Barreau de Casablanca Le métier d'avocat doit-il rester ce qu'il était dans un contexte mondial en perpétuelle métamorphose : mondialisation, ouverture sur le monde extérieur, entrée des nouvelles technologies de communication et de l'information, arrivée d'avocats étrangers… ? Pour Me Abdellah Dermiche, avocat au Barreau de Casablanca, le «non» est catégorique. Au regard des changements perpétuels que connaît le monde, la restructuration du métier d'avocat est désormais une nécessité. La profession doit impérativement se réorganiser dans les règles du métier face aux mutations des temps modernes, auxquelles le Maroc ne peut se soustraire. Les grands changements, dus entre autres à la mondialisation, nécessitent du corps des avocats une nouvelle vision qui répond aux exigences du moment. D'où cette mission primordiale d'établir un contrat-programme de l'institution que dirigera Abdellah Dermiche tout au long des trois années à venir. Le programme en question permettra à l'avocat de dépasser rapidement la vision ancienne et traditionnelle de la profession. Ce sont désormais les grands dossiers qui doivent bénéficier d'une profonde réflexion, avec la constitution de groupes de travail qui auront pour mission de s'attaquer à la relation des avocats avec le pouvoir judiciaire, au dossier des assurances, de la mutuelle et des retraites… En somme, le dossier du volet social constitue une priorité pour le barreau de Casablanca qui compte actuellement 2647 avocats titulaires dont 626 femmes et 2021 hommes, en plus de 295 avocats stagiaires. Concernant ces derniers, un groupe de travail a été constitué pour veiller davantage sur les stages et mieux véhiculer la culture des us et coutumes de la profession au vu de la nouvelle donne législative du pays. Désormais, ces stages comprendront également des cours d'apprentissage des NTCI, des langues étrangères (français, anglais et espagnol), des droits de l'investissement et des nouveaux textes sur l'arbitrage. Acquis importants D'autre part, la formation continue, à l'instar des barreaux français, sera une obligation pour l'ensemble des avocats du barreau de Casablanca. Chaque membre devra désormais fournir la preuve qu'il a suivi une série de stages pour avoir le droit de renouveler son inscription. «L'indépendance de la défense vis-à-vis de tous les courants et les pouvoirs est le premier acquis des avocats au Maroc. L'Ordre des avocats de Casablanca représente l'exemple de cette indépendance. Il est même la locomotive des barreaux du Maroc dans la mesure où il est classé deuxième à l'échelle mondiale après celui du Caire», précise A. Dermiche. Par ailleurs, parmi les acquis matériels, figure en premier lieu le beau «Club des Avocats», réalisé sur un paisible site à Bouskoura. Doté d'une piscine, de grands courts et d'un terrain de foot, le club en question abrite plusieurs disciplines sportives. La Maison de l'Avocat, située au boulevard de la Résistance, est un espace de cinq étages, situé en plein centre de la ville. Elle comprend une salle de conférences, des salles de cours et de stages, une bibliothèque ainsi que plusieurs autres locaux. Si pendant ces dernières années l'établissement a connu des moments de répit, sa relance figure parmi les priorités de l'Ordre au même titre que la «Revue des tribunaux du Maroc» qui fêtera prochainement son 100ème numéro. Bien que sa périodicité n'ait pas été respectée ces derniers temps, elle «renaîtra de ces cendres» avec la présence de Abdeljalil Berbale en tant que rédacteur en chef. Il est à signaler que cette revue n'a pourtant jamais cessé de paraître ni pendant le protectorat ni pendant les deux Guerres mondiales. Tirée à 3.500 exemplaires, elle est distribuée gratuitement aux avocats membres du Barreau. Cette publication de haut niveau juridique est accompagnée du bulletin mensuel du bâtonnier qui constitue une sorte de fenêtre à travers laquelle les avocats suivent les activités de l'Ordre et de ses dirigeants. D'autre part, l'Ordre des avocats de Casablanca a réussi à nouer des relations étroites avec l'Union internationale des avocats, dont le siège est à Paris et qui vient d'organiser dernièrement un colloque à Fès. Plusieurs avocats marocains sont membres de cette Union. Quant à l'Union des Avocats Arabes, dont 12 barreaux marocains sont membres avec à leur tête celui de Casablanca, elle a comme secrétaire général M. Brahim Semlali, ex-bâtonnier et membre de l'Ordre