Après la visite de François Fillon en Algérie, Abdelaziz Bouteflika continue à entretenir le suspens sur sa participation au sommet qui doit lancer, le 13 juillet à Paris, l'Union pour la Méditerranée (UPM) chère à Nicolas Sarkozy. Une manière aussi pour la président algérien d'obtenir le soutien de Paris pour prolonger de deux ans son mandat ou pour en briguer un troisième, ce qui est loin de faire l'unanimité au sommet du pouvoir à Alger. François Fillon, bien que l'espérant, n'attendait pas vraiment de réponse. Il n'en a pas eu. Abdelaziz Bouteflika a, comme prévu, entretenu le suspens quant à sa participation au sommet des chefs d'Etat qui doit lancer l'Union pour la Méditerranée (UPM) chère à Nicolas Sarkozy, le 13 juillet à Paris. « Chaque chose en son temps », s'est borné à répondre le chef d'Etat algérien à l'issue de la première visite d'un chef de gouvernement français depuis 22 ans en Algérie. Si cette visite visait avant tout à convaincre Alger du bien fondé de l'UPM, ce n'était pas là son seul enjeu. Il s'agissait aussi pour Paris, dont les ministres se sont succédés en mai dernier en Algérie, de ne pas se laisser distancer par les autres partenaires économiques du géant gazier où, partout, se construisent des autoroutes, des ponts, des barrages...même si ces grands travaux créent au final peu d'emplois. La douzaine de dirigeants de grandes entreprises qui accompagnaient François Fillon atteste de cet attrait financier, tandis que la création d'un conseil d'affaires algéro-français et d'une chambre de commerce et d'industrie algéro-française vise à doper des échanges bilatéraux qui dépassent les 9 milliards de dollars. Premier accord nucléaire signé au Maghreb Finis donc les états d'âme liés à la sale guerre des années 90 : les militaires algériens, dont le rôle en coulisses est toujours décisif, sont redevenus fréquentables. Et la France l'a montré en finalisant les deux accords sur le nucléaire civil et la défense scellés lors de la visite d'Etat de Nicolas Sarkozy à Alger en décembre 2007. Hanté par la crainte d'être devancé par les Etats-Unis dans le domaine du nucléaire, Paris va aider l'Algérie, qui affirme se préparer ainsi à l'après-pétrole, à se doter d'une centrale atomique vers 2020. On dispose de très peu de précisions sur le contenu de cet accord, le premier paraphé par la France avec un pays du Maghreb. Mais il prévoirait la création d'un institut de génie nucléaire en Algérie, la formation des cadres dans le domaine du développement du nucléaire et de la recherche, et surtout l'exploration et l'exploitation par le groupe Areva des gisements d'uranium du sud du pays. Peu de détails aussi sur ce que François Fillon a appelé un «accord de coopération globale en matière de sécurité». Prévoyant notamment une coopération dans la formation et la santé militaire, il pourrait en outre ouvrir la voie à des contrats d'armements convoités par Paris. D'autant, pour ne citer que cet exemple, que les effectifs de la gendarmerie devraient être portés à 100.000 hommes en 2010. En attendant, on parle de quatre frégates multimissions Fremm, dont deux seraient construites en Algérie, et/ou d'hélicoptères pour lesquels Eurocopter affronte toutefois la concurrence d'une société contrôlée par l'italien Finmeccanica. De son côté, le groupe d'électronique et de défense Thalès négocie des contrats liés à la surveillance des frontières. Maintenir le suspens pour obtenir plus de concessions Quoi qu'il en soit, l'essentiel réside dans l'affichage par Paris de son rapprochement politique avec Alger. C'est ce que voulaient les autorités algériennes, qui ont apprécié que François Fillon demande aux entreprises françaises de «rester en Algérie» en dépit du récent assassinat d'un expatrié. Auparavant, Paris avait aussi fait un geste sur le terrain miné des conflits de mémoire via son ambassadeur en Algérie, qui a reconnu la responsabilité française dans les massacres du 8 mai 1945 dans le nord constantinois. Tout cela suffira-t-il à décider l'Algérie à participer au plus haut niveau au sommet de l'UPM en juillet ? Une chose est sûre : Abdelaziz Bouteflika fera durer le suspens le plus longtemps possible afin d'obtenir le maximum de «gestes» et de concessions de son homologue français. Officiellement, c'est la présence d'Israël qui fait problème : Alger redoute en effet que le sommet soit prétexte à une «normalisation rampante » avec l'Etat hébreu. Mais l' argument perd un peu de sa pertinence depuis l'annonce de la participation du syrien Bachar El Assad. En réalité, l'essentiel réside tout autant dans les non dits. Ils sont au nombre de trois. Alger, qui se veut l'Etat fort de la région, s'estime défavorisé par rapport à ses voisins dans l'UPM, dont la co-présidence pourrait aller à l'Egypte, le secrétaire et le secrétariat général respectivement au Maroc et à la Tunisie. Et ce bien que François Fillon ait assuré que rien n'a encore été décidé sur la future architecture de l'UPM. Grandes manoeuvres autour de la succession présidentielle L'éternelle rivalité avec le Maroc, et l'excellence des relations franco-marocaines, particulièrement sur le Sahara Occidental, constituent la deuxième pierre d'achoppement. Surtout au moment où, pour la première fois, l'indéboulonnable Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, perd la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM) qu'il exerçait depuis cinq ans, au profit du marocain Mohammed Moussaoui, 44 ans. Cette évolution est peu appréciée à Alger. Et le premier ministre algérien Abdelaziz Belkhadem ne l'a pas caché à son homologue français, insistant pour une «représentation juste et équitable» des Algériens dans toutes les instances du culte musulman en France et pour que la Grande mosquée de Paris y conserve des responsabilités essentielles. Dernier non dit majeur : le conflit algéro-algérien autour de la succession du président algérien. Abdelaziz Bouteflika entend en effet modifier la Constitution afin qu'elle lui permette de briguer un troisième mandat, ou pour porter le mandat présidentiel de cinq à sept ans. Ce changement lui assurerait si son état de santé le lui permet - de rester au pouvoir jusqu'en 2O11. Pour le chef de l'Etat algérien, un soutien français serait évidemment bienvenu face aux résistances à sa reconduction qui s'expriment au sein de l'armée, des services secrets et de l'Est du pays qui s'estime marginalisé en faveur de l'ouest algérien, sa région d'origine. Le président algérien souhaite aussi arracher une augmentation substantielle des visas à destination de la France, lui qui s'était fait fort de l'obtenir au cours des ses deux campagnes électorales. En attendant, un changement de premier ministre au lendemain de la visite de François Fillon à Alger semble attester de ce conflit au sommet : c'est Ahmed Ouyahia, un technocrate réputé « éradicateur », libéral en économie et ...très proche des militaires qui exerce désormais cette fonction pour la troisième fois (et qui pourrait, murmure-t-on, représenter l'Algérie au sommet de l'UPM). Quoi qu'il en soit, l'anti-thèse de son prédécesseur Abdelaziz Belkhadem considéré, lui, comme un proche du président. Enjeu majeur pour Paris, l'adhésion de l'Algérie à l'UPM dépend, on le voit, de variables aussi variées que multiples.