Algérie Une fois de plus, les hommes politiques et un certain nombre de médias marocains devancent les événements, exprimant un optimisme exagéré quant à la volonté de l'Algérie de répondre positivement aux initiatives de Rabat dont la dernière est la récente visite effectuée à Alger par le ministre de l'Intérieur, Mustapha Sahel. Alors que certains ont justifié “l'ouverture algérienne” par des pressions extérieures, d'autres y voient l'omniprésence du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, qui détient, désormais, les rênes du pouvoir après son succès fulgurant aux dernières élections présidentielles. Les faits illustrés par les positions intransigeantes du ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem, sont venus confirmer que la continuité de la crise avec le Maroc constitue l'une des constantes de la politique d'Alger. De même que le refus de dialoguer au sujet du Sahara reflète l'exacerbation des contradictions qui secouent les sphères du pouvoir algérien. En effet, les responsables algériens n'ont laissé aucune chance à leurs homologues marocains pour réaliser des progrès concrets autour des problèmes en suspens, à commencer par l'ouverture de la frontière terrestre fermée depuis 1994 et à finir par trouver une solution à même de mettre un terme au conflit du Sahara ; conflit qui est constamment exploité par l'Algérie pour faire pression sur son voisin. Ainsi, au moment où Sahel foulait le sol algérien, le ministère des Affaires étrangères de ce pays allait publier un communiqué provocateur appelant Rabat à ne pas perdre de temps et à négocier directement avec le Polisario. Le même communiqué a démenti que l'Algérie subissait des pressions extérieures précisément de la part des Etats-Unis, de la France et à moindre degré de la part de l'Espagne. Cette dernière est, selon le ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, qui a confié à l'un de ses amis du Golfe, en train de changer radicalement ses positions surtout après l'arrivée au pouvoir des socialistes conduits par Zapatero. Ceci démontre que les sphères du pouvoir algérien sont toujours empêtrées dans leurs contradictions internes, notamment autour de sujets et de dossiers de première importance relatifs tant à la politique interne qu'externe. Par conséquent, le durcissement constaté qui va à l'encontre de l'optimisme affiché ces derniers temps avant même l'arrivée de Mustapha Sahel, n'est que la résultante des luttes fratricides et des surenchères des différents cercles du pouvoir. Selon de sources algériennes dignes de foi, ce durcissement s'expliquerait par la ferme position américaine qui a perturbé les responsables algériens, d'autant plus que les Etats-Unis ont accordé au Maroc le statut d'un allié privilégié avec tout ce que cela comporte comme dimensions politiques et stratégiques. Les mêmes sphères du pouvoir ont été secouées par les résultats de la visite effectuée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Washington. La même source indique que les responsables algériens, en dépit de leurs contradictions, expriment de plus en plus d'inquiétude quant au rôle constructif que joue le Souverain marocain au niveau du continent africain. Tous ces éléments ont poussé les responsables algériens à unifier leurs positions, préférant à nouveau, le durcissement et reléguant le rapprochement avec le voisin marocain. D'ailleurs, selon les déclarations d'un responsable algérien qui a assisté à une réunion tenue récemment au Palais d'Al Mouradia, le Maroc est en train d'opérer des changements qualitatifs embarrassants pour l'Algérie. Le Maroc est, en effet, mieux perçu actuellement par l'opinion publique interne et externe surtout aux Etats-Unis d'Amérique et dans l'Union européenne, grâce à ses efforts tendant à aplanir les divergences avec son voisin, surtout au sujet du problème du Sahara qui ne concerne ni de près ni de loin le peuple algérien. Ce dernier comprend mal pourquoi son pays continue à dresser des obstacles sur la voie de la normalisation avec le Maroc et sur la voie de l'édification de l'Union du Maghreb arabe qui est censée devenir un grand marché de 120 millions de consommateurs et constituer ainsi un espace pour un partenariat fructueux avec les Etats-Unis et l'Europe. Expressions de l'embarras Ces derniers jours, plusieurs indices ont démontré les raisons du durcissement d'Alger vis-à-vis du Maroc. D'ailleurs, l'audience accordée par le président Bouteflika à Mostapha Sahel et au cours de laquelle plusieurs sujets d'intérêt commun ont été abordés, n'a convaincu personne. Ces termes ne font partie que de cette langue de bois habituelle. De même que la couverture médiatique de la visite du ministre marocain, effectuée à l'école supérieure de police, pour assister à la cérémonie de sortie des officiers diplômés de la sécurité algérienne et à l'inauguration d'un laboratoire scientifique pour l'analyse de l'ADN, a été au-dessous de la moyenne et dénote le peu d'intérêt exprimé par les médias algériens par rapport aux relations maroco-algériennes. En effet, tous les regards ont été rivés sur les raisons de l'absence du chef d'état-major, le général Lamari, et lors des cérémonies d'accueil du ministre français de la défense Michèle Alliot-Marie. Cette absence a été justifiée par les responsables algériens tantôt par l'hospitalisation du général en Espagne, tantôt, comme cela a été déclaré lors de la conférence de presse commune, par son congé annuel. Dans ce sillage, La Gazette du Maroc a appris que l'absence du général Lamari était due