La commission d'enquête sur les attentats du 11 mars à Madrid ne cesse de révéler des contradictions dans les déclarations de l'ancien gouvernement en Espagne. Une odeur de scandale politique, sur fond de mensonges, souffle sur José Maria Aznar, l'ancien président du gouvernement, et son parti qui doivent faire face à l'une des manipulations les plus malvenues de l'histoire politique espagnole moderne. La question que l'on se posait avant d'entamer les discussions et le passage en revue des témoins qui déposaient devant les membres de la commission parlementaire d'enquête sur les attentats du 11 mars 2004 à Madrid mercredi 15 juillet 2004, était de savoir si l'ancien gouvernement de José Maria Aznar avait des raisons pour affirmer, pendant les trois jours qui ont suivi les attentats, que la piste prioritaire était celle de l'ETA. On s'en souvient, les responsables politiques en place, juste quelques heures après les attaques des métros, affirmaient avec force que la piste d'Al Qaïda était nulle et non avenue et que celle de l'ETA était la bonne. Comment expliquer un tel geste politique qui visait pour certains, une manipulation en bonne et due forme de l'opinion publique à quelques jours des élections et pour d'autres, dénote d'une légèreté face au drame peu commun ? C'est ce que la commission d'enquête parlementaire espagnole sur les attentats du 11 mars 2004 à Madrid a tenté, mercredi 15 juillet courant de comprendre pour démêler les contradictions qui s'accumulent au cours des témoignages sur l'enquête lancée après les attentats de mars 2004. De vraies fausses déclarations C'est l'ancien commissaire de la sécurité urbaine de Madrid, Santiago Cuadro, qui a relancé les hostilités dans un dossier qui sent le roussi depuis des mois où les contradictions s'accumulent sur les prises de positions lors des premiers jours qui ont suivi les attaques de Madrid. "La commission l'a invité à expliquer comment il avait pu déclarer à son supérieur, le 11 mars, vers midi, que l'explosif utilisé était de la dynamite "Titadyne", un type d'explosif très connu en Espagne et qui désignait sans ambages ni erreur possible le mouvement séparatiste basque ETA comme le responsable des attentats, qui ont fait 191 morts et 1 900 blessés". Santiago Cuadro, à la surprise générale, a causé un réel tollé devant la commission puisqu'il a démenti tout ce qu'on lui avait collé sur le dos. Il a rejeté en bloc ce qui a été dit devant la commission, il y a quelques jours, par l'ancien directeur adjoint de la police Pedro Diaz-Pintado, qui était alors son supérieur. Santiago Cuadro rectifie le tir en affirmant de façon claire devant les membres de la commission qu'il avait indiqué, le 11 mars, "qu'il y avait des "indices" qui permettaient de penser que l'explosif utilisé était de la dynamite "probablement renforcée" avec un cordon détonateur ". Il a ajouté qu'il est sûr d'avoir dit dynamite, et non pas "Titadyne". "J'en suis certain et personne ne pourra me faire changer d'avis. De la dynamite ou de la Titadyne ? Allez savoir ? Toujours est-il que c'est là un nouveau pavé qui est jeté dans la mare déjà très débordante du parti populaire espagnol, ce qui met l'ex-président du gouvernement, José Maria Aznar dans de sales draps. Quoi qu'il en soit, devant les parlementaires, il a été clairement signifié que l'un des deux hauts responsables de la sécurité espagnole a menti ou du moins fait véhiculer une grosse fausse information. Ce qui n'était pas du goût de l'assemblée qui réalisait la gravité d'une telle affaire riche en rebondissements. Mercredi 15 juillet 2004, on aura, en vain, tenté une explication plausible à toutes ces contradictions qui viennent grossir une liste déjà bien fournie de bavures. Qui croire et de quel côté se situe la vérité ? Ce n'était pas ce mercredi que la commission allait trouver une réponse. Dans la cohue des fausses-vraies déclarations, on a essayé de se persuader qu'il devait y avoir une signification à tout ceci. Comment le mot "dynamite", prononcé par Santiago Cuadro, avait pu être entendu "Titadyne" par Diaz-Pintado ? " Etait-ce un simple lapsus, était-ce dû à la mauvaise qualité de la communication téléphonique, ou à l'énorme pression à laquelle étaient soumis les enquêteurs, ou encore la précipitation ? " Difficile de savoir. On