Parti de l'Istiqlal Au-delà de ses repères originels et des péripéties de la participation aux gouvernements Youssoufi et Jettou, où en est l'Istiqlal de ses références, remous internes et alliances ? Son secrétaire général, Abbas al Fassi, a évoqué avec nous ces questions, parfois épineuses. Décryptage d'un discours et portrait d'un dirigeant politique qui, par vocation et par nécessité, privilégie un positionnement au centre... Serein et peu enclin à dramatiser les choses : tel choisit d'apparaître Abbas al Fassi, qui, au cours de ses 6 années et demi à la tête du parti de l'Istiqlal, a dû cependant essuyer quelques orages et traverser des situations délicates. Quand on évoque avec lui les derniers remous en date au sein du parti, il prend soin d'en minimiser ou tout au plus d'en circonscrire l'ampleur et les enjeux. Les deux épisodes qui ont défrayé la chronique, celui de la démission du patriarche Abdelkrim Ghallab et celui de la fronde de Mohamed Khalifa seraient-ils significatifs d'un malaise profond ? “Nullement, indique Abbas al Fassi. Ce sont des désaccords sur quelques points en discussion, pas des divergences fondamentales”. A. Ghallab qui avait mal accepté d'être “censuré” dans son journal Al Alam à propos de l'évocation d'une éventuelle implication du leader syndicaliste istiqlalien Abderrazak Afilal dans l'affaire Slimani - Laâfoura instruite par la justice, avait démissionné avec fracas du journal et du parti. “Nous avons le plus grand respect pour Si Ghallab, ajoute le secrétaire général, pour son apport à la pensée istiqlalienne et son combat pour la démocratie. Je me suis rendu chez lui avec les autres membres du comité exécutif et nous avons fait valoir que des parties hostiles voulaient utiliser sa démission pour porter atteinte au parti. Il a accepté de réintégrer sa place au parti mais pas au journal et je lui ai alors baisé la main...” Certes, A. Ghallab a gardé son franc-parler et au cours de la dernière réunion du comité central il a été très critique envers la diplomatie marocaine suite à la reconnaissance de la RASD par l'Afrique du sud. Pour Abbas al Fassi, “il est normal qu'il y ait des voix diversifiées et que le débat soit admis”. Toutefois, il rappelle que la discipline interne finit par prévaloir. Néanmoins la quasi-dissidence de Mohamed Khalifa, coordinateur des sections de la région Marrakech-Tensift, et victime du remaniement ministériel qui lui a fait perdre le portefeuille de la fonction publique, semble difficile à faire rentrer dans les rangs. Khalifa qui estime être l'un des ténors du parti n'a guère accusé le coup et de surcroît il est aux prises avec ses nombreux détracteurs dans son fief à Marrakech depuis les élections communales de 2003. “C'est la seule région sur plus de 70 où nous avons encore un problème, précise al Fassi, cela finira par être aplani”. Libéralisation interne De toute évidence, l'actuel secrétaire général veut rester dans cette immuable tradition du parti, consistant à afficher l'unité de sa direction et de ses rangs. Comme les temps changent et que le monolithisme subit des fissures, l'essentiel est de contenir les débordements. Les frictions entre les caciques du conseil de la présidence (Boucetta, Douiri et Ghallab notamment) ou les contestations de l'organisation de la jeunesse istiqlalienne dirigée par M. Bekkali ne sont pas surestimées. Pourtant lui-même visé par nombre de ces critiques, le secrétaire général ne se montre guère déstabilisé. Il tient plutôt à suggérer qu'un vent de liberté et une plus grande acceptation du débat est la marque de ses deux mandats. En ce sens, il se veut plutôt porteur d'une certaine libéralisation interne. Cependant à la mi-décembre 2002, il avait, en manifestant une vive émotion, pris à témoin les membres du conseil national au sujet des attaques multiples dont il faisait l'objet en rapport avec les déficits de la participation au gouvernement Youssoufi. Abbas al Fassi a, de fait, voulu incarner une ligne réaliste de compromis entre les différentes tendances, réticentes ou plus exigeantes quant à cette participation. Il semble que cette épreuve où il devait louvoyer entre des contraintes adverses (entre concessions au pouvoir et pressions internes au parti) l'ait quelque peu aguerri. La bonhomie dont il ne se départit jamais, jointe à une faculté de communication, du contact et d'entregent, cultivée lors de ses missions diplomatiques, exprime son parti-pris de souplesse et de conciliation. Apparemment il n'est pas homme à s'enfermer dans des attitudes catégoriques, ou des références trop dogmatiques au “patrimoine du parti”. Ce qui lui a valu des reproches mais aussi une image de dirigeant ouvert, pragmatique, plus attaché à la modernité. C'est ainsi qu'en parrainant l'entrée au gouvernement Jettou des jeunes Karim Ghallab et Adil Douiri, des critique l'avaient épinglé à propos de ces “parachutages de