* Le monde des affaires a besoin de cabinets conseils à la hauteur de ses attentes. * La formation est une étape cruciale pour la mise à niveau de la Justice. Finances News Hebdo : Est-ce qu'on peut faire une classification des cabinets d'avocats d'affaires ? Me Ziane : Oui, je crois qu'on peut faire ce genre de classifications ; comme je crois à la certification ISO des cabinets. Avec la mondialisation, je crois qu'il faudrait qu'on puisse garantir aux partenaires étrangers un minimum de service de qualité et on peut penser à une classification ISO des cabinets. Maintenant, classer tel cabinet comme premier ou tel comme meilleur, le classement dans le sens classique dépend plus du temps qu'on passe pour le traitement des dossiers, la prestation des services, la qualité des collaborateurs et l'existence d'un réseau informatisé ; tout ça est déterminant dans la réputation et la compétence du cabinet. F. N. H. : Et l'ouverture sur les cabinets internationaux ? Me Ziane : L'ouverture sur les cabinets internationaux est obligatoire. Bientôt, sans doute dans 3 ans, on pourra assigner un Marocain à l'étranger et la décision sera exécutoire au Maroc. Ça va obliger la Justice à se mettre à niveau. Je n'y vois pas d'inconvénients. Déjà, il y a un très grand cabinet à Casablanca. Des stages se font à Nice, des cabinets secondaires vont s'ouvrir tant en France qu'au Maroc. Bien sûr, il y a toujours des réticences et des hésitations, du refus de tous les côtés de la Méditerranée, mais cette ouverture est inéluctable. F. N. H. : Il y a aussi le volet consultatif des avocats qui est en quelque sorte négligé ... Me Ziane : La fonction de consultant qui vise à éviter le contentieux est une démarche d'avenir. Elle n'est pratiquée que très peu. Généralement, on ne consulte un avocat que lorsque le contentieux est né. La consultation se développera, surtout qu'en parallèle à la consultation on finit toujours par signer des contrats où, en cas de différend, c'est l'arbitrage qui prend la place de la Justice. Le contentieux judiciaire a tendance à disparaître dans les grandes multinationales et dans les grands dossiers d'affaires au bénéfice de l'arbitrage. Donc, on a tendance à faire plus confiance à l'arbitrage et sa généralisation va certainement profiter à la fonction de la consultation. F. N. H. : Est-ce que la tendance est à la spécialisation ? Me Ziane : Je crois qu'il y a une tendance universelle vers la spécialisation. Les grandes multinationales cherchent les spécialistes que la pratique nous obligera certainement à accepter. Il n'est pas mal vu, mais on hésite beaucoup, car il n'y a pas beaucoup d'affaires et la culture du refus du client n'existe pas dans notre pays. Rares sont les avocats qui vous orientent vers un autre avocat qui pourrait mieux traiter telle ou telle affaire. Mais je crois que le contentieux fiscal offre un bon exemple de la spécialisation. Car il faudrait avoir la spécialité pour pouvoir s'aventurer dans un procès lourd de conséquences. En matière d'assurance, dans l'immobilier ou l'administratif, il y a des cabinets spécialisés. Avant, cétait le marché qui se régulait en fonction des demandes du client. Le nombre impressionnant des avocats impose le choix de son avocat selon des critères qui changent. F. N. H. : Est-ce qu'il y a des règles pour dire que tel avocat est compétent ? Me Ziane : Il n'y a pas de règles. Ce qui fait défaut au Maroc c'est la formation continue. Aujourd'hui, pour pouvoir exercer votre métier vous devez déposer ailleurs des certificats de formation continue après plusieurs années de carrière. Cette formation est très importante et ce déficit de la connaissance fait stagner le métier. On ne peut plus refuser la mise à niveau régulière et continue. C'est ce qui se passe en France actuellement où il y a des stages de formation continue que les avocats doivent payer pour pouvoir se spécialiser dans les diverses branches du droit qui existent. Grâce à la formation, on peut se spécialiser là où l'on se sent le plus à l'aise et plus efficace. F. N. H. : Le nombre très réduit des cabinets répond-il aux attentes des investisseurs étrangers ? Me Ziane : D'abord il y a beaucoup d'avocats français qui ont déposé des demandes à Rabat pour ouvrir des cabinets secondaires. Il y a aussi des avocats français qui se sont associés à des Marocains. Mais la démarche n'est pas la même. Au Maroc, il y a un quasi-monopole de l'assurance et de la banque. Ce sont les banques qui choisissent les cabinets. Nous ne sommes pas dans une situation de compétition libérale. En Europe, ça se passe autrement. Les banques financent les stages de formation au profit des cabinets. Et lors de ces stages, les avocats sont «découverts». C'est-à-dire des avocats formés et aptes à répondre aux besoins du secteur. Ça implique des jeux d'alliances et des intérêts. F. N. H. : Est-ce que le problème de la langue est un handicap ? Me Ziane : Le problème de la langue ne se pose pas avec la gravité qu'on lui attribue. Je ne pense pas que le problème de la traduction se pose avec acuité. Il commence à être dépassé avec l'application de l'informatique. Il y a des méthodes pour faire des traductions instantanées. Certes les avocats étrangers ont des difficultés à s'exprimer en arabe, mais dans 10 ans les documents en chinois seront très déterminants. Donc, c'est un problème global et il ne concerne pas uniquement le Maroc. F. N. H. : La loi interdit aux avocats de se constituer en sociétés. Est-ce que ce n'est pas un handicap ? Me. Ziane : C'est vrai qu'on n'adopte pas le modèle anglo-saxon. Il faut avoir la demande nécessaire. Le marché au Maroc est très restreint. Peut-être qu'il faudra créer des sociétés spécialisées. Mais nous n'avons pas le marché américain. Je ne veux pas faire une boutade, mais il faut qu'on reste logique. Les salaires, les niveaux d'honoraires, les modes de paiement diffèrent... F. N. H. : Qu'en est-il du projet de réforme de la loi sur les avocats ? Me Ziane : Je suis avocat depuis 40 ans, je suis à ma sixième ou septième loi de la réforme. Je crois que c'est trop ! L'excès de réformes tue la réforme finalement souhaitée. L'inflation des textes ne sert pas à grand-chose. Au contraire, cela a des effets très graves. A mon avis, le temps est venu pour déterminer des règles précises tranchantes et claires une fois pour toutes. F. N. H. : Est-ce que vous pensez que la réforme du secteur de la Justice répond parfaitement à l'amélioration du climat des affaires ? Me Ziane : Les tribunaux de commerce ont été un échec. Ils n'ont apporté aucune utilité aux opérateurs. C'est une erreur. On aurait dû créer une section commerciale au sein des tribunaux de droit commun. A mon avis cela n'a pas résolu les problèmes. Le déficit de formation pèse toujours, car un magistrat qui ne bénéficie pas de la formation sera dépassé. D'un autre côté, il faudrait une uniformisation de la jurisprudence. Une Justice qui se contredit suscite la méfiance plutôt que la confiance. La même solution ou la même réponse doivent être données pour des cas semblables. Bien sûr, l'évolution de la jurisprudence est possible, mais il faut qu'elle évolue pour tout le monde.