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Les raisons du blocage
Publié dans La Gazette du Maroc le 25 - 10 - 2004


Maroc/Algérie
Au moment où le faux-pas de la diplomatie algérienne à l'ONU relance le débat sur un sérieux amendement du plan Baker, la nouvelle marge de manœuvre du Maroc doit lui permettre d'agir avec plus de fermeté, mais sans verser dans aucune escalade. Tout en précisant ses propositions quant à la solution du conflit il aura à prendre de nouvelles initiatives pour s'ouvrir davantage sur les composantes de la société algérienne en vue de surmonter les causes d'un blocage anachronique.
Il est sans doute encore tôt pour parler d'un tournant dans l'approche de la question du Sahara par la majorité des pays membres de l'ONU après la très nette réserve marquée par l'ampleur des abstentions au vote de la résolution algérienne devant la quatrième commission.
Cependant c'est la première fois que l'activisme algérien s'est trouvé face à un tel signe d'agacement et de défiance dans cette commission où, sous couvert de défense du principe d'autodétermination, il a trop longtemps pu manœuvrer à son avantage. Comme cela a été relevé par tous les commentateurs, Alger en a fait un peu trop, cette fois-ci, en se comportant comme
en terrain conquis et en se positionnant à l'excès comme partie prenante, défiant même le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan et récusant de facto son nouveau représentant personnel Alvaro de Soto. En faisant fi du traditionnel consensus, plus ou moins feutré, qui avait été de rigueur dans les recommandations de cette commission, la diplomatie algérienne s'est mise à découvert, perdant le sang-froid et l'habileté manœuvrière qui l'avaient longtemps servie. En voulant reprendre à son compte la raideur d'un James Baker qui affirmait à propos de son plan : “c'est à prendre ou à laisser”, Alger a cherché à enfermer l'ONU dans une seule et unique voie, alors même que la résolution 1541 du conseil de sécurité avait laissé une marge pour tenter d'obtenir un accord entre les parties concernées. Ce faux-pas de la diplomatie algérienne, exprimant une nervosité et des prétentions excessives, ont, pour une fois, apporté de l'eau au moulin de la diplomatie marocaine qui a souligné l'extrême implication d'Alger dans le conflit et rendu plus audible sa propre argumentation.
C'est à la lumière de cette nouvelle donnée que le conseil de sécurité va examiner à la fin de ce mois le rapport que présentera le secrétaire général. Plusieurs voix se sont élevées, notamment en Europe et particulièrement en Espagne et en France, pour considérer que le plan Baker n'est pas un texte sacré et qu'il est évident qu'aucune issue n'est possible sans un accord entre les parties au conflit, Algérie et Maroc en premier lieu.
Il est vrai que le surcroît de raideur manifesté par Alger semble fermer la porte à tout nouveau compromis. Mais, comme l'illustre la réaction de la majorité des pays devant la 4ème commission, il y a des limites à tout et Alger ne pourra pas, indéfiniment, imposer son entêtement et sa version du conflit. Personne n'est dupe : la dimension algéro-marocaine de ce dernier est une évidence première pour tous, même si l'on se réfère rituellement au principe d'autodétermination. Il paraîtra encore plus évident que sans l'implication forcenée de l'Algérie depuis le début, jamais cette question n'aurait pris une telle tournure.
Attitude excessive
C'est en axant ses efforts sur une telle démonstration et sur les conséquences dangereuses pour la stabilité du Maghreb et de l'ensemble ouest-méditerranéen de toute solution préjudiciable pour le Maroc, que la diplomatie marocaine peut, dans ce contexte, susciter davantage d'écoute et d'initiatives. Un projet de résolution serait envisagé par l'Espagne et la France afin de sortir de l'impasse actuelle.
Cependant en surmontant les déficits qu'elle n'a cessé d'accumuler, et en gagnant en fermeté, l'attitude du Maroc, aussi bien Etat que société, doit sortir des crispations anciennes et ne plus s'enfermer dans un tête-à-tête avec le pouvoir algérien fait d'échange d'accusations, voire d'invectives ou de menaces.
Il faut, en effet, que le discours et les propositions du Maroc deviennent plus différenciés, soucieux d'être fermes et conséquents face à toute attitude agressive et intransigeante du pouvoir algérien tout en s'adressant aux différentes composantes politiques, sociales et culturelles de l'Algérie. Le soliloque avec le seul pouvoir algérien et sa diplomatie devrait être surmonté. Ce pouvoir a longtemps voulu bâtir sa légitimité sur une opposition radicale entre les deux pays, notamment en refusant d'ouvrir la frontière terrestre et en limitant les contacts entre les sociétés algérienne et marocaine.
C'est ici que le Maroc doit être plus créatif et plus ouvert et la levée du visa pour les Algériens est une première mesure qui, si elle a paru vexante au pouvoir d'Alger, a été très bien accueillie par la population.
Aussi doit-on désormais éviter, notamment dans notre presse, les longues litanies anti-algériennes, les insultes, les oppositions superficielles entre les deux pays visant à dévaloriser l'un et à sublimer l'autre. La propagande polémiste est devenue de mauvais aloi et en fait, elle sert à conforter la fermeture des “durs” du pouvoir algérien. Il s'agit pour le Maroc de sortir de ce face à face stérile, de diversifier son discours et son approche, de se faire entendre au sein de la société algérienne et de renouer, par des initiatives concrètes, avec la perspective maghrébine, débarrassée cependant de ses mythes, illusions et conduites d'échec.