non-militants”, et il s'est employé à convaincre de la nécessité de s'ouvrir aux nouvelles compétences, sans sectarisme étroit, d'autant plus, souligne-t-il, que le choix s'était porté sur des cadres “nés dans la famille istiqlalienne”. Pour consolider à la fois son image et sa légitimité, parfois mises à mal, Abbas al Fassi se prévaut d'avoir développé la démocratie interne. Il souligne volontiers que “les réunions des instances du parti se tiennent régulièrement, les congrès mais aussi le conseil national tous les 6 mois, le comité central tous les 3 mois et le comité exécutif chaque semaine. Les votes se déroulent avec des bulletins secrets et une très large participation au dépouillement. Depuis mon élection, il n'y a plus de commission pour désigner les candidatures, celles-ci sont libres. La discussion et même le lobbying interne sont plus largement pratiqués, mais on n'a pas de courants organisés”. Contact avec la base Les dissonnances proviennent le plus souvent, selon lui, du fait qu'on ne peut pas satisfaire toutes les ambitions, lors de la formation des gouvernements ou de la désignation des têtes de listes aux élections. Pour maintenir le cap, malgré ces diverses sources de zizanie, il s'emploie à parcourir les provinces et à rencontrer la base. Il ne cache pas sa satisfaction d'être partout fort bien accueilli, écouté et conforté. C'est pour lui “un signe de vitalité” du parti dont il ne doute pas qu'il soit “le premier dans le pays”, avec une organisation structurée et pérenne. Cette réalité fut, répète-t-il, masquée par “les trucages flagrants ayant entaché les élections depuis mai 1963 et fourni une carte erronée des forces politiques”. Y compris les législatives de 1998 où “l'Istiqlal fut la grande victime”. Les choses ont changé depuis l'éviction de Driss Basri et “grâce à la volonté de SM Mohammed VI, les élections de 2002 donnent globalement une configuration plus réelle du champ politique, malgré l'usage de l'argent et quelques manipulations isolées”. En filigrane, on peut ici lire une justification du bien-fondé de l'orientation assumée par le secrétaire général. Le résultat en aura été donc bénéfique, puisque aujourd'hui l'Istiqlal vient en tête au parlement, si l'on considère que le groupe “ haraki” regroupe trois partis encore distincts. C'est donc un bilan honorable qui se dégage des propos de Abbas al Fassi qui, à bon entendeur salut, souligne : “tous mes amis du parti savent que j'ai veillé à respecter notre légalité et c'est ce que je ferai aussi au XVe congrès en 2007 où je ne serai pas candidat à un troisième mandat”. Il souhaite toutefois que “conformément à la tradition du parti, il y ait un accord préalable sur une seule candidature à ce poste pour éviter les divisions”. Le parti avec ses différentes composantes se reconnaît-il dans ce tableau ? On le voit, depuis le passage à “l'alternance consensuelle”, en proie à la ruée des ambitions mais aussi à la nostalgie de l'identité istiqlalienne. Celle ci se nourrit surtout de l'invocation (souvent mythifiée) de l'épopée nationaliste et de l'inspiration salafiste ouverte, prônant selon l'inspiration du zaïm fondateur Allal al Fassi, à la fois l'authenticité islamique, l'exigence moderne de raison et l'égalitarisme social. En ces temps où l'évolution du régime, les compromis et les vicissitudes politiques ont mis à mal bien des repères, l'identité se retrouve assez hypothétique. De fait la référence au nationalisme originel est, depuis la marche verte, débordée par l'actualité de la question du Sahara. L'Istiqlal ni les autres partis issus du mouvement national ne peuvent plus s'en prévaloir seuls. L'Istiqlal débordé Second aspect : l'Istiqlal ne peut plus se distinguer comme seule force prônant le compromis avec le pouvoir puisque les principaux partis de la gauche ont aussi souscrit à l'expérience de “transition démocratique” et participent aux gouvernements de coalition. Troisième forme de débordement : celle qui s'est produite sur le flanc traditionnaliste conservateur du parti car les mouvements islamistes ont fait monter les enchères, et se réclament d'un salafisme radicalisé, plus ou moins intégriste. Enfin, l'Istiqlal a vu aussi la montée de revendications berbéristes et d'expressions modernistes prônant la référence à une culture et une identité plurielles au substrat non seulement arabe mais aussi amazigh, africain et méditerranéen. Face à l'évolution connue sur ces quatre plans, la crispation sur quelques dogmes (notamment l'arabisme) est devenue malaisée. Sans doute, tout appel à aborder les réalités de son temps avec plus d'ouverture ne peut qu'être bénéfique. Cependant il y a souvent loin de la coupe aux lèvres... Mésentente avec Youssoufi Le credo de Abbas al Fassi, à propos de l'Islam, est exprimé sans détours : “nous sommes centristes au sens coranique du terme, le texte sacré évoque la Oumma du juste milieu, c'est à