En dépit de l'existence de services de renseignements réputés pour être les plus compétents du monde arabe, auxquels s'ajoute un encadrement américano-britannique de taille, le royaume hachémite est resté le maillon le plus faible de la région du Moyen-Orient. A Paris, les responsables du département Proche-Orient auprès du Quai d'Orsay ne cachent pas leur inquiétude à l'égard de ce qui s'est passé en Jordanie. Pourtant, cette petite monarchie est considérée comme étant la chasse gardée des Anglo-saxons, plus particulièrement des Britanniques. Le fait de percer un dispositif sécuritaire aussi hermétique comme c'est le cas dans la zone où se trouvent ces hôtels connus pour abriter les séminaires, les conférences et les responsables étrangers, montre que la stabilité même du régime est dorénavant remise en cause. Ce que les responsables jordaniens, le roi Abdallah II en premier, ne veulent l'admettre. Ce qui n'est pas de l'avis des Américains qui ont décidé, trois jours après les attentats, de transférer en Jordanie, des troupes et des équipements sophistiqués de la base d'Al-Aâïdide située au Qatar. Pour la première fois depuis le décès du feu roi Hussein, le dossier est entre les mains du palais. Premiers indices sur cette main mise, les importants changements effectués par le souverain et qui ont touché le sommet de l'establishment jordanien. En effet, 11 conseillers ont été écartés, en plus de l'homme fort, le général Saâd Kheir, qui dirigeait jusqu'ici les «Moukhabarates». Parmi les autres personnalités démissionnaires, Fayçal al-Fayez, président du “Diwan al-Malaki” qui a laissé sa place à l'ancien général Salem al-Turk. Mais le plus significatif, c'était la nomination du général Maârouf al-Bakhit au poste de premier ministre. Ce qui confirme le retour en force de l'institution militaire au pouvoir. De sources proches des milieux d'affaires dans la capitale jordanienne, on apprend que ces vastes changements montrent que la priorité sera accordée dorénavant au sécuritaire et non plus aux réformes économiques. Ce qui constitue, d'après eux, un grand handicap dans les circonstances actuelles ; notamment après que certains secteurs de l'économie aient connu un développement considérable. Et, après que le pays soit devenu, avec l'aide des institutions financières internationales, un centre régional pour abriter ses grandes manifestations, tels que les mini-sommets de Davos ou ceux de la Banque mondiale. Dans les salons politiques d'Amman, on n'hésite pas à dire que la nomination d'Al-Bakhit à la tête du nouveau gouvernement qui remplacera celui d'Adnan Badran, a mis fin aux tiraillements grandissants au sein du palais royal. L'heure est donc à faire face aux défis lancés par le leader jordanien du mouvement Al-Qaïda, Abou Massaâb al-Zarkaoui. Une tâche qui s'annonce rude après que ce dernier ait prouvé qu'il était capable d'ouvrir le front irakien jusqu'il y a à peine un mois, était contrôlé par les services jordaniens. C'est pour cette raison que le roi de Jordanie avait dépêché Al-Bakhit à Damas pour avoir le soutien du régime Baasiste voisin dans sa prochaine lutte contre les terroristes irakiens d'Al-Zarkaoui. Anticipations non garanties Les sorties médiatisées d'Abdallah II dans lesquelles il a ordonné à son nouveau gouvernement de mener une guerre sans faille contre les écoles de “takfir” tout en s'attachant à l'application des réformes démocratiques, n'ont pas été trop convaincantes. Les analystes politiques étrangers basés à Amman ont considéré les menaces émanant du roi comme étant des points de faiblesse du régime. Ils estiment que la nature ainsi que la dimension des changements intervenus au sommet montrent que le pouvoir se sent plus fragilisé que jamais. Cela dit qu'il doit consacrer tous ses efforts et tous ses moyens pour sauvegarder la stabilité politique ; même si cela sera au détriment du développement socio-économique. Ce qui constitue un risque à ne pas minimiser dans un pays où la dette publique ainsi que le chômage peuvent à n'importe quel instant se transformer en bombes à retardement. Les évènements de Maân l'année dernière doivent être présents dans les esprits des militaires qui sont aujourd'hui aux commandes. Dans ce contexte, force est de souligner que le “groupe de la gestion des crises internationales”, basé à Washington, a reçu l'arrivée du nouveau gouvernement jordanien par de fortes critiques. Notamment du comportement politique après les attentats d'Amman. Dans son dernier rapport paru vendredi dernier, le groupe a suggéré l'application de véritables réformes politiques permettant une plus grande participation populaire. Car, d'après lui, c'est la seule solution pour atténuer les risques d'attaques terroristes qui trouvent son soutien dans les climats sociaux tendus. D'autre part, le