pourrait se poser la question, légitime du reste, sur l'importance d'une telle information. Ce qu'il faut savoir c'est qu'un indice comme celui-ci est capital puisque l'erreur d'identification de l'explosif engendre des conséquences gravissimes pour la suite des enquêtes. " Car plusieurs responsables de la police ont souligné devant la commission que cette appréciation erronée avait aussitôt orienté l'enquête vers l'ETA, alors que la piste véritable était celle des islamistes ", précise un haut responsable de la police qui a suivi l'affaire de très près. La fourgonnette des islamistes ? L'autre épine qui vient déranger les manœuvres du PP est celle relative à la fourgonnette où l'on a très vite trouvé des explosifs et des détonateurs, en plus d'une cassette de revendication et d'un Coran. La question qui tourmentait les parlementaires, membres de la commission du 11mars, était celle de savoir ce que les policiers ont réellement vu, le 11 mars au matin, quelques heures à peine après les attaques, dans une fourgonnette suspecte, trouvée à Alcala de Hénarès, dans la banlieue de Madrid, d'où étaient partis les quatre trains de banlieue qui ont été la cible des terroristes ? Les questions ont été très terre à terre. On n'avait pas donné dans les élucubrations de l'esprit ni dans les interrogations grandiloquentes. "On a voulu savoir comment il a été possible d'apercevoir, sur place, à travers les vitres du véhicule, les détonateurs et la cassette enregistrée contenant des versets du Coran, ce qui aurait dû permettre d'orienter rapidement l'enquête sur la bonne voie". Là, c'est encore le jeu des versions contradictoires qui prime. Il y a deux versions et on ne peut pas non plus savoir laquelle est la bonne. D'un côté, celle du gardien d'immeuble qui a été à l'origine de la découverte de la voiture avec les détonateurs et le Coran. Sa déposition devant la police ne laisse planer aucun doute : "dans la matinée du 11 mars les policiers ont découvert ce qui se trouvait dans le véhicule ". Cette version est corroborée par un rapport "secret" des services de renseignement, que les membres de la commission ont cité et qui indique que le contenu du véhicule a été identifié sur place au cours de la matinée comme l'a affirmé le gardien de l'immeuble. D'un autre côté, il y a la déposition des policiers qui affirment que le véhicule n'a été fouillé qu'en milieu d'après-midi du 11 mars, après avoir été conduit au siège de la police. C'est bien gros, mais les policiers n'en démordent pas non plus et assurent que c'est de cette " façon que les choses se sont déroulées et pas autrement ". Pour eux, toute autre version est nulle et non avenue. Il faut, dans le tas, ajouter la version du chef de la police scientifique de Alcala de Hénarès, Luis Martin Gomez, qui a été la seule personne à être brièvement entrée dans la fourgonnette. Il a, lui aussi, affirmé, mercredi 15 juillet devant la commission, qu'il n'avait rien vu d'apparent. Il affirme que les détonateurs et la cassette "n'ont été découverts que vers 15 h 30". Cette journée de mercredi aura apporté encore une fois son lot de tracas à un Aznar qui ne savait plus comment gérer l'attitude de son gouvernement entre le 11 et le 14 mars. Selon certaines sources très proches de la commission, ces contradictions " jettent le trouble sur ce dossier et il faudra attendre pour entendre d'autres personnes " pour savoir pourquoi la thèse de l'ETA a été privilégiée alors que la piste islamiste d'Al Qaïda était bel et bien présente. Six dates cruciales sur le risque des attentats en Espagne Le centre national d'intelligence, les grands services secrets espagnols, ont multiplié les alarmes et les avertissements devant le risque imminent des attaques terroristes en Espagne. Le gouvernement de José Maria Aznar n'a pas pris en compte les différents rapports que les services secrets lui avaient déposés. Le résultat, on le connaît tous. La gazette publie ici quelques détails de six dates importantes qui auraient pu éviter le drame de Madrid, analysé cette semaine dans une réunion à huis clos de dix heures au sein du Congrès espagnol. Durant l'année 2003, le centre national d'intelligence, a averti à plusieurs reprises le gouvernement du parti populaire en place sur les risques graves d'attentats en Espagne. Il