Analyse Dans un contexte encore très marqué par les conséquences du 16 mai, les islamistes “modérés” sont sous pression et appelés à se démarquer de tout extrémisme. Le spectre du 16 mai plane sur l'ensemble du contexte politique actuel. Le déroulement des élections communales et à la Chambre des conseillers, malgré ses opacités, n'a pas occulté l'arrière-plan formé par les séquelles des attentats et par la traque des groupes suspects. L'événement considérable que fut l'annonce par le Souverain de la réforme du Code de la famille ne peut aussi être détaché de ce contexte. Les dangers apparus avec violence depuis les attentats de Casablanca conditionnent désormais les limites où le jeu politique se situe et où l'Etat pose les jalons de sa nouvelle marge de manœuvre. Qu'est-ce qui a, en effet, changé pour les uns et les autres ? En faisant souffler le chaud et le froid, l'Etat veut montrer qu'il n'est pas en situation de subir le désordre extrémiste, quelles qu'en soient la nature ou l'obédience. En marquant de la plus grande rigueur la répression des groupes et individus suspectés d'appartenir à la tendance “takfiriste”, il trace une ligne de démarcation tranchante. Les ambiguïtés des mouvements islamistes, tolérées jusqu'ici, ne sont plus de mise. Le PJD et Al Adl wal Ihsan sont mis en demeure de clarifier davantage leur positionnement vis-à-vis de l'extrémisme. Le double langage, les attitudes mitoyennes entre l'outrance idéologique et le légalisme politique sont désormais tenus en suspicion. Les règles de la participation au jeu politique légal se sont faites plus restrictives dans l'optique du pouvoir. C'est ainsi que le PJD a cherché à desserrer l'étau qui se refermait sur lui en participant “avec retenue” aux dernières élections et en entrant dans le jeu des combinaisons douteuses lors des formations des bureaux des communes. Cependant ces élections ont laissé transparaître la persistance d'une aile ou d'éléments plus durs ou plus récalcitrants. Rechignant devant l'acceptation par la direction de ce parti d'une limitation de sa participation, ils ont manifesté bruyamment leur désaccord, à l'instar du secrétaire régional à Tanger et député, Najib Boulif. Un sourd mécontentement couve au sein du PJD et de son association mère, le Mouvement Unité et Réforme (MUR). Il se traduit par le retour, même avec précaution, d'une certaine agressivité du discours idéologique et des attaques contre les éléments de la gauche qualifiés “d'éradicateurs” ainsi que contre les organisations féministes au lendemain du discours royal sur la réforme du Code de la famille. C'est ici sans doute qu'il faut situer la mise à l'écart de Mustapha Ramid qui, réélu à la tête du groupe parlementaire du PJD, a, quelques jours plus tard, signifié sa démission au président de la Chambre des représentants. Dans le communiqué qu'il a publié, sur ces entrefaits, il a laissé entendre que des pressions se sont exercées pour l'évincer, qualifiant la démarche “d'intervention arbitraire confisquant le droit naturel du parti de choisir les responsables de ses instances”. Il était déjà notoire que les attitudes affichées par Ramid au parlement et en tant qu'avocat, étaient jugées “arrogantes” et “provocatrices”. Il avait aussi été à la tête de manifestations aux relents racistes et semble être le représentant le plus loquace de l'aile contestataire du PJD peu encline à accepter les “concessions” faites au pouvoir après le 16 mai et lors des élections. Ligne de démarcation Son passé idéologique, frôlant l'extrémisme, ses liens supposés avec l'un des anciens chefs de la branche armée du FIS algérien, reçu par lui à Casablanca et sa propension à la surenchère, voire à l'invective, ont fortement desservi le personnage, quoique son parcours ne fut pas celui d'un “irrécupérable”. Dans le jeu de balancier mené au cours et après les élections communales, il fut l'incarnation de ce qui, dans le PJD, est devenu irrecevable. Avant le 16 mai, certains excès de ton ou de posture pouvaient être admis, mais depuis, tout excès est devenu suspect. Le PJD est mis au pied du mur : il lui faut choisir entre sa survie politique dans le système ou les dérapages des discours et de l'activisme de certains de ses dirigeants. Ramid incarne cette ambiguïté que le PJD a du mal encore à surmonter : difficile de reconnaître dans son ton agressif