des avocats de la capitale économique du Royaume. C'est d'ailleurs à l'occasion de l'organisation, en 2001, de l'une de ses rencontres au Maroc que la soutane de l'avocat a été offerte à SM le Roi Mohammed VI. Cette année, une rencontre de cette même Union est prévue à Damas, les 18 et 19 janvier. Des membres du barreau de Casablanca prendront part à ces travaux. Par contre, Abdellah Dermiche déplore l'inefficacité du jumelage conclu entre les barreaux de Casablanca et de Bordeaux vers la fin des années 80. Il dénonce aussi la convention établie entre son barreau et celui de Paris ; une convention qu'il considère non conforme à l'article 25 du Code de la profession. «Tant que cette convention ne met pas sur le même pied d'égalité les avocats des deux Barreaux, elle est nulle et non avenue», dit-il. En effet, un avocat parisien a le droit d'exercer sans condition à Casablanca alors que l'avocat casablancais doit passer un stage pour exercer à Paris. Justice et indépendance «Nous maintenons fortement notre position quant à l'indépendance de la justice dans notre pays. Notre pouvoir judiciaire n'est pas indépendant, il doit se défaire de tous les courants qui l'influencent, surtout du pouvoir de l'argent. Déjà, la constitution du Conseil supérieur de la justice montre que celle-ci n'est pas indépendante», répond A. Dermiche à une question relative à la situation de la justice au Maroc. Et d'ajouter : “Notre justice doit être forte et nos juges doivent être courageux. Le 9 janvier dernier était la célébration de la journée mondiale de lutte contre la corruption. L'Etat marocain, bien qu'il l'ait signée, doit approuver la convention internationale de lutte contre la corruption”. Le bâtonnier de l'Ordre des avocats plaide pour une revalorisation du niveau des jugements. «Certes, des chantiers sont ouverts pour redresser la justice au Maroc. Mais, ce n'est ni le nombre ni la quantité des jugements qui va redresser la justice, mais c'est leur qualité. Nous devons former des juges dans les nouvelles spécialités, car nos tribunaux doivent examiner de nouveaux litiges», déclare-t-il avant de s'attaquer au phénomène de la non-exécution des jugements et arrêts; un problème longuement soulevé par les juristes et par la presse. «La non-exécution des jugements est un délit qui est puni par la loi. Or, le premier à ne pas s'y tenir c'est l'Etat lui-même, malgré la fameuse circulaire de Abderrahmane El Youssoufi, alors Premier ministre», précise le bâtonnier. Pour lui, la réforme de la justice au Maroc ne doit pas concerner seulement les hommes. Elle doit s'étendre aux constructions et à la conception des tribunaux qui sont actuellement ou vétustes ou carrément inappropriés. Le tribunal de Commerce de Casablanca, situé en plein complexe Derb Omar, en est le meilleur exemple. D'autre part, si la réorganisation des tribunaux de Casablanca est au fond une décision louable, elle a quand même conduit à l'anarchie et au désordre. «Le ministre de la Justice n'avait aucun intérêt à déclarer la création d'une cellule de suivi des articles de presse. C'est une grosse bavure et je l'ai déjà fait savoir. Ces cellules de suivi existent depuis toujours, dans tous les ministères, surtout celui de l'Intérieur», répond A. Dermiche à la question relative à la situation de la presse au Maroc et son rapport avec le pouvoir judiciaire face à la nouvelle vague de procès. Presse et pouvoir judiciaire «Ce sera un retour de manivelle qui risquera de faire mal. Le jour où l'on se rendra compte de sa gravité, il sera très difficile de l'arrêter. La personnalité publique appartient à tous et le journaliste qui comparaît à la barre sera obligé de tout dire pour se défendre. Nous assisterons alors à une situation où le voilé sera dévoilé». Pour A. Dermiche, les journalistes doivent se battre pour la refonte du Code de la presse afin d'abolir l'emprisonnement. Ils doivent établir une Charte d'honneur entre la presse, les lecteurs et les pouvoirs en tant que premiers représentants publics. Sinon, l'influence du pouvoir de la presse peut devenir nocive au même titre que celle du pouvoir de l'argent sur les magistrats. La presse a beaucoup milité et a donné des martyrs et des victimes. Le journaliste, comme l'avocat, travaille dans des conditions difficiles. La presse doit militer du côté du législatif et opter pour la spécialisation pour une meilleure maîtrise des sujets qu'elle doit aborder, conclue-t-il.