Contrôle de qualité Estimé à près de 300 millions de dirhams, le marché dans lequel opèrent les professionnels des laboratoires privés de BTP devient de plus en plus important. Les grands projets de réalisation d'infrastructures en cours ou au programme du gouvernement ont exacerbé une situation conflictuelle née avec l'avènement des premiers laboratoires privés de BTP en 1984 et opposent ces derniers au LPEE. La bataille risque de se transposer sur les textes d'application du décret portant sur la qualification et la classification des laboratoires des BTP en phase de finalisation. Pratiquement tous issus du LPEE(1) avant de se mettre à leur propre compte, les directeurs de ces laboratoires privés de BTP (bâtiment et travaux publics) accusent le laboratoire public de concurrence déloyale depuis qu'ils ont commencé à grignoter des parts importantes de marché. "Si nous avions applaudi tous à l'époque à l'annonce de la préparation d'un décret portant sur la qualification et la classification des laboratoires des BTP, nous avions très vite déchanté à son adoption en 2001. Malheureusement, nous nous retrouvons encore avec cet héritage", souligne Abdelhamid Refass, président de l'Association marocaine des laboratoires de BTP (LABTP) et directeur du laboratoire NBR. Aux yeux des directeurs de laboratoire, ce texte mal conçu contient plusieurs passages qui ne garantissent pas une concurrence loyale. Ce n'est pas pour autant qu'ils sont restés les bras croisés et comptent bien rattraper ce qui pourrait l'être à travers les textes d'application qui sont depuis en préparation et dont la finalisation est attendue dans quatre à cinq mois. "Nous avons adressé plusieurs courriers à notre ministère de tutelle et dernièrement au Premier ministre pour attirer son attention sur le fait que l'application de ce décret va dans le sens de la création d'un monopole. L'arrêté d'application que nous sommes en train d'examiner est taillé à la mesure du LPEE mais nous espérons tout de même apporter des modifications à son annexe", précise Mohamed Belmamoun, secrétaire général de LABTP et directeur du laboratoire Labotest, implanté à Kénitra. En attendant que cette copie soit revue, sur le terrain, les deux parties s'affrontent sur les marchés de l'Etat pour les travaux de contrôle de qualité dans les BTP, surtout au niveau des gros marchés (barrages, autoroutes, routes, chemins de fer, stades…). Pourtant, la loi sur la passation des marchés en la matière instaurée en 1999 ainsi que la loi sur la concurrence, devraient calmer les ardeurs des uns et des autres. Car depuis, les marchés de l'Etat sont passés par appels d'offres et non par entente comme cela était le cas auparavant. Le LPEE n'a plus le monopole et les laboratoires privés de BTP rongent des parts de marché. Ces derniers détiennent actuellement environ 10 % de parts de marché, le reste revenant au laboratoire public. Les premiers laboratoires privés ont vu le jour en 1984 et leur nombre a atteint quatre en 1990 avant de passer ensuite à un peu plus d'une dizaine actuellement. Paradoxalement, le chiffre d'affaires du secteur a considérablement baissé comparé à ceux d'il y a quelques années. Et ce n'est pas par défaut de marchés. Le président de LABTP explique cette situation par le fait que le marché est biaisé. "Les prix pratiqués sont de moitié de ceux pratiqués dans les années 1980. Ce qui fait que le chiffre d'affaires du secteur a régressé à cause de ce dumping. Cette situation n'est ni dans l'intérêt du LPEE, ni dans nos intérêts ", dit-il. Pour le directeur du laboratoire Labotest, le laboratoire public aurait tendance à soumissionner à des tarifs très bas. L'objectif, selon lui, est de neutraliser la concurrence que lui opposent les laboratoires privés et par ricochet garder le monopole. Et de citer à titre d'exemple, un marché dernièrement sur Laâyoune et concernant l'analyse du granulat. "Le système de notation actuel qui semble avoir été calqué sur l'organigramme du LPEE donne très peu l'occasion aux laboratoires privés de BTP de décrocher des marchés publics. Le système est d'ailleurs à son troisième changement depuis sa mise en place dans le but d'écarter ces laboratoires qui arrivent à tirer leur épingle du jeu lors de ces appels d'offres devant le LPEE", martèle Mohamed Belmamoun. Sur ce chapitre, un directeur de laboratoire reconnaît tout de même que certains directeurs provinciaux et régionaux, notamment de Fès et dernièrement de Sidi Kacem, se limitent seulement au décret de passation des marchés. Opérant essentiellement dans le contrôle qualité, les laboratoires privés de BTP interviennent sur les ouvrages pour valider leurs capacités et s'assurent ensuite pendant la réalisation de