Suite du feuilleton sur le secteur de la minoterie Les minotiers sont encore contraints de produire de la farine avec un blé exclusivement marocain. La semaine dernière, le mardi et le jeudi, ils ont rencontré le ministre des Affaires générales, des affaires économiques et de la mise à niveau ainsi que le staff de l'Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL). Les réponses reçues ont été on ne peut plus évasives. En attendant, les droits de douane réduisent à néant tous les efforts fournis par les investisseurs du secteur. Ils s'attendaient à ce que la situation se décante après avoir été reçus par les autorités concernées. Il n'en est finalement rien. Les céréaliers sont encore contraints de naviguer à vue dans un contexte on ne peut plus difficile à cause des droits de douane élevés. En effet, ils n'ont obtenu satisfaction ni de la part d'Abderrazak El Mossadeq, ministre des Affaires économiques ni de la part d'Abdellatif Guedira, directeur de l'ONICL. lls ont rencontré le premier en espérant un geste de sa part en ce qui concerne les droits de douane. Quant au second, il devait plutôt prendre les mesures qui s'imposent pour rendre possible les approvisionnements en céréales. Les minotiers affirment être sortis de ces deux rencontres les mains vides. En effet, Abderrazak El Mossadeq, qui était jusqu'alors le directeur des Douanes, n'a finalement pas pris de décisions allant dans le sens d'une baisse des tarifs douaniers de 135% que les professionnels jugent excessifs dans un contexte où les cours internationaux flambent. Ce dernier leur a cependant promis que la libéralisation allait se poursuivre. Ainsi, le prix de la farine subventionnée devrait se situer à 2,20 DH le kilo, alors que celui du blé devrait être plafonné à 2,40 DH seulement. En attendant que cette promesse se réalise, la question qui taraude l'esprit des minotiers est celle de savoir comment produire une farine de qualité à des coûts raisonnables. Car, pour l'heure, même le prix du blé marocain a été fixé par l'ONICL à 258,80 DH le quintal (2,588 DH le kg). Par ailleurs, la production de farine ne saurait se faire à partir du seul blé marocain. C'est dire qu'il est impératif d'importer le blé pour respecter les normes de qualité pour lesquelles ils se sont engagés. Il se trouve que le blé européen revient à plus de 320 DH à l'importation à cause de la taxe douanière. "Il semble que les officiels marocains veuillent que le blé national soit écoulé des silos avant de faire un pas dans le sens de la baisse des droits de douane", explique un professionnel. Ceci voudra dire que les minotiers devront attendre encore trois à quatre mois avant de produire de nouveau une farine de qualité. Cette stratégie est compréhensible quand on sait que le paysan marocain a droit à un revenu qui ne peut lui être garanti que par une certaine forme de protection. Cependant, il serait réducteur de confiner l'enjeu à cet objectif qui est déjà atteint. En effet, les autorités reconnaissent elles-mêmes que bien que la campagne agricole ait été bonne, il faudra 15 à 20 millions de quintaux de blé importé pour satisfaire la demande du marché national. Les enjeux économiques La question est donc seulement de savoir s'il est judicieux d'attendre que les silos de blé local se vident avant de favoriser l'importation de ce besoin de 15 à 20 millions de quintaux. Les professionnels répondent d'emblée qu'il n'est pas opportun de faire un pareil choix. Ils évoquent d'une part la question de la qualité de la farine produite et d'autre part les problèmes de logistique au moment où l'importation sera possible. D'autre part, si les droits de douane ne baissent pas, l'importation risque de se faire au même moment. Ainsi les navires arriveront en même temps au niveau des ports ce qui occasionnera un délai d'attente plus long avant de débarquer les céréales importées. Lequel délai leur coûte entre 5.000 et 10.000 dollars par jour. Quant à la rencontre avec Abdellatif Guedira, elle portait sur les difficultés liées à l'approvisionnement en blé local. En effet, même si ce blé est stocké actuellement dans les silos, les enjeux économiques font que les entreprises de stockage n'ont aucune envie de perdre la prime de magasinage qui est de 4 DH par quintal et par mois. L'objectif de cette rencontre était de demander à l'ONICL de faire tout pour permettre aux minotiers de ne plus être contraints de traiter une quantité inférieure de moitié à leur capacité de production. Là également, ils sont sortis avec des promesses. L'ONICL a affirmé qu'il allait déployer des agents au niveau des silos afin d'amener les sociétés de stockage à fournir les quantités qui leur sont demandées. En tout cas, avec ces derniers développements du dossier des céréales, les perturbations du secteur risquent encore de durer. A partir du moment où aucune décision concrète n'est prise, il est permis de s'attendre à toutes les conséquences possibles. L'équilibre observé jusqu'ici, les accords de modérations liant l'Etat et les minotiers d'une part, et l'Etat et les boulangers d'autre part, risquent de ne plus tenir surtout si rien n'est fait pour que les droits de douane baissent. Une bonne campagne, mais les importations sont nécessaires Alors que le secteur de la minoterie se trouve dans l'impasse, le ministère de l'Agriculture participe au débat en publiant les chiffres de la campagne céréalière. Dans un communiqué daté du 10 septembre 2003, il fait état d'une production globale de 77.672.300 quintaux de blé dur, de blé tendre et d'orge. On y précise par ailleurs que la production a augmenté de 54,6% pour ces trois céréales, par rapport à la campagne précédente. Pour ce qui est du blé tendre, objet principal des discussions menées ici et là ainsi que des protestations, l'évolution s'est pratiquement faite dans les mêmes proportions. En effet, avec 33,8 millions de quintaux, la production s'accroît de 45,4% par rapport à la campagne 2001-2002. Pour sa part, le blé dur représente jusqu'à 17,7 millions de quintaux faisant ainsi un bond de 71,2%. Est-ce une manière de dire que le Maroc est largement à l'abri d'une pénurie de blé, pour les mois à venir? On serait tenté de le croire, car les besoins sont largement couverts pour une période de quelques mois. Mais d'après les minotiers, le débat se situe ailleurs. Interpellés à ce sujet, ils affirment avoir fait le même constat. En effet, ils conviennent que si le blé marocain pouvait servir à la production d'une farine de qualité, on pourrait se permettre d'avoir recours aux importations qu'une fois les stocks épuisés. Mais selon eux, avec cette option nombre de difficultés se profilent à l'horizon.