dire de la modération, loin des extrêmes”. Pour se distinguer de l'islamisme, il précise que tout en se basant sur les principes islamiques, il ne faut pas vouloir régenter la vie personnelle des gens. A propos du PJD, il rappelle qu'il avait déjà affirmé, dans une déclaration, que celui-ci ayant été reçu par le Roi au lendemain des élections au même titre que les partis de la coalition, il doit être considéré comme une composante normale du champ politique. “A priori, je n'ai rien contre le PJD avec qui nous avons des contacts dans le cadre parlementaire, ajoute-t-il, d'ailleurs ses députés font une opposition constructive et il possède des cadres valables”. Où en est, toutefois, l'Istiqlal dans ses rapports avec ses partenaires de la Koutla et notamment de l'USFP ? Pour faire bonne mesure, Abbas al Fassi évoque les bienfaits de la Koutla depuis sa formation, notamment en matière de démocratisation, “grâce à la symbiose avec Hassan II” et aux avancées enregistrées dans les constitutions de 1992 et surtout de 1996 qui ont ouvert la voie au gouvernement d'alternance. Cependant “dès la nomination de Abderrahmane Youssoufi comme premier ministre, le rôle de la Koutla a dégringolé”. Abbas al Fassi juge sévèrement cet épisode : “Youssoufi dès le départ est venu me voir pour me signifier que l'USFP allait tout diriger et que c'était sans discussion”. Piqué par cette attitude trop cavalière, Abbas al Fassi n'a pas cherché à ménager ses critiques au gouvernement Youssoufi malgré la participation “minoritaire” de l'Istiqlal. Selon lui, Youssoufi était peu communicatif et peu porté au dialogue et à la prise en compte des points de vue des autres. De plus, “il se montrait irrésolu et ne tranchait pas, il y avait pour cela des lenteurs et on n'avançait pas dans les réformes, il pratiquait une sorte d'autocensure”. Cette page est-elle tournée ? Tout au moins, affirme-t-il, “avec l'USFP et le PPS, on espère aujourd'hui redynamiser la Koutla”. Visiblement tout n'est pas encore aplani et les appréhensions ataviques entre l'Istiqlal et l'USFP ont du mal à se dissiper. La perspective de 2007 entre-t-elle déjà en ligne de compte avec ses calculs et rivalités prévisibles ? Pour l'instant, il s'agit, au minimum, de relancer la coordination sur les questions urgentes du Sahara, de la loi sur les partis et du mode de scrutin. “Nous allons nous concerter très prochainement sur ces sujets”, ajoute al Fassi. Quant à la question des pôles évoqués dans le discours royal devant le Parlement, il veut “éviter toute précipitation, et ne pas faire de fixation sur l'échéance électorale de 2007”. Ceci implique de “se méfier de toutes les classifications artificielles des partis, et si nous allons privilégier la Koutla, nous voulons aussi maintenir d'excellentes relations avec les partis qui prennent leurs décisions en toute autonomie”. L'échéance de 2007 Nous retrouvons ici ce même leitmotiv du choix d'une position médiane au centre, laissant ouvertes les possibilités d'alliances (pas de pôle fixe) et de négociations futures. De même que, entre les tendances et les personnages de la vieille garde de l'Istiqlal, il s'est efforcé de garder une position tout aussi centriste, il veut se ménager une marge de manœuvre, assez équidistante des autres partis en présence. La situation de statu quo actuel au sein du gouvernement Jettou est, de ce point de vue, plutôt confortable car elle permet de voir venir, sans aiguiser les rivalités. Aussi bien al Fassi n'est pas avare en éloges à l'égard de Driss Jettou. Le portrait qu'il dresse de ce dernier, à l'opposé de celui de Abderrahmane Youssoufi, est plus flatteur : “Jettou assure plus d'homogénéité et une discussion libre, il tient compte des idées nouvelles et des réserves justifiées, il me respecte ainsi que les autres ministres”. Le bilan des réalisations du gouvernement est jugé plutôt positif et “Jettou affronte avec courage les difficultés”. Cependant, Abbas al Fassi déplore trois points faibles : le chômage persistant des jeunes diplômés, la corruption qui se serait aggravée et le déficit de communication. Comme le gouvernement Jettou bénéficie de l'adhésion des partis qui y participent, “il a des chances d'aller jusqu'au terme de la législature à condition que soit maintenue une complète impartialité vis-à-vis de ces partis”. De toute évidence, l'Istiqlal compte bien aller au bout de cette législature sans heurts ni mauvaises surprises. Il veut bien croire à toutes ses chances pour cette échéance. Ni les remous internes du parti ni les incertitudes du système politique ne devraient ébranler, sauf imprévu, la prudence centriste de Abbas al Fassi. Faut-il y voir un symbole ? L'Istiqlal est le premier parti arabo-musulman qui a adhéré récemment à l'Internationale des partis démocratiques du centre regroupant 95 partis (dont l'UMP et l'UDF françaises). Ceci l'aidera-t-il à mieux conforter ses repères ?