et son sectarisme le réformisme pacifique et modernisant que ce parti veut afficher. La défense des inculpés Kettani et Abou Hafs, parrainée par Khatib, secrétaire général du PJD, s'est vue interdite de conférence de presse au domicile de ce dernier : qui est avec qui ? C'est cette même ambiguïté qui a provoqué des remous similaires au sein du MUR. En confirmant Mohamed Hamdaoui, cet ingénieur agronome en apparence modéré et mesuré, à sa présidence à la place d'Ahmed Raïssouni, le fqih ambitieux et prolixe, cette association réduit ses prétentions à exercer un magistère moral et politico-religieux sur la société. L'erreur fatale de Raïssouni à propos de la Commanderie des croyants (Imarat al Mouminine) qu'il voulait voir déléguée par le Roi à un Conseil d'oulémas, a aussi marqué la limite à ne pas franchir. Selon le nouveau président du MUR, celui-ci devrait se recentrer sur son activité fondamentale de “prédication et d'éducation” laissant au PJD le champ d'intervention politique. Cette répartition des rôles constitue un prudent retrait afin d'éviter les foudres des poursuites visant les groupes extrémistes. L'accent est mis sur la nécessité de reconsidérer les discours et les pratiques qui peuvent conduire à des dérapages. Entreprise qui ne semble pas très aisée puisque la vulgate idéologique propagée par le journal du MUR “Attajdid”, ne brille pas par son inventivité et entre les leçons dogmatiques et moralisantes de Raïssouni et les élucubrations d'un néophyte, transfuge de l'ex-extrême gauche, les fondements théoriques d'un réformisme musulman réellement modéré et ouvert sur son époque ne sont guère encore palpables. Du reste la nouvelle orientation qui sera adoptée à la direction du MUR conduira sans doute à reconsidérer la nature et le rôle du quotidien “Attajdid” qui, avec Raïssouni, avait été politisé à outrance, et avait servi de tribune aux diatribes d'un Zemzami contre les leaders assassinés de la gauche d'une part et les non-Musulmans d'autre part. Verra-t-on un renouveau sur ce plan et une remise en cause réelle de la ligne prônée par Raïssouni ou seulement un camouflage et une mise en sourdine en attendant des jours plus propices ? Les péripéties vécues par le PJD et le MUR mettent en lumière la problématique de la modération de ce mouvement et de sa différence au sein de la mouvance islamiste puisqu'il paraît tiraillé entre l'opportunisme politicien et la fermeture idéologique. L'absence de créativité sur ce dernier plan paraît le vouer au ressassement sinon à la dérive de certains de ses membres. Avancer à reculons Quant à Al Adl wal Ihsan, dont l'appui, même non déclaré, a pu servir le PJD au cours des dernières élections, il se retrouve lui aussi dans une situation malaisée. En effet, après le 16 mai il s'est vu reprocher d'être débordé et nié sur ses marges par les groupes extrémistes. Sa prétendue force de rétention des dérives violentes a été quelque peu démentie. Les déclarations rassurantes de ses porte-parole, dont notamment Nadia Yassine, ne suffisent plus, apparemment, à attester des “bonnes intentions” de cette organisation jusqu'ici “tolérée”. Le coup de semonce visant à contrer l'hégémonie des adlistes dans les facultés et à poursuivre des activistes pour “réunions non autorisées” s'inscrit dans la même logique, sans doute insuffisante, de réduction des foyers où la violence et l'extrémisme peuvent s'alimenter et devenir incontrôlables. Al Adl est ainsi confronté à la même question que le PJD et le MUR, même s'il ne participe pas (encore) aux compétitions électorales : comment faire la preuve qu'il ne fait pas le lit de l'extrémisme et dans quelle mesure son radicalisme à vocation théocratique peut-il être compatible avec l'ordre institutionnel et avec la paix civile ? Si le PJD se montre prêt au compromis, quelle va être l'attitude d'Al Adl, notamment dans les campus universitaires ? Verra-t-on s'installer un nouveau cycle d'affrontements ? On mesure ici les écueils et les inconnues qui demeurent sur la voie d'une démocratisation dans la paix civile. Avec le nouveau Code de la famille et la loi sur les partis marquant des choix fondamentaux, le débat sur le devenir démocratique et l'évolution sociale du pays sera de nouveau relancé. Les islamistes seront-ils, cette fois, autre chose que l'expression de ceux qui veulent avancer à reculons ?