Escroc sûrement, affabulateur peut-être, un ancien familier du palais royal, Hicham Mandari, était traqué, depuis juin 1998, par les barbouzes marocaines. Et les services français ne s'en inquiétaient guère. En quelque six ans, le malheureux Hicham Mandari aura essuyé une tentative d'enlèvement à Miami, une fusillade à Bogota, en Colombie (où il sera hospitalisé), deux tentatives d'attentat en France (novembre 2002 et avril 2003), quelques tabassages... Et pour finir, cette exécution, dans la nuit du 3 au 4 août, d'une balle dans la tête, sur un parking de supermarché au nord de Marbella, en Espagne. La vie mouvementée de cet intime de Farida, l'une des concubines préférées d'Hassan II, s'enrichit d'un joli palmarès judiciaire qui l'a vu être mis en accusation dans d'innombrables dossiers. A savoir les “vrais-faux dinars de Bahreïn”-huit tonnes de billets frelatés d'une valeur de 350 milliards d'euros imprimés en Argentine-, une obscure affaire de “chantage” exercé sur le banquier Benjelloun, autre familier du Palais, une “usurpation” d'identité , etc. Si l'on ajoute à ces quelques frasques des liens avérés, d'après les confidences recueillies auprès de ses proches, avec les services secrets algériens et espagnols, des contacts réguliers avec le Front Polisario, la création d'un improbable Conseil national des Marocains libres basé à Londres, cela commence à bien faire. Suivaient les menaces de livrer à la presse les secrets de fabrication des bonnes relations entre le royaume chérifien et la classe politique française (notamment Chirac et sa fille Claude), et l'on comprendra que la fin tragique de cet ancien courtisan du roi Hassan II suscite de légitimes interrogations. Cet aventurier en rupture de ban a-t-il laissé derrière lui quelques bombes à retardement contre le régime qui l'a pourchassé depuis 1998 ? Ou cet homme obèse, vieilli avant l'âge et avançant péniblement, aidé d'une canne, derrière deux ou trois gardes du corps, n'aura-t-il été qu'un simple fugitif tentant de dérisoires chantages ? Premier mystère, Mandari possédait deux dates de naissance le 22 octobre 1965 et le 22 octobre 1972. Une de trop. Deuxième surprise, il a toujours prétendu être le fils qu'aurait eu Hassan II avec l'une de ses favorites, Farida Cherkaoui, alors que les flics français ont clairement établi son ascendance, à savoir un couple d'hôteliers ayant fait fortune aux Emirats Arabes Unis. Enfin, le jeune Mandari fera croire à ses parents qu'il poursuivait ses études à Boston, alors qu'il menait une vie dissolue au “Jefferson”, une boîte huppée de Rabat. A l'époque, il semble disposer de moyens considérables, note un rapport de la PJ française : voitures de luxe, gardes du corps, pourboires généreux, nombreux voyages en Europe et dans le Golfe. Toujours d'après la PJ, certains l'accusent de contrôler un réseau de call-girls qu'il aurait “exportés”, selon l'élégante formule employée par ces flics, vers la France, mais aussi vers les hôtels tenus à Dubaï par son père Mohammed. Au palais de Rabat, dans les années 90, on lui confie quelques missions discrètes auprès de chefs d'Etat amis, comme l'a raconté récemment le journal marocain “L'Hebdo”, avant qu'il ne se livre au hold-up le plus rocambolesque de l'histoire marocaine. Avec plusieurs complices dont sa protectrice Farida, Mandari dérobe, quelques mois avant la mort d'Hassan II, ses chéquiers personnels dissimulés dans un coffre. Puis il se réfugie à l'étranger, où il aurait encaissé un chèque de 118 millions de dollars. Chez Hassan II, c'est la consternation. Pour peu que son nom apparaisse -comme ce jour où dans le “Washington-Post” il menace le roi de révélations compromettantes- pareil affolement peut se comprendre. Le conseiller financier du Palais, André Azoulay, téléphone alors aux rédactions amies en France, et le ministre de l'Intérieur d'alors, Driss Basri, est dépêché à Paris. Testament menaçant Avec l'arrivée au pouvoir du jeune Mohammed VI, le nouvel homme fort des services marocains, le général Laânigri, n'hésite pas à appeler au secours ses collègues français. “Laissez tomber l'histoire Mandari, cet homme est un escroc”, conseillait ainsi, voilà quelques années, l'un des principaux patrons de la DGSE à un journaliste français. Et la DST faisait refouler un ami de Mandari hors de l'Hexagone. “C'est un combat à mort entre moi et eux”, confiait volontiers Mandari. Ces dernières semaines, cet homme traqué multipliait les interventions auprès des journalistes pour leur annoncer que l'heure était venue pour lui de passer aux révélations fracassantes. Les dossiers qu'il avait sortis sur les vraies circonstances de la mort du général Dlimi, l'ancien patron de l'armée, ou sur la fortune immobilière de certains conseillers d'Hassan II, donnaient un peu de crédibilité à ces menaces. “Mes dossiers constituent pour moi”, a-t-il laissé entendre un jour au “Canard”, “une assurance-vie”. Apparemment, il se montrait bien optimiste. Trop de ses ennemis souhaitaient le faire taire, et trop de ses amis supposés avaient intérêt à ce que ses secrets soient enfin divulgués. “La question qui se pose à propos de cet homme que je connaissais très bien, qui m'a beaucoup parlé, a pu confier son avocat William Bourdon au “Monde”, c'est de savoir quelle partition de sa vie il voulait jouer après sa mort”. Pas sûr qu'il en ait décidé seul... Nicolas Beau 18 août 2004 Le Canard enchaîné