Emergence des options Après les attentats du 16 mai 2003, une question s'est posée avec insistance : quel sera l'avenir des relations entre l'Etat et les Islamistes ? Ceci est adressé non pas aux représentants de l'islamisme contestataire, mais aux islamistes intégrés. Les interrogations qui se sont multipliées au lendemain des attentats du 16 mai 2003, laissaient apparaître en filigrane la responsabilité directe ou indirecte des islamistes marocains. Il y avait même une intention délibérée de brouiller les cartes notamment en ne faisant plus aucune distinction entre les différents acteurs du champ religieux. Cependant et avec un certain recul, il est possible aujourd'hui de définir les responsabilités et de distinguer entre le courant salafiste combattant et le courant islamiste toutes sensibilités confondues. Mais, malgré cette clarification, la question de la relation de l'Etat et des islamistes se pose de temps à autre, notamment pendant des périodes qui enregistrent un regain de crispation d'un côté comme de l'autre. Par conséquent, à force de poser cette question, l'angle d'analyse a tendance à être modifié, d'autant plus que la problématique n'est plus conjoncturelle, liée aux attentats, mais bel et bien insérée dans la stratégie globale de l'Etat, notamment dans le volet des orientations et des choix possibles pour la gestion des différences politiques. Il est possible, aujourd'hui, d'avancer trois principaux choix que suppose cette gestion. Il s'agit du choix entre l'éradication, l'attentisme et l'intégration. Rejet de l'éradication ou la sagesse de la modération Malgré la multiplication des voix appelant à l'éradication des islamistes ou tout au moins à la rupture avec eux, après les attentats du 16 mai, les calculs politiques ont démontré tout à fait le contraire. Tous les indices ont montré que le courant islamiste n'est pas isolé sur le plan social. De même que les appels à l'éradication étaient bien antérieurs aux attentats, notamment après la manifestation de Casablanca du 12 mars 2000 et surtout après la publication des résultats des élections législatives du 27 septembre 2002. Par conséquent, les adeptes de l'éradication n'ont fait qu'exploiter les événements du 16 mai pour renouveler leurs appels allant même jusqu'à revendiquer la dissolution du Parti de la justice et du développement (PJD). Ceux-là ont profité de l'unanimité nationale exprimée contre le terrorisme pour lui coller une couleur islamiste. Ceci s'est illustré par l'interdiction faite aux Islamistes de participer à la grande marche de Casablanca du 25 mai 2003. Mais au moment où certains ont cru que l'Etat allait adopter la stratégie de l'éradication, le discours royal du 29 mai allait mettre les pendules à l'heure, notamment en mettant en exergue la sagesse de la modération. Le discours royal allait, donc, tracer une nouvelle règle du jeu basée sur le rejet de l'excommunication religieuse et sur le bannissement de l'exclusion politique. Cette règle allait définir clairement le rejet de l'éradication et, partant, préserver le Maroc des dérapages de l'expérience douloureuse de l'Algérie. Donc, cette nouvelle règle du jeu allait pousser les différents acteurs à réfléchir sur la mise en place de nouveaux critères de gestion des relations entre la religion et la politique. Ceci s'est exprimé clairement dans le discours du Trône du 30 juillet 2003 qui ne s'est pas contenté de définir les limites entre l'action religieuse et l'action partisane, mais posé la grande problématique de la relation entre l'Etat et la religion de façon générale. Désormais, la nouvelle règle peut se résumer ainsi : non à la laïcisation de l'Etat et non à l'islamisation des partis politiques. Cependant, cette option ne permet pas d'aller plus loin sur la voie de l'intégration. Continuité du choix attentiste ou statu quo Il y a, au niveau de l'Etat, un courant qui rejette à la fois l'éradication et l'intégration. Ce courant préfère le statu quo selon une vision attentiste telle qu'elle a été adoptée vers le début des années quatre-vingts du siècle dernier. Cette vision s'appuie sur la non-reconnaissance des mouvements islamistes et l'interdiction pour eux de créer des partis politiques. Or, l'expérience égyptienne, à ce propos, est riche en enseignements. En effet, la non-reconnaissance légale est accompagnée de tolérance et l'interdiction de créer des partis politiques est accompagnée d'encouragements à l'adhésion aux différentes formations. Donc, cette option donne plus de marge de manœuvre au pouvoir pour gérer ses rapports avec le courant islamiste et avec les autres acteurs. Les pouvoirs publics peuvent tantôt utiliser la carte islamiste pour légitimer leurs choix politiques et tantôt la brandir comme menace à l'encontre des opposants surtout du courant laïc. Donc, les adeptes d'une telle vision s'appuient avant tout sur la réalité du terrain. En effet, la cohabitation entre les pouvoirs publics et certains mouvements islamistes est bien réelle sans pour autant qu'il y ait reconnaissance officielle. De même que la vision attentiste a acculé d'autres mouvements islamistes tels que Al Adl wal Ihsane à adopter l'attentisme sans pour autant menacer l'ordre établi. Ainsi, l'attentisme est en vigueur en attendant la maturation des contradictions. Cependant et malgré ses multiples points positifs, l'attentisme a démontré ses limites notamment au niveau de la gestion des contradictions. En effet, la situation de statu quo a poussé certains éléments, membres de groupes islamistes, à adhérer à des courants plus radicaux. Donc, la vision attentiste qui s'articule sur des coups de semonce préventifs n'aboutit pas nécessairement à un relâchement des positions des islamistes. On l'a constaté, d'ailleurs, puisque des Islamistes sont devenus des proies faciles du courant salafiste combattant. L'appel à l'intégration ou le calcul des pertes et profits Le principal enseignement à tirer des événements du 16 mai 2003 est l'exacerbation des contradictions entre les différents acteurs du champ religieux. En effet, ces contradictions ont démontré que ce champ n'est pas du tout homogène et que le courant islamiste ne constitue aucunement une menace. Ainsi, ces attentats ont dévoilé une multitude de vérités. Primo, les Salafistes considèrent les islamistes comme des impies ou tout au moins des laïcs. Secundo, les divergences entre les salafistes et les islamistes sont structurelles et amènent à considérer que les points d'intersection entre les Islamistes et les laïcs sont plus fiables que ceux qui existeraient entre les Islamistes et les salafistes. Tertio, l'endiguement du courant salafiste ne peut réussir que si l'Etat adopte des méthodes puisées dans le champ religieux, notamment en s'appuyant sur ses symboles. Par conséquent, l'enseignement à tirer conduit à considérer que la lutte contre le courant salafiste combattant doit s'articuler sur la recherche de l'équilibre au sein même du champ religieux et non pas au sein du champ politique. A partir de là, il est nécessaire d'adopter l'option intégration qui demeure le meilleur moyen pour combattre l'extrémisme. La variable qui se dégage après le 16 mai impose donc d'intégrer le courant islamiste en opposition au courant salafiste. Cette option implique d'atteindre un consensus religieux à travers la mise en place d'un front constitué d'une part par la Monarchie détentrice d'Imarat Al Mouminine (Commandement des croyants) et d'autre part par le courant islamiste dont la principale mission serait d'endiguer le courant de la violence religieuse. Il est même évident qu'aucun consensus politique ne peut être atteint en dehors du consensus religieux. De même qu'il est certain que l'ennemi commun facilitera sensiblement le consensus et, partant, la gestion des contradictions internes devra se baser sur les calculs des pertes et profits.