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Les Chiites… qui sont-ils ? Que veulent-ils ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 05 - 05 - 2003

Après la chute de la capitale irakienne, Baghdad, la question du Chiisme a refait surface de nouveau. Et tout le monde
a compris que les calculs américains par rapport au rôle et à la place de la communauté chiite ont été faussés, puisque cette communauté constitue 60% de la population irakienne. Mais on ne peut réellement comprendre le rôle de cette communauté qu'en analysant son parcours historique, ainsi que l'évolution des ses idées politiques qui ont trouvé leur incarnation dans la révolution islamique d'Iran en 1979. Le Chiisme s'est ensuite répandu un peu partout, grâce à des organisations politiques, tel le Hizbollah au Liban et essaie à présent de s'imposer politiquement en Irak.
Naissance du Chiisme
Le mot “chiisme” désigne le courant qui croit que Ali Ben Abi Taleb et ses deux fils étaient prédestinés à gouverner les Musulmans après la mort du prophète. Mais les historiens ont divergé quant à la période de la naissance de ce courant. Certains estiment que cela est intervenu juste après la mort du prophète Sidna Mohammed et la désignation d'Abou Bakr Essaddik comme successeur. D'autres, en revanche, estiment que le courant est né juste après l'assassinat de Ali Ben Abi Taleb, le quatrième Khalife du prophète. Et par conséquent, ses adeptes ont défendu la thèse de la succession de ses fils Hassan et Hussein. En tout cas, ce qui est essentiel, c'est que le Chiisme en tant qu'idée s'est transformé en secte organisée, dotée d'une vision spécifique à la fois religieuse et politique. Cette secte devait traverser des moments pénibles à travers son histoire. L'assassinat de Ali Ben Abi Taleb fut suivi par le meurtre de son fils Hussein à Karbala et l'oppression allait s'abattre sur les Chiites surtout sous le règne des Amaouites et des Abbassides. Mais malgré la succession des défaites et malgré l'oppression, le Chiisme n'a pas renoncé à l'idée de conquérir le pouvoir tout en se transformant en un courant distinct qui s'est attelé à faire évoluer la pensée religieuse. Ainsi, à chaque fois que les Chiites développaient les idées se rapportant à la foi, ils se trouvaient inexorablement devant la question centrale du pouvoir puisque la problématique de la Imama occupe, pour eux, une place prépondérante dans la religion. L'évolution de la pensée chiite et de ses contours théoriques allait inspirer Abi Jaâfar Mohamed Ben Yaâcoub Al Koulaïny (décédé en 941 après J.C) qui a posé les premiers jalons du Chiisme dans son ouvrage “Oussoul Al Kafi”. Toutefois et comme toute pensée, différents courants ont vu le jour au sein du Chiisme. Il y a le Chiisme Zaïdi, le Chiisme Ismaïly et le Chiisme Itna Achari ( des douze). Le premier groupe estimait que le pouvoir revenait à l'Imam Zaïd. Mais ce groupe n'allait pas avoir une grande influence sur le cours des choses puisqu'il était très proche des idées sunnites. Le deuxième et le troisième groupes allaient converger autour de l'Imam Jaäfar Essadek. Mais, ils ont aussitôt divergé à propos de l'imam Al Moukhtafi ( l'Imam disparu). Les Ismaïly considéraient que c'était Al Imam Assabiï ( le septième) et les autres estimaient qu'il devait être Attani Achar (le douzième). En fin de compte, c'est ce dernier groupe qui a pris l'ascendant et développé la pensée chiite qui allait conduire à la révolution islamique d'Iran en 1979.
Les grands principes
Trois grands principes président à la pensée chiite. Le premier grand principe a trait à la question de la Imama (commandement des croyants) qui est considérée comme une question centrale de la pensée religieuse et non pas seulement une question qui relève de l'Ijtihad. Si les Sunnites estiment que la Oumma est en droit de choisir ses gouvernants, les Chiites avancent tout à fait le contraire. Ils estiment que Ali Ben Abi Taleb et ses fils devaient gouverner, puisque, selon eux, Ali aurait été désigné comme successeur par le prophète. En revanche, les Sunnites estiment que le prophète n'a désigné aucun successeur. Ainsi, le pouvoir pour les Chiites doit revenir uniquement aux descendants de Ali Ben Abi Taleb qui a été érigé ainsi que ses fils au rang de prophète. En général, les Chiites font la distinction entre deux étapes. La première concerne la prophétie qui a débuté avec Adam et s'est terminée avec Mohammed et la deuxième concerne le pouvoir qui a commencé par Ali Ben Abi Taleb et s'est terminée par l'apparition de l'Imam al Moukhtafi ( disparu). Et puisque l'Imam, selon eux, est au rang du prophète, ils lui ont ajouté la qualité de la Isma. C'est-à-dire que l'Imam ne peut se tromper et qu'il est le seul habilité à interpréter les dispositions de la Chariaâ. Il y a même parmi les Chiites qui considèrent que Mohammed est un prophète Natiq (parlant) et que Ali Ben Abi Taleb est un prophète Samit (silencieux).