rapport met en garde contre le contentement des seuls mesures sécuritaires, en ajournant les réformes socio-économiques. Surtout que le sécuritaire pourrait avoir des effets contraires au cas où le mécontentement populaire n'est pas absorbé. De ce fait, l'Etat, plus précisément le roi, devra sans tarder, adopter une stratégie portant d'abord sur la révision des lois qui entravent les libertés politiques ; deuxièmement, mettre en place une nouvelle loi électorale reflétant les meilleures ambitions du peuple; et, troisièmement, opter pour la formation d'une coalition gouvernementale qui regroupe en son sein les forces d'opposition. L'état d'esprit prévalant jusque-là, même après la rude épreuve des attentats, montre malheureusement que le pouvoir jordanien campe sur ses positions, ne voyant que l'instrument sécuritaire comme étant le seul moyen d'imposer la stabilité. Une configuration qui ne fait que répondre aux souhaits de Zarkaoui. Qui a déjà fait savoir qu'il poursuivra ses attaques contre ce régime jordanien qui n'est pas prêt à réviser ses positions sur le plan politique interne aussi bien qu'externe; et, surtout, au niveau de l'amélioration du niveau de vie de sa population. En apportant de telles précisions, Zarkaoui, qu'il soit un prête nom ou pas, prouve une fois de plus qu'il connaît parfaitement les moindres détails en Jordanie. Par là, il agit ainsi en conséquence. Dans cette foulée, les observateurs les plus avertis à Amman craignent que les mesures sécuritaires aboutissent à des dérapages. Ce qui peut entraîner des confrontations avec une frange de la population, notamment les mouvements islamiques et les syndicats ainsi que les habitants des quartiers pauvres et des camps des réfugiés palestiniens. Les ingrédients d'une telle explosion existent depuis longtemps. L'habilité des politiques qui se sont succédé aux commandes ont fait éviter, de justesse, l'enlisement. La stabilité socio-politique demeure la seule issue pour un petit pays comme la Jordanie. Celui-ci, qui ne possèdant, à part un peu de phosphate, que des richesses naturelles tels que le pétrole et le gaz. De plus, force est de rappeler, que ce royaume est situé au cœur d'un environnement géographique explosif. Il est entouré d'un Irak en guerre de tout genre, d'un Israel en pleine mutation, et d'une Syrie menacée par toutes sortes d'embargo et de frappes militaires américaines comme israéliennes. Sans compter, bien entendu, les pressions qui pourraient venir de l'intérieur palestinien. Décision courageuse demandée Le royaume hachémite avait été par le passé confronté à de nombreuses crises et menaces touchant même son existence. Malgré ces faits, il avait réussi à s'en sortir indemne avec le minimum de pertes. Mais les derniers attentats sont considérés comme étant les plus dangereux de par son timing ; et, aussi pour ce qui pourra se répercuter ultérieurement sur les plans politique et sécuritaire. Les attentats bien ciblés visaient, en premier, à ébranler cette stabilité afin de détruire l'avancée économique en cours. Un développement dû à l'afflux des capitaux en provenance de l'Irak et de la Syrie, et à l'essor spectaculaire des secteurs de l'habitat et du tourisme. Ce dernier qui a engendré un montant dépassant les quelque 1,1 milliards de dollars sur les premiers neuf mois de 2005. Le roi Abdallah II est le mieux placé pour prendre les décisions adéquates pour sauvegarder son régime. Celui qui a poursuivi ses hautes études dans les meilleures universités occidentales et est resté plus de 20 ans dans l'institution militaire de son pays, ne pourra commettre des erreurs fatales. Notamment, dans des circonstances d'une telle gravité. C'est pour cette raison que ceux qui le connaissent le plus ont indiqué à La Gazette du Maroc qu'il sait parfaitement que le changement du gouvernement et le choix porté sur un homme fort du point de vue sécuritaire pour le diriger, n'est pas la seule garantie pour surmonter la crise; et, par là, préserver la Jordanie des revers, y compris l'économique, dans l'avenir. Le problème, c'est que le pouvoir jordanien est allé très loin avec les politiques et les objectifs américains dans la région. Reste à savoir maintenant si les Etats-Unis, qui ont fait récemment savoir qu'ils réduiront fortement leur présence en Irak seront capables de défendre sécuritairement et économiquement ce pays qui est plus que jamais aujourd'hui dans l'œil du cyclone ? Une partie de la classe politique jordanienne est affirmative là-dessus, tandis qu'une autre se doute, notamment après l'entrée de l'Etat d'Israel dans une zone de turbulence depuis la démission d'Ariel Sharon et le retard de la déclaration de l'Etat palestinien. Les fuites en avant restent toujours de mise, y compris le transfert des Palestiniens vers le royaume hachémite.