la matière, d'élaborer un projet de réforme de la Constitution. La nouvelle Loi Fondamentale promulguée le 29 juillet 2011 comprend 180 articles. A titre de comparaison, celle de 1996 n'en compte que 108, et celle de la France seulement 89 !! Ce nombre pléthorique d'articles exige de la part des citoyens une réelle volonté de concentration, la maîtrise des concepts et un esprit de discernement aiguisé. L'absence de ces éléments expliquent pourquoi personne n'a pu déceler les confusions et incohérences portant sur les articles 109, 117 et 123. PREMIEREMENT Il convient au préalable de transcrire l'article 109 dans ses deux versions, en arabe et en français. الفصل 109 « يمنع كل تدخل في القضايا المعروضة على القضاء ،و لا يتلقى القاضي بشأن مهمته القضائية أي أوامر أو تعليمات و لا يخضع لأي ضغط . يجب على القاضي، كلما اعتبر أن استقلاله مهدد، أن يحيل الأمر إلى المجلس الأعلى للسلطة القضائية. يعد كل إخلال من القاضي بواجب الاستقلال و التجرد، خطأ مهنيا جسيما، بصرف النظر عن المتابعات القضائية المحتملة. يعاقب القانون كل من حاول التأثير على القاضي بكيفية غير مشروعة . » Article 109 : «Est proscrite toute intervention dans les affaires soumises à la justice. Dans sa fonction judiciaire, le juge ne saurait recevoir d'injonction ou instruction, ni être soumis à une quelconque pression. Chaque fois qu'il estime que son indépendance est menacée, le juge doit en saisir le Conseil supérieur du pouvoir judicaire. Tout manquement de la part du juge à ses devoirs d'indépendance et d'impartialité constitue une faute professionnelle grave, sans préjudice des conséquences judiciaires éventuelles. La loi sanctionne toute personne qui tente d'influencer le juge de manière illicite.» Dans la version en français, le juge dans sa fonction JURIDICTIONNELLE et non pas judiciaire, ne peut être incarné que par UN MAGISTRAT DU SIEGE. Par contre dans la version en arabe, القاضي peut désigner aussi bien un magistrat du siége qu'un magistrat du parquet. Cette confusion est encore plus flagrante dans la formulation de l'alinéa 4. En effet, le magistrat du parquet n'est ni indépendant encore moins IMPARTIAL car il est PARTI au procès pénal. C'est la raison pour laquelle il lui est interdit de participer aux délibérations au cours desquelles sont prises les décisions juridictionnelles. Par conséquent, cette importante disposition qui aurait conféré au juge une véritable protection de son indépendance est inapplicable, puisque c'est la version officielle (en arabe) qui prévaut. L'urgence d'une réforme de cette partie s'imposera inéluctablement un jour. Cette analyse s'applique aussi à l'article 117 : الفصل 117 : » يتولى القاضي حماية حقوق الأشخاص و الجماعات و حرياتهم و أمنهم القضائي و تطبيق القانون « . Article 117 : «Le juge est en charge de la protection des droits et libertés et de la sécurité judiciaire des personnes et groupes, ainsi que de l'application de la loi.» Ceci est d'autant plus INCOMPREHENSIBLE que les articles 108, 110 et 116 ont nettement établi une distinction entre : - D'une part قضاة الأحكام (magistrature du siége). - D'autre part قضاة النيابة العامة (magistrature du parquet). DEUXIEMEMENT Selon l'article 123, «les audiences sont publiques sauf lorsque la loi en dispose autrement» Que d'éminents professeurs de Droit constitutionnel, que des conseillers du Roi, aient pu écrire une telle ineptie ne peut susciter que des sentiments de stupeur, d'indignation et de doute quant à leurs capacités intellectuelles. Quelle aberration que celle de conférer au législateur le pouvoir par l'intermédiaire d'une loi de surseoir à l'application d'une disposition constitutionnelle, de l'annuler ou la modifier. Cette disposion bafoue deux principes fondamentaux : - Le respect de la hiérarchie des normes. - Le respect du parallélisme des formes. Au-delà de cette grave atteinte au respect des principes fondamentaux, force est de constater un manque de cohésion flagrant entre les diverses composantes de la Constitution. En effet l'article 123 ne prend pas en considération et donc s'oppose, à l'article 71 qui souligne que la procédure civile et la procédure pénale relèvent du domaine de la loi. L'article 300 du code de la procédure pénale fait de la publicité des audiences, une obligation sous peine de nullité. Les articles 301 et 302 établissent les exceptions à cette obligation. Pourtant l'article 123 a extrait un alinéa qui relève du domaine de la loi pour en faire une disposition constitutionnelle, tout en soumettant cette dernière à la volonté du pouvoir législatif !!! Dans une étude publiée ici-même en date du 25 février 2013, intitulée «Le Pouvoir judiciaire : Une imposture Constitutionnalisée», arguments incontestables à l'appui, j'ai conclu que la magistrature ne remplit aucune des conditions requises pour être qualifiée de pouvoir judiciaire. A aujourd'hui, personne n'a réagi à cette analyse, à commencer par les deux conseillers du Roi, Mohammed Moatassim et Abdeltif Menouni. En réalité, pour justifier l'élévation de l'autorité judiciaire au rang de Pouvoir judiciaire, ils ont multiplié des articles dans le titre VII. La partie consacrée aux droits des justiciables, des règles de fonctionnement de la justice, qui comprend l'article 123, en constitue l'exemple le plus frappant. Faire de la publicité des audiences une disposition constitutionnelle - et donc un élément primordial - est totalement réducteur. Mais peut-être que nos éminent experts ignorent une valeur universelle selon laquelle : TOUT JUSTICIABLE A DROIT A UN PROCES EQUITABLE. Ce qui implique un débat public, contradictoire et qui se tient dans un délai raisonnable. L'élaboration d'une constitution relève d'abord d'une construction intellectuelle fondée sur une maîtrise des concepts, des mécanismes spécifiquement cartésiens, et une réflexion suffisamment élaborée pour en assurer la cohésion. L'absence parfois de ces éléments explique les confusions, les ambiguïtés, les contradictions et les incohérences qui entachent la nouvelle constitution. Aussi est-il urgent de procéder à des réformes afin de faciliter une application saine de toutes les dispositions de la loi fondamentale. Mohamed Zenzami, juriste