ces ouvrages que les plans validés ont été bien mis en place. Cette activité relève du contrôle interne. Quant au LPEE, outre cette activité tant au niveau de son contrôle interne qu'au niveau de son contrôle externe, il intervient dans plusieurs autres domaine des études et des essais, notamment l'environnement, la métallurgie, les analyses physico-chimiques et bactériologiques… Pour les laboratoires privés, le laboratoire public ne doit pas faire le contrôle intérieur et le contrôle extérieur, car disent-ils, on ne peut pas être juge et partie. Si jusque-là, la plupart des directeurs de laboratoire privé de BTP écartent l'idée d'introduire des recours lors des appels d'offres à cause des longues procédures et du manque de temps, entre autres facteurs, certains d'entre eux, du moins un, en l'occurrence Labotest, n'hésite plus à franchir ce pas. "Notre laboratoire n'hésite à aucun moment à saisir un Wali, gouverneur ainsi que le contrôleur des engagements et dépenses de l'Etat", indique son directeur. Dans cette situation conflictuelle entre les laboratoires privés de BTP et le LPEE, il faut dire quand même qu'il y a un point où les deux parties sont d'accord : c'est l'envahissement de leur profession par de "prétendus laboratoires", selon leur expression, détenus par des techniciens. "Notre métier a réellement besoin d'être réglementé", lance le président de LABTP. (1) (Laboratoire public d'essais et d'études) Trois questions à Abdelhakim Jakani,directeur du pôle technique-routes du LPEE “Nous ne faisons pas de dumping” La Gazette du Maroc : les laboratoires privés accusent le LPEE de vouloir entretenir le monopole. Que- dites-vous ? Abdelhakim Jakani : c'est une pure illusion. On croit que le LPEE veut maintenir le monopole. En fait, notre laboratoire veut une concurrence loyale. Et pour ce faire, le LPEE demande à ce qu'il y ait une réglementation claire, transparente et facilement applicable. Comme nous exigeons la mise en place d'outils nécessaires pour assainir le métier afin de mieux préparer une concurrence loyale nationale ou internationale, on nous accuse de vouloir revenir au monopole. Or, cela fait 4 ans qu'il n'y a plus de monopole et le LPEE poursuit son bonhomme de chemin. En revanche, ce qui est regrettable, c'est qu'au lieu d'une concurrence de compétence et de performance, c'est une concurrence de prix à laquelle on assiste aujourd'hui Côté prix justement, les laboratoires privés vous accusent également de pratiquer le dumping? Non. Ils comparent les prix du LPEE avec ceux d'il y a trois ou quatre ans, l'époque où nous étions quasiment seuls sur le marché. C'est vrai comparé à cette époque, les prix ont baissé de 20 à 30 %. Mais, ce n'est pas du dumping : c'est parce qu'il y a trois ou quatre ans, nos prix finançaient le développement et la recherche. Comme on avait l'exclusivité, cette différence était affectée à cela. Ainsi, nous avons pu financer les laboratoires de l'environnement et de l'électricité qui sont les plus grands d'Afrique hormis ceux de l'Afrique du Sud. A l'époque, on n' était pas tenu de faire des bénéfices et de verser des dividendes aux actionnaires. Quand on dégageait une marge, on la réinjectait dans le développement. C'est dire qu'avec la concurrence, on ne peut plus se permettre de financer le développement. Mais c'est dangereux pour l'avenir : tout ce que nous avons construit en 50 ans en dotant le pays d'un outil qui lui garantit sa souveraineté technologique risque de perdre cette indépendance. Le pays s'ouvre à l'étranger et on aura de plus en plus d'entreprises étrangères qui interviendront sur les travaux d'infrastructures. Seulement, le jour où on aura des litiges avec celles-ci sur les matériaux de construction, elles nous imposeront leurs laboratoires ou des laboratoires étrangers. Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous faites à la fois le contrôle externe (à la charge du donneur d'ordre) et le contrôle interne (de l'entreprise) ? Au Maroc, on a instauré la notion de contrôle interne et de contrôle extérieur comme en Europe sans appliquer les mêmes méthodes. Les pays développés ont leurs laboratoires de référence qui assurent exclusivement pour leurs administrations les contrôles extérieurs à chaque fois qu'il s'agit d'investissement public. Ce n'est pas le cas au Maroc où nous n'avons pas de laboratoire chargé systématiquement du contrôle extérieur. Ainsi, on met ce type de contrôle à concurrence, ce qui est une contradiction énorme. Quand on a voulu introduire au Maroc la notion de contrôle intérieur et extérieur, il ne fallait pas assujettir le contrôle extérieur au décret de passation des marchés publics. A ce moment là, le LPEE deviendrait le laboratoire de l'Etat.