a été clairement signifié dans un rapport présenté à la commission parlementaire du Congrès espagnol, que les services secrets pistaient des activistes et pensaient à l'imminence d'attaques de la part de plusieurs groupes radicaux installés en Espagne depuis des années. CE qui a accéléré le danger pour les services d'intelligence est le fait que le président du gouvernement José Maria Aznar avait pris activement part à la guerre contre l'Irak. Cette décision de faire coalition avec les USA et la Grande Bretagne a poussé plusieurs formations terroristes à cibler l'Espagne. Dans les documents présentés devant la commission cette semaine par les services secrets qui ont été examinés à huis clos en présence de deux responsables du centre national d'intelligence, les preuves concrètes ne manquent pas. Voici les grandes lignes des différentes dates qui auraient pu éviter les attentats de Madrid : Le 21 février 2003 : Un mois avant l'invasion de l'Irak, le CNI a averti que " la position de l'Espagne dans le conflit a élevé le risque d'attentats qui peuvent être le fait de groupes intégristes islamistes… un changement d'attitude à l'égard de l'Espagne est très possible, du positif au négatif.. Dans les milieux islamistes, il a été noté un réel désir de vengeance pour les détentions ordonnés parle juge Garzon pour le dossier de septembre 2001. On ne peut écarter l'existence de cellules dormantes en Espagne en évoquant le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. 28 avril 2003 : le rapport du CNI a constaté que la guerre en Irak a été perçue dans les pays musulmans comme un nouveau pas dans l'agression de l'islam par l'Occident. Sans oublier que le coran exigent de ses fidèles de défendre la communauté musulmane attaquée. Ce qui implique des actions terroristes tant dans les pays directement impliqués dans la guerre que leurs alliés. 10 juin 2003 : le document revient sur les attentats de Casablanca le 16 mai 2003. Il précise que cette action fait partie d'une stratégie globale à laquelle aucun pays ne peut échapper y inclus l'Espagne. En rapport avec ces attentats, il a été fait mention de deux personnages importants qui avaient des relations avec d'autres activistes qui avaient filmé des installations militaires à Mellilia : il s'agit de Robert Richard, un Français converti à l'islam et incarcéré au Maroc qui est considéré comme l'un des leaders de la salafiya jihadiya. Robert avait des liens à Mellilia a avait maintenu des contacts avec des groupes radicaux de Barcelone. On soupçonne que plusieurs des impliqués pourront fuir vers l'Espagne, l'Espagne étant une base logistique pour les groupes intégristes. On ne peut pas exclure que face aux opportunités, ils peuvent attaquer l'Espagne. 27 août 2003 : les troupes espagnoles viennent de s'incorporer dans les contingents militaires présents en Irak. : cette présence militaire en Irak accentue le risque d'attentats contre des intérêts espagnols en Espagne et à l'étranger. 27 octobre 2003 : dans ce rapport, il s'agit d'une évaluation de la menace du terrorisme islamiste en Espagne. Ce rapporta été élaboré peu de temps après les menaces proférées par Ben Laden à, l'égard de l'Espagne. Le rapport précise que cette menace doit être prise au sérieux. Il a aussi clairement précisé que la participation du gouvernement de José Maria Aznar dans la guerre en Irak a donné plus de visibilité aux services et à partir de cet instant il a été noté que l'Espagne a été cité fréquemment comme un ennemi de l'islam. Il a été constaté aussi l'importance de l'Espagne comme territoire de refuge pour des éléments radicaux. Et le rapport de conclure en avertissant de l'existence de menaces importantes et d'un risque énorme d'attentats terroristes dans les prochain mois. Il affirme aussi qu'il est nécessaire de renforcer les moyens de protection en citant les vols d'avion vers des pays sensibles en faisant allusion au voyage royal vers la SYRIE à cette période. 20 novembre 2003 : on fait référence aux attentats d'Istanbul du 16 et du 20 novembre qui ont fait morts et 700 blessés. Il affirme aussi que des groupes islamistes locaux qui ne sont pas directement affiliés à Al Qaïda sont à chaque fois partie prenante du jihad international dont les objectifs ne concernent pas des pays ne particulier.