Ghali Sebti jugé en septembre 2004 Le procès intenté aux anciens dirigeants et cadres de l'Association professionnelle des minotiers (APM) serait dépourvu de tout fondement juridique. Sacrifiés sur l'autel de l'on ne sait quelle considération politique, les accusés, relaxés, ont de plus en plus le sentiment qu'ils ont été jetés en pâture pour une histoire de règlement de compte. Retour sur un dossier complexe qui promet des rebondissements. Ghali Sebti, ex-président de l'Association professionnelle des minotiers (APM) sera finalement jugé devant une instance ordinaire. Il répondra des mêmes accusations à l'origine de sa condamnation par contumace. Son procès est attendu juste après les vacances judiciaires. Soit à partir du mois de septembre 2004. Le juge d'instruction de la Cour spéciale de justice (CSJ), Boutahra Hadou, a rendu en effet sa copie au président de la CSJ en vue de prendre les dispositions nécessaires pour les transmettre à la Cour d'appel de Casablanca. Celle-ci est désormais compétente et il lui appartient désormais de trancher dans cette “vraie-fausse affaire” de blé détourné. La nouvelle a été accueillie avec soulagement par Ghali Sebti et ses co-inculpés, déjà jugés dans cette affaire à de lourdes peines, et qui espérèrent encore que justice soit rendue. Leur faux procès, disent-ils, est dénué de tout fondement juridique et leur procès n'est qu'une diversion pour masquer les véritables enjeux qui ont fait éclater ce dossier. Un dossier confus et dont les conglomérats d'intérêts sont à la fois immenses et puissants. Les chefs d'inculpation, comme détournement de deniers publics et privés, abus de confiance et destruction de documents et complicité, sont battus en brèche par les récentes déclarations de Ghali Sebti, en liberté provisoire, au juge d'instruction de la CSJ. D'une vingtaine de pages, le rapport disculpe tous les ex-cadres de l'APM, ou presque, de toutes les charges retenues contre eux et qui leur ont valu des années de prison à Salé. En gros, lit-on dans les conclusions du juge d'instruction, les sommes dites détournées (19,6 millions dh), n'ont été rétribuées que pour la gestion quotidienne de l'APM au même titre qu'aux minotiers dans le cadre de la subvention accordée par l'Etat. Dans ses réponses, Ghali Sebti se rappelle des moindres détails de chaque opération de versement et en justifie les tenants et les aboutissants. En tout et pour tout, ce sont une vingtaine d'opérations couvrant la période 1990-1996, effectuées par l'APM et son président qui ont fait l'objet de l'interrogatoire menée par le juge Boutahra. À aucun moment, il est fait allusion à la mauvaise tenue des comptes de l'association, hormis les prêts et les indemnités consentis au personnel ... !, qui peut justifier l'éclatement du dossier et les peines prononcées contre le personnel de l'APM. Les déclarations de Ghali Sebti vont même jusqu'à innocenter ses co-inculpés victimes expiatoires d'un règlement de comptes politique qui les dépasse. Ceux-ci n'ont aucun pouvoir de s'octroyer des gratifications, lesquelles ont été décidées par le Conseil d'administration de l'APM et de ce fait ne peuvent en être tenus pour responsables. C'est le cas également de Ghali Sebti, condamné par contumace à 15 ans de prison, qui a apporté les éclaircissements appropriés à toutes les dépenses ordonnées pendant qu'il était à la tête de l'APM. Ce sont des lampistes, raconte une source proche du dossier, à qui l'on veut faire porter le chapeau des turpitudes et des luttes d'intérêt du secteur juteux de la minoterie. Pour mieux en saisir les soubassements, il convient de revenir au contexte qui avait conduit à l'éclatement du scandale : l'instauration en juin 1995 de la libéralisation de la filière céréalière, sous l'époque du ministre de l'Agriculture, Hassan Abouyoub. Pause rappel. L'affaire remonte au début des années 90. Au moment où Ghali Sebti a pris les destinées de l'APM. C'est un connaisseur du domaine et il est l'auteur