à son refus catégorique de lier les intérêts stratégiques algériens avec la France comme le veulent Bouteflika et la majorité de son équipe à l'exception du ministre de l'Energie, Chakib Khalil qui porte, d'ailleurs, la nationalité américaine et dont la famille réside en Amérique. Les informations à ce sujet indiquent que le recours de Bouteflika à la France est dû au fait qu'il est de plus en plus convaincu que les concessions accordées à Washington, à tous les niveaux, n'ont pas eu l'effet escompté notamment pour redorer le blason de l'Algérie auprès des Etats-Unis et marquer des points contre le Maroc. En effet, Rabat est devenu un allié stratégique des Etats-Unis et de ce fait, il est devenu difficile pour Alger de prévoir une quelconque confrontation avec son voisin. D'autant plus que toute concession qu'accorderait Washington à Alger ne pourra contribuer qu'à brouiller les cartes et même ébranler les fragiles équilibres régionaux. Ainsi, le général Lamari n'approuve guère la nouvelle stratégie du pouvoir algérien par rapport à la France, d'autant plus qu'il est soupçonné par les Français de jouer la carte américaine, coordonne ses positions avec les officiers américains et multiplie les visites aux bases américaines. Parmi les autres expressions de l'embarras algérien qui suscitent le durcissement d'Alger vis-à-vis du Maroc ou qui poussent Alger à renier ses engagements vis-à-vis de Paris ou l'empêtrement dans l'affaire du deuxième homme du groupe terroriste Ammari Saeyfi, alias Abderrazak le Para, et ses effets négatifs quant aux relations avec le Tchad, il y a lieu de signaler cette fameuse conférence de presse tenue par Abdelaziz Belkhadem qui a surpris tous les milieux diplomatiques en Algérie, et au cours de laquelle le ministre des Affaires étrangères a fermement démenti la conclusion d'un accord avec la France portant sur la présence militaire française ou autre sur le sol algérien. Il a, par ailleurs, indiqué que l'accord-cadre militaire que la France et l'Algérie comptent signer prochainement : "est encore à l'état embryonnaire et ne satisfait pas actuellement nos aspirations". Ces propos ont été perçus par les observateurs comme étant le reflet des divergences des sphères du pouvoir et démontrent que bien de dossiers, y compris le dossier marocain, n'ont pas encore été tranchés depuis la réélection d'Abdelaziz Bouteflika et ce malgré les signaux lancés par Alger à Washington et à Paris ces derniers temps. Il est donc clair que le dossier des relations maroco-algériennes et surtout le problème du Sahara ne peuvent être résolus que dans le cadre d'un large consensus entre les sphères du pouvoir algérien qui puisse sauvegarder les intérêts et les privilèges de toutes les parties. Donc, les déclarations provocatrices et non justifiées de Abdelaziz Belkhadem qui a dit que "les conditions posées par le Maroc pour relancer la coopération sont rejetées", de même que ses critiques adressées aux différents hôtes de l'Algérie qui ont formulé l'espoir de voir un dialogue direct s'instaurer entre Rabat et Alger, constituent l'un des aspects significatifs de l'embarras régnant au sein du pouvoir algérien. D'ailleurs, quand Alger persiste à revendiquer que Rabat entame des négociations directes avec le Polisario, cela démontre que le pouvoir algérien préfère la fuite en avant. En effet, le ministre du gouvernement, d'Ahmed Ouyahya, ayant préféré l'anonymat, ne nie pas l'existence de fortes pressions exercées par des puissances étrangères sur Alger afin de désamorcer la crise en Afrique du Nord et pousser vers un plus grand respect des libertés publiques, des droits de l'Homme, la libération de journalistes emprisonnés et la mise en application de la libéralisation de l'économie, du programme de privatisation et l'instauration d'une plus grande transparence dans le secteur bancaire. De la difficulté de l'engagement Contrairement aux impressions de certains analystes qui estiment que le pouvoir algérien est à même d'amorcer la normalisation avec le Maroc, avec comme première étape la réouverture de la frontière et ensuite la clôture du dossier du Sahara, des milieux européens spécialisés estiment que parier sur un changement algérien paraît irréaliste. En effet, tout le monde s'accorde à dire que les méthodes de prise de décision à Alger n'ont pas été complètement définies. Ces mêmes milieux estiment que les rumeurs ayant fait état d'un éventuel rapprochement avec le Maroc et la tenue d'un sommet de l'Etat ne sont en fait qu'une tactique pour gagner du temps en attendant de régler les affaires internes. D'ailleurs les amis européens de l'Algérie conseillent au pouvoir algérien de ne pas trop compter sur les revenus des hydrocarbures pour se lancer dans une stratégie non conforme aux réalités du moment, notamment en ce qui concerne le surarmement. Ces mêmes amis considèrent que les puissances occidentales ne permettront jamais à un quelconque pays maghrébin de franchir les lignes rouges. A ce propos, un ancien ministre algérien de l'Energie fait relever que son pays ne peut pas jouer cette carte pour séduire les superpuissances et les pousser à épouser ses thèses et à soutenir ses positions politiques dans la région, du fait que les multinationales ont depuis longtemps fait main basse sur le secteur des hydrocarbures et scelleront définitivement leur stratégie en imposant au pouvoir algérien d'adopter une loi sur les privatisations du secteur et son ouverture sur l'investissement extérieur pour que l'Algérie soit leur défenseur au sein de l'OPEP.