Les mis en cause dans les affaires du CIH et de la BCP bénéficient depuis vendredi de la liberté provisoire. Le débat sur la CSJ est relancé de plus belle. Vendredi dernier, le juge d'instruction de la Cour spéciale de justice a accordé la liberté provisoire à quelques inculpés dans ce que l'on a appelé «le scandale du CIH». Il s'agit de Boufahim, Boumediène, Belkahia et Erraghni. Les autres inculpés devraient aussi comparaître, à partir de lundi, devant le même juge et pourraient bénéficier de la même mesure. La liberté provisoire a fait l'objet de plusieurs demandes des avocats des mis en cause. Mais ce n'est pas uniquement sur ce chapitre que le débat a été focalisé. C'est surtout sur la nature même de la juridiction que les questions ont été le plus posées et les commentaires les plus enflammés. Pour Me Mohamed Berrada, avocat de Moulay Zine Zahidi, impliqué dans le scandale du CIH en sa qualité d'ex-président directeur général, la Cour spéciale de justice est incompétente pour connaître d'un dossier pareil. Il nous avait déclaré que le CIH est une SA et que l'ensemble des actionnaires doivent jouir des mêmes droits. En un mot, ce ne sont des deniers publics qui ont été dilapidés, si dilapidation il y avait. Mais c'est l'argent des actionnaires, l'Etat en est un. C'est le droit commercial et les tribunaux de commerce qui doivent statuer, ou les juridictions ordinaires. Le pénal, pourquoi pas? Au fait, la CSJ a été instituée pour juger de certains crimes et délits commis par de hauts fonctionnaires, des ministres entre autres. Son procès légendaire est celui de quelques membres du gouvernement de 1971 accusés de dilapidation de deniers publics et de passation douteuse de marché, notamment les travaux publics. Elle est revenue au devant de la scène avec les fameux procès de l'Association professionnelle des minotiers (APM), fin des années 90. Ghali Sebti président d'une association professionnelle, M. Belamaâchi, dirigeant de la même association, notamment, se sont retrouvés sous le chef d'inculpation de dilapidation de deniers publics. Or, les juristes restent divisés sur la compétence de la CSJ dans cette affaire. Les arguties juridiques allaient bon train et Michel Rousset, homme respectable et ami du Maroc, a fait une mémorable contribution sur le sujet. La plupart des juristes n'était pas de son côté, mais il a eu au moins le mérite de dire, arguments à l'appui, ce qu'il croit être le bon sens en la matière. Le cas des mis en cause dans l'affaire du Crédit agricole est révoltant. Des clients qui sont condamnés par la CSJ alors qu'ils ne sont pas des fonctionnaires de l'État. Et puis il fallait faire la part de choses : le client n'est pas le directeur de l'agence bancaire. Le client est passible de poursuites devant les tribunaux de commerce et devant le pénal mais pas devant la CSJ… Avec le débat sur le CIH et la Banque centrale populaire et la mise sous les verrous de dizaines de cadres de ces deux établissements, y compris Abdellatif Laraki, ex-P-D.G. de la BCP, le problème de la CSJ a été plus que posé. D'abord, parce que selon les avocats des mis en cause, cette juridiction d'exception ne permet pas au prévenu son statut d'innocent jusqu'au verdict. Dès le premier interrogatoire devant le juge d'instruction de la CSJ, le mis en cause se sent déjà condamné. Le juge d'instruction qui a ordonné la mise en liberté provisoire de certains mis en cause est seul habilité à apprécier les chefs d'accusation retenus contre les différents prévenus. Ceux contre lesquels ne pèsent pas des charges à caractère pénal et qui ont produit les garanties nécessaires ont bénéficié de la liberté provisoire. Il n'y avait pas de raison qu'ils continuent à être maintenus sous mandat de dépôt.On ne peut pas maintenir en prison des accusés (et non des coupables) pendant au moins 2 années, quitte à ce que la chose jugée se termine par des acquittements. De plus, cette juridiction est connue par le parti pris du ministère de tutelle et l'expérience a démontré que l'appareil est connu pour être une machine à broyer. L'interférence politique veut qu'il y ait des boucs émissaires pour l'exemple. A chaque décision, c'est toute la CSJ qui est sujet à débat. Faut-il dissoudre ce tribunal ou le garder ? A priori oui, les juristes en sont presque d'accord. La révision constitutionnelle de 1996 a fait que cette juridiction a été dépassée dans sa forme actuelle. Et puis, la Constitution marocaine stipule que les gens sont égaux devant la loi. Le ministère de la Justice, avec à sa tête Mohamed Bouzoubaâ a hérité des dossiers et du débat. Des études sont menées depuis quelque temps, on espère qu'une suite satisfaisante leur sera donnée par le nouveau ministre. Cette juridiction qui ne supporte aucun recours est tenue à statuer sur les dossiers qui lui sont soumis dans un délai qui ne doit pas dépasser six semaines. Mais une chose est sûre : il faut promouvoir une nouvelle philosophie judiciaire pour passer de la culture de l'accusation qui a dominé jusqu'ici à une culture qui permet aux justiciables de défendre leur dignité tout en préservant l'intérêt général. C'est cet équilibre qu'il s'agit d'installer. C'est le Maroc de demain qu'il s'agit de construire dans le respect du droit. Seul critère à même de redonner confiance aux investisseurs et un préalable pour relancer la machine économique.