d'une étude qui a soulevé en son temps les problèmes du secteur. Le personnage dérange par son franc-parler et attise des animosités de ceux qui détiennent le monopole de ce commerce juteux du blé. En fait, cette guerre autour du blé en cache une autre plus féroce, impitoyable, sournoise. Celle des lobbies de la filière céréalière. Au fur et à mesure que la date de la libéralisation du secteur se rapproche, les conflits des clans battent leur plein. D'aucuns parmi les anciens responsables affirment nos sources, ont opposé un niet injustifié à la réforme telle que conçue par l'ancien président de l'APM. Les adversaires de Ghali Sebti lui reprochent d'avoir mobilisé les moyens financiers et logistiques de l'APM pour mettre sur pied, à l'insu du ministère de tutelle, une stratégie visant à profiter de cette dérégulation en contrôlant en amont et en aval toute la filière. La subvention de l'Etat accordée à l'APM fait l'objet de contestation et certains membres de cette structure associative demandent au président Sebti et au comité dirigeant un rapport détaillé sur l'usage fait de cette manne financière. Refus catégorique. La suspicion s'installe. Les rapports se détériorent. L'APM est alors mise à l'index et déclarée hors la loi. Absence de transparence et personnalisation excessive des fonctions dirigeantes. Les accusations fusent de toutes parts. “Ma politique a permis à l'Etat de bénéficier de beaucoup d'argent et tendait à assainir le secteur de certains trafics”, chose “qui n'a pas manqué de déranger beaucoup d'opérateurs qui avaient des rentes de situation”, ne cesse de dire l'ex-président de l'APM. En effet, Ghali Sebti et ses amis qualifient cette ingérence bien planifiée de déstabilisation des structures de l'association. Il ne veut pas céder à la pression d'un groupe de minotiers contestataires. C'est alors que le ministère de l'Agriculture commande un audit des comptes de l'APM confié au cabinet Manay Maroc. Le rapport révèle un certain nombre d'irrégularités et de délits financiers. L'argent détourné serait de 24 millions dh et porte notamment sur la subvention de l'Etat accordée à la farine dite nationale. Le clan Sebti ne réagit pas. Entre temps, le ministre de l'Agriculture, Hassan Abouyoub saisit son homologue de la Justice, Omar Azziman, pour déclencher des poursuites contre l'instance dirigeante de l'APM, sans même attendre les conclusions de l'IGF qui seront rendues en décembre 1997. Le rapport d'audit de Manay Maroc est remis à la Cour spéciale de justice pour dire son mot sur les turpitudes financières de l'APM depuis 1990. Celle-ci commande des investigations de la BNPJ qui procède à des arrestations des cadres de l'APM. La suite, vous la connaissez. Des peines lourdes de prison contre les employés de l'APM et la fuite de Ghali Sebti en Espagne. Trois ans après, les langues se délient. Un nouvel élément apparaît. Celui-là même qui avait commandé l'audit sur les comptes de l'association, Hassan Abouyoub actuellement ambassadeur du Maroc à Paris, serait également impliqué dans le commerce du blé. Son nom figure dans le tour de table d'une société du nom de Tamount Investment, un fonds d'investissement, qui a été derrière la création en mars 1993 d'une autre société du nom de Graderco dont l'objet est le négoce des grains. Seul détail croustillant, les mêmes actionnaires, ou presque, qui ont monté Tamount Investment, au capital de 10 millions dh (comme Chaouni Mohamed, Slimani Mustapha...) sont également derrière la création de Graderco sise avenue Hassan II à Casablanca. Autre détail troublant, la présence parmi les associés de Hassan Alami, patron du cabinet d'expertise Manay Maroc, celui-là même qui a été chargé par le ministre Hassan Abouyoub d'auditer les comptes de l'APM. Pour l'instant, Ghali Sebti ne pipe mot et ne donne aucun commentaire à propos de ces nouvelles révélations. Sera-t-il tenté de tout balancer en septembre 2004 ? Personne, même dans son entourage, ne le sait.