Le deuxième grand principe du Chiisme est Al Ghaïba ( disparition). Les Ismaïly et les Itna Achari considèrent que le septième ou le douzième imam ont disparu et feront leur apparition pour bénir la terre et y instaurer la justice. Donc, tout au long de cette période et avant qu'ils n'apparaissent c'est la Ghaiba. Ce principe est une autre interprétation de l'idée d'Al Mahdi Al Moutadar ( L'imam attendu). Le troisième principe est celui de la Takiya qui suppose que chaque Chiite doit dissimuler sa foi et ses croyances. Il faut dire que ce principe est le résultat des campagnes répressives dont les Chiites ont fait l'objet.
Evolution de la théorie
politique du Chiisme
Le groupe des Chiites Itna Achari a longtemps divergé autour d'une question centrale, à savoir ce que doivent faire les Oulémas pendant la période de la Ghaiba. Un premier courant a estimé que les Chiites ne devaient pas s'opposer aux gouvernants ni les affronter en attendant le retour de l'Imam disparu. La deuxième pensée du Chiisme qu'il est du devoir des Chiites d'assumer la responsabilité vis-à-vis de la Oumma ( prendre l'intérim de l'Imam disparu). Les débats qui ont suivi ont débouché sur l'élaboration de la théorie de “Wilayat Al Fakih” par l'érudit chiite Hassan Ezzaqi. Cette théorie est présentée dans l'ouvrage “Aouaidou Al Ayam” qui a été publié en 1830. Cette même théorie allait être développée par Ayatollah Khomeiny lors de son séjour à Najaf, en Irak, entre 1965 et 1978, où il avait donné plusieurs conférences qui ont fait l'objet d'un ouvrage intitulé “Al Houkouma Al Islamya” (le gouvernement islamique), publié en 1971. Ainsi “Wilayat Al Fakih”, selon Al Khomeiny contient deux aspects :
• le premier a trait à la légitimité pour l'imam de gouverner l'Etat islamique en attendant le retour de l'imam disparu. Et s'il n'y avait de personne désignée à ce poste, cela ne justifierait pas la suspension des lois de l'Islam. A partir de là, découle la légitimité accordée à un Imam, maîtrisant la législation musulmane, pour former un gouvernement. Cela dit, dans ce processus, l'Imam ne peut être considéré comme un prophète, puisque sa fonction est temporelle et n'a aucun rapport avec son grade.
• le deuxième aspect concerne l'attitude que doit adopter l'imam dans sa quête de formation d'un gouvernement islamique. Ainsi, il doit démanteler le gouvernement des oppresseurs en boycottant les institutions officielles et en s'abstenant de collaborer avec elles. Il doit instituer des structures judiciaires, financières, culturelles et politiques alternatives. Et ainsi l'imam ne peut renforcer sa légitimité que par la lutte contre le pouvoir du Taghout ( tyran).
La théorie de «Wilayat Al Fakih» développée par Khomeiny a été mise en œuvre en 1979 en Iran après la proclamation de la république islamique au terme d'une révolution qui a été comparée à la révolution française sur une terre d'Islam.
