La semaine dernière, notre hebdomadaire a réalisé un véritable scoop. Une bombe autant à Alger qu'à Rabat. Pas moins que le général Khaled Nezzar. Qui se refuse à la création d'un nouvel Etat aux frontières de l'Algérie et plaide pour une solution politique au conflit du Sahara. Il est vrai que Khaled Nezzar est un général à la retraite, mais cela n'a pas grand sens en Algérie. M. Nezzar est un “janviériste” dans ce sens où c'est lui qui, en janvier 1992, alors ministre de la défense, a mené les généraux qui ont “démissionné ” le président Chadli Benjedid. Depuis et jusqu'à son “éclipse”, plus pour des raisons de santé qu'autres, il a incarné quasiment à lui seul le pouvoir en Algérie. A la retraite, il a gardé son influence et son réseau dans les rangs de l'armée qui en a souvent fait son porte-parole officieux. Lorsque celle-ci a été prise à partie par l'ex-capitaine Souâdia, c'est lui qui est monté au créneau pour défendre devant le tribunal de Paris “l'honneur de l'armée nationale populaire algérienne”. Dire que l'homme n'est pas rien est un euphémisme doublé d'une litote. Les réactions suscitées en Algérie par sa position témoignent de son importance actuelle. Son propos, dans un contexte où apparemment quelque chose bouge entre le Maroc et l'Algérie, ne peut être pris à la légère. Pourtant, comment ne pas se poser des questions lorsque le chef du pouvoir politique Abdelaziz Bouteflika auquel le général concède les clés de la solution, écrit au même moment, en réponse à son homologue français, être “ convaincu que la consolidation et l'accélération du processus de construction maghrébine seront facilitées à la faveur de la satisfaction du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination à travers la mise en œuvre sincère du plan de règlement des Nations Unies (…) endossé par la communauté internationale ” ? Faudrait-il pour autant conclure à la duplicité et jeter le bébé avec l'eau du bain ? Ce n'est pas la première fois qu'une attitude duelle s'exprime sur le sujet en Algérie. En 1994, dans un entretien qui avait fait en son temps beaucoup de bruit, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Mohamed Salah Dembri, déclarait, en marge du Sommet de l'OUA à Tunis, possible “ une organisation [territoriale] qui aménagerait une personnalité sahraouie dans un ensemble marocain ”. A ses yeux, cette solution pouvait non seulement “faire l'économie d'un référendum ”, mais “ envoyer tout le plan onusien aux oubliettes ”. Cependant, et quasi simultanément, son président, Lamine Zeroual, invitait ses pairs africains de l'OUA “ à veiller (…) au juste parachèvement de la décolonisation du continent ” par “ la conduite [au Sahara] d'un référendum d'autodétermination ”. Sans doute, les Algériens nous ont-ils habitués au double discours, si bien que nous réagissons à tout ce qui nous vient de l'Est en chats échaudés. Mais la dualité actuelle, comme celle de 1994, reposent sur une réalité qui remonte au milieu des années quatre-vingts : le travail de prospection d'une solution que feu S.M le Roi Hassan II et l'ancien président Chadli Benjedid avaient entamée lors de leurs rencontres à Jouj Bghal et Akid Lotfi sous le regard bienveillant du Roi Fahd d'Arabie. Le défunt Souverain avaient extrêmement condensé la solution esquissée en deux mots : “ le drapeau et le timbre ” en tant que symbole d'une souveraineté marocaine aussi totale qu'irréfragable. Sur cette base, il faut bien croire qu'il y a un réel débat au sein de l'Algérie allergique d'habitude à une solution consacrant la souveraineté marocaine. Fait inédit, car le Sahara fait partie des lignes rouges algériennes, un journal algérien, “Al Bilad ”, ose s'exprimer en faveur des positions développées par le général Nezzar. Il y a là sans contexte une nette évolution. Celle-là même qui a permis au président français Jacques Chirac de plaider en Algérie même, tout en douceur il est vrai, en faveur d'une solution négociée sans se retrouver sous le tir de barrage habituel de la presse. Toutefois, le débat n'est visiblement pas encore tranché. Sa lisibilité est rendue difficile par l'ambiguïté traditionnelle des relations entre nos deux pays et la complexité des rapports de force inter-algériens. Dans un entretien à “ La Nouvelle République ”, Khaled Nezzar est revenu à la charge pour confirmer son propos. Bizarrement, il laisse pointer de l'amertume et du dépit. Notamment lorsqu'il semble regretter que le pouvoir politique n'ait pas laissé l'armée en découdre avec le Maroc. Néanmoins, il continue d'inviter à changer de cap. La complexité de la cuisine intérieure algérienne est bien résumée par le journal d'Oran qui s'interrogeait en ces termes : “Khaled Nezzar a-t-il sous-traité pour le compte de Bouteflika, a-t-il voulu couper l'herbe sous les pieds de celui-ci, en le devançant, a-t-il exprimé sa propre opinion ou celle de l'armée (…), a-t-il voulu influencer le sens vers lequel devrait évoluer toute solution (…) ? ”. On pourrait y ajouter une autre interrogation : le général en prenant le contre-pied, n'aurait-il pas cherché à contraindre le président à prendre publiquement une position tranchée en faveur du “Polisario” pour faire avorter l'éventuel dégel entre Rabat et Alger ? Les paris restent ouverts, tout comme le débat initié par le général Nezzar et auquel, signant et persistant, il continue d'inviter. L'existence même de ce débat est de nature à libérer les voix et à ouvrir le sentier d'un dialogue apaisé entre le Maroc et l'Algérie.De la discussion jaillit la lumière, même s'il faut rester en toutes circonstances vigilant.