Il ne faut pas, en effet, perdre de vue que la question du Sahara a cristallisé les antinomies entre les régimes des deux pays. L'identité et la perspective maghrébines qui avaient été fortement vécues et revendiquées par les mouvements nationalistes en lutte contre
le colonialisme, au Maroc, en Algérie et en Tunisie ont été très vite enterrées dans les sables, depuis 1962, date de l'indépendance algérienne. Les orientations opposées des régimes marocain et algérien, notamment depuis la prise du pouvoir par Boumediene, ont fait oublier la solidarité des mouvements de libération maghrébins, illustrée par l'appui accordé par le Maroc et la Tunisie à “l'armée des frontières” algérienne, qui allait devenir le noyau du pouvoir à Alger.
Les motivations du pouvoir algérien
Les régimes marocain et algérien dans le contexte de la guerre froide et du tiers-mondisme flamboyant se sont vite retrouvés aux antipodes et se percevaient comme une menace dangereuse l'un pour l'autre. Ce qui aggrava les choses, c'est qu'avec Boumediene, le système militaire qui s'était mis en place en réprimant toute diversité politique et culturelle et en niant des pans entiers de l'histoire du mouvement national (messalisme, notamment), a voulu fonder sa légitimité sur l'accaparement de la lutte de libération nationale et sur le rôle moteur de l'armée dans la construction économique du pays et l'option “socialiste” du régime. Une troisième source de légitimité a été dévolue au rôle de l'armée comme défenseur des frontières et de la patrie, notamment contre le Maroc. La récupération du Sahara en 1975 était perçue par Boumediene comme une prise de puissance par le Maroc, lequel devait être contré et affaibli, d'autant plus que le système qui se mettait en place en Algérie était encore peu assuré sur ses bases. Or, depuis la disparition de Boumediene et après les avatars connus par le régime, de Chadli Benjedid à Abdelaziz Bouteflika, les deux premières sources de légitimité du pouvoir militaire, que sont la référence à la lutte de la libération nationale et au développement “socialiste” ont volé en éclats, du fait de la montée des revendications démocratiques et culturelles et de la “libéralisation” économique qui a engendré de graves distorsions sociales. Les mythes dont s'est longtemps prévalu le régime, depuis Boumediene, ont été laminés par l'évolution de la société réelle. Resta seulement la troisième source d'auto-légitimation, celle de “la défense de la patrie” qui est au cœur de l'engagement algérien dans la question du Sahara. Cette attitude est devenue une seconde nature chez les dirigeants algériens et le
Sahara est resté un “domaine réservé” des militaires qui ont invariablement imposé à leurs civils ce caractère impérieux et cardinal de l'opposition à la marocanité du Sahara.
Boumediene ne cachait pas sa volonté d'abattre le régime monarchique au Maroc et ses rêves d'hégémonie sur le Maghreb étaient un prolongement direct des mythes sur lesquels il voulait fonder l'identité algérienne.
Le pouvoir incarné par Bouteflika aujourd'hui n'a certes plus de tels songes grandiloquents même s'il mime verbalement le “boumedienisme” et malgré la manne pétrolière, il est surtout préoccupé par les lignes de fragilité du système en place, remis en cause par les aspirations démocratiques et par les besoins d'une population jeune et largement frustrée.
Propositions constructives
Les contradictions au sein du pouvoir algérien font qu'il est moins monolithique et que l'emprise des généraux est aussi sujette à marchandages.
Aussi sa crispation sur le Sahara reste-t-elle pour le pouvoir algérien un point d'ancrage essentiel. Si une solution équilibrée était trouvée à ce conflit avec le Maroc, avec la bénédiction de l'Europe et des USA, le pouvoir militaire sera conduit à desserrer davantage sa tutelle sur la société algérienne.
La normalisation des relations et des échanges à l'échelle maghrébine obligerait à dépasser les vieux mythes et les vieilles rivalités. Cela ne sourit pas à nombre de ces “durs” du régime algérien qui verront leur marge de manœuvre plus réduite face à de nouvelle forces et aspirations au sein de la société et de l'armée elle-même (qui, on le sait, est gangrenée par les privilèges exorbitants acquis par la haute hiérarchie).
Le Maroc sera bien fondé de développer ses propositions constructives concernant la large autonomie dont bénéficiera
la région saharienne dans le cadre de la souveraineté marocaine
mais aussi celles relatives au développement conjoint des zones limitrophes entre le Maroc et l'Algérie. L'exploitation des ressources minières et leur acheminement vers le débouché atlantique peut fort bien être envisagée dans le cadre de programmes communs et de sociétés mixtes, à condition que l'horizon soit dégagé et que le conflit qui empoisonne la région depuis si longtemps soit enfin clos. Le Maroc dont le pouvoir se réclame aujourd'hui d'une volonté de réforme et d'ouverture peut, tout en se montrant plus ferme sur le plan diplomatique, être aussi plus ouvert en direction de la société algérienne et plus porteur d'initiatives crédibles pour toute la région maghrébine.


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