L'exemple iranien
Quand Khomeiny a pris le pouvoir en Iran, la question de l'exportation de la révolution a pris une grande ampleur. En effet, les Mollahs iraniens ont considéré que leur expérience n'est pas uniquement locale et partant, elle est apte à être généralisée. Ainsi, les Chiites du Pakistan, d'Afghanistan, du Liban et des pays du Golfe ont considéré que la révolution iranienne constituait une opportunité pour leur affranchissement. En 1979, les Chiites d'Irak et d'Arabie saoudite ont déclenché un soulèvement qui a été vite réprimé dans le sang. Devant cette nouvelle situation, les régimes sunnites du Golfe devaient s'appuyer sur le régime du Baâs irakien pour contrecarrer l'exportation de la révolution chiite. D'ailleurs, ces régimes ont financé pour une grande part l'effort de guerre de l'Irak contre l'Iran, laquelle guerre avait duré huit ans. Mais, malgré le conflit, l'Iran n'a pas lésiné sur les moyens pour soutenir les organisations chiites, notamment le Hizbollah libanais qui a considérablement renforcé ses assises après l'invasion du Liban par Israël en 1982. L'Iran a même envoyé 1.500 gardes républicains iraniens au sud Liban pour piloter les entraînements des militants. D'ailleurs le Hizbollah libanais n'a jamais caché sa préférence de l'exemple iranien et a depuis le début adhéré au projet politique de la révolution de Khomeiny. Mais le Hizbollah n'a pas pu convaincre tous les Chiites du Liban, puisque l'organisation Amal a refusé
cette orientation et a sauvegardé son indépendance vis-à-vis de l'Iran (Amal est constituée des initiales de Afouaj Moukawama loubnaniya qui a été créée par Moussa Sadr en 1975, l'une des figures de proue du Chiisme libanais qui est considérée comme l'aile militaire de l'organisation Harakat Al Mouâdamine).
En Irak et bien que les Chiites aient adopté l'attitude de collaborer avec le Baâs et qu'un grand courant mené par Ayatollah Al Kouyï refusait toute implication dans la politique, un grand nombre de Chiites ont été tentés par l'exemple iranien. Ces derniers ont été menés par Ayatollah Baker Al Hakim, le leader du haut Conseil de la révolution islamique.
Actuellement, donc, et après la chute du régime de Saddam Hussein, les Etats-Unis d'Amérique sont confrontés au vieux rêve esquissé par les Chiites de créer une république islamique inspirée de la théorie de «Wilayat Al Fakih», élaborée, faut-il le rappeler, par Khomeiny à Najaf. Mais il apparaît que les Américains ne toléreront en aucun cas la réalisation de ce rêve. Mais, comment faire pour étouffer la théorie de Wilayat Al Fakih ? Autrement dit, seraient-ils en mesure de convaincre les Chiites de cohabiter avec le reste de la population dans le cadre d'un Etat laïc, en attendant le retour de l'imam disparu ?
A propos du Chiisme au Maroc
On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de l'existence d'un courant chiite au Maroc. Mais avant de confirmer cela ou de l'infirmer, il est nécessaire de prendre du recul et de revenir à l'histoire. Avec l'avènement de l'Islam et l'arrivée des conquérants musulmans au Maghreb, plusieurs courants de pensée islamique avaient fait leur apparition. Il y avait les Sunnites, les Chiites, les Khaouarij et autres. Or, tous ces courants devaient nécessairement atteindre nos contrées et y trouver des adeptes parmi la population. Il y eut, parmi ces courants, des Chiites qui ont contribué à créer un Etat chiite en Egypte sous l'ère des Fatimides. De même que l'influence chiite était forte sous le règne de Mehdi ben Toumert, le fondateur de la dynastie des Almohades. Cependant, ce sont les Sunnites qui ont toujours eu gain de cause et c'est le rite malékite qui devait prévaloir depuis la dynastie mérinide et jusqu'à nos jours. C'est pour cela que le Maroc avait sauvegardé son unicité confessionnelle qui devait être consacrée sous le règne de feu S.M. Hassan II qui avait compris l'importance de la distinction entre les volets politique et religieux. Or, si le pluralisme politique est très important, le pluralisme religieux ne pourrait que porter atteinte à l'unité de la nation et de la société. Ainsi, l'Etat au Maroc a, de tout temps été ferme à ce sujet et combattu tous les courants qui s'éloignaient de la Sunna et du rite malékite.
Mais, aujourd'hui, certains milieux ont voulu profiter du climat d'ouverture politique qui règne au Maroc pour transposer la liberté d'expression et d'opinion au domaine religieux. Ainsi, certains ont commencé à propager les idées chiites à l'instar de l'Association Al Ghadir de Meknès qui revendique son droit à la légalité, démarche qui a même trouvé un écho dans le rapport du Congrès américain sur les droits de l'Homme. Certaines associations, notamment, dans l'Oriental, ont même commencé à exercer leurs rites chiites dans certaines mosquées. Or, si au Maroc, tout le monde respecte le droit à la différence, tolérer les différences dans le domaine des constantes religieuses, peut s'avérer périlleux et attentatoire à l'unité de la nation et de la société.


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