Toutes les Caisses nationales de retraite, ou presque, vivent des difficultés financières plus ou moins graves. Ce qui risque de compromettre à terme les prestations dues au titre des pensions de retraite. Sans réforme profonde du régime des retraites c'est tout l'édifice qui risque de s'effondrer, et les premières victimes seront bien entendu les futurs pensionnés. Quoi de plus légitime que d'aspirer à une retraite décente après une longue période de vie active ? La réponse est tellement évidente que la question peut en paraître saugrenue. Mais, force est de constater que de larges couches de la population parvenues au terme de leur parcours actif se retrouvent totalement démunies ou, au mieux, avec de maigres pensions largement insuffisantes pour couvrir leurs besoins fondamentaux. La proportion des retraités exclus coïncide à peu près avec celle de la population ne bénéficiant d'aucune couverture sociale, soit 85 % de la population. Autrement dit, plus de quatre personnes sur cinq arrivées à l'âge de cessation d'activité se retrouvent sans ressources garanties. Le système traditionnel de solidarité familiale devenant de plus en plus fragile, l'absence d'un système institutionnel contribue à l'extension de la précarité et de la pauvreté. Cela étant, le système actuel des retraites, basé sur le principe de la répartition, souffre de graves difficultés et court le risque de s'effondrer si rien de sérieux n'est entrepris pour remédier au mal qui le ronge. Inspiré du système français tel qu'il a été institué au lendemain de la seconde guerre mondiale, le système par répartition, conçu comme un instrument de solidarité et de protection des travailleurs, commence à montrer ses limites. Tous les pays qui ont adopté ce système sont en proie à des déficits, et les tentatives de réforme se heurtent à l'hostilité des futurs pensionnés. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Maroc n'échappe pas à la règle. D'autant plus qu'aux problèmes communs aux pays riches et pays pauvres s'ajoutent ceux spécifiques aux pays en développement. La faiblesse de la masse affiliée aux Caisses de retraite, la précarité de l'emploi particulièrement dans les secteurs informel et agricole, le chômage massif, l'arrivée de vagues de plus en plus nombreuses de retraités et la hausse de l'espérance de vie sont autant de facteurs déstabilisants et générateurs de crise. CMR et CNSS en difficulté Comme on le sait, il existe au Maroc quatre Caisses principales de retraite plus une multitude de Caisses internes propres à certaines entreprises et établissements publics. Les quatre organismes importants sont la Caisse marocaine des retraites (CMR), le Régime collectif des allocations de retraite (RCAR) pour le secteur public et semi-public, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites (CIMR) pour le secteur privé. Mais si les trois premières Caisses sont des établissements à caractère public et sont donc soumises au contrôle de l'Etat, la CIMR est une association à but non lucratif et échappe de ce fait au contrôle des pouvoirs publics, du moins jusqu'à la dernière réforme qu'a connue cette Caisse. Cependant, l'Etat a accepté de différer de 5 ans l'application des dispositions du Code des assurances. Parmi les établissements publics, c'est la CMR qui gère les retraites des fonctionnaires, qui est la plus menacée, en vertu du principe selon lequel moins il y a de personnes ayant un emploi moins il y a de ressources pour financer les revenus des retraités. Or, étant donné que l'Etat ne recrute, depuis de nombreuses années, que des effectifs de plus en plus réduits (à peine 7.000 postes sont prévus en 2003), les nouveaux flux financiers sont en voie de tarissement. En outre, le gouvernement Jettou envisage de mettre à la retraite anticipée quelques 60.000 fonctionnaires au cours des trois-quatre prochaines années. Si l'on ajoute à cela qu'en 2020 il est prévu que le ratio actifs/retraités de la Fonction publique serait de 1 pour 1, il apparaît clairement que la situation va devenir intenable. L'Etat devra donc faire face au coût croissant des retraites et sera nécessairement amené à mettre la main à la poche pour continuer à verser les pensions de ses anciens salariés. Mais, la charge financière sera telle qu'elle risque de creuser le déficit public de façon intolérable et de faire s'envoler la dette déjà très élevée. Du côté de la CNSS, la situation semble en voie d'assainissement. Il est peut-être utile de rappeler que cette Caisse ne porte de “nationale” que le nom. Elle ne gère en effet que les pensions de retraite des salariés du secteur privé, tout en fournissant d'autres prestations à long terme (en cas d'invalidité par exemple), ou à court terme (allocations familiales, congés maladie ou maternité…). La branche retraite est caractérisée par un déficit technique structurel depuis plusieurs années, déficit comblé par des prélèvements sur la branche Allocations familiales (AF), excédentaire. Cette pratique est contraire à la loi, car les statuts de la Caisse stipulent qu'aucune branche ne doit financer une autre. Pour sortir de cette situation quasi-illégale, mais pourtant tolérée par tous les gouvernements, et rétablir l'équilibre, diverses mesures ont été prises, dont certaines sont anciennes et d'autres plus récentes. La première de ces mesures a été l'abandon du système par répartition pure. Ce qui est en vigueur actuellement est le régime dit de la “prime échelonnée”, mélange de répartition et de capitalisation, dont le mécanisme est assez complexe. La deuxième mesure importante touche aux taux de cotisation aux différentes branches dans le sens d'un rééquilibrage au profit de la branche des prestations à long terme qui finance les retraites. La modification des taux s'est faite dans le sens d'une diminution du taux de cotisation au titre des AF (de 10 % du salaire total à 7,5 %) et une augmentation de celui relatif aux prestations à long terme, porté de 8,78 % à 11,89 % du salaire plafonné à 6.000 DH par mois, et dont les 2/3 sont à la charge de l'employeur. Enfin, le Conseil d'administration de la Caisse a décidé lors de sa réunion en décembre dernier, de verser 500 millions de DH en 2003 au Fonds de retraite de la CNSS. Réformer les retraites Des trois organismes publics en charge des rertraites, c'est le RCAR qui béneficie de la situation la plus favorable. Créé en 1977 et géré par la CDG, le RCAR compte actuellement 320.000 affiliés actifs et un peu plus de 40.000 pensionnés, affichant ainsi le meilleur rapport actifs/retraités : 7,5 contre une moyenne nationale de 4,5. Il dispose en outre d'un confortable matelas financier de 27 milliards de DH, soit la moitié des réserves totales des régimes de retraite nationaux. Après l'ONCF, la Régie des tabacs et l'ODEP qui lui ont confié la gestion de leur pensions de retraite, il y a fort à parier que d'autres entreprises et établissements publics finiront par suivre l'exemple et tranférer au RCAR leurs Caisses internes de retraite, car elles sont condamnées à la faillite à plus ou moins longue échéance. Quel que soit l'état de santé de l'un ou l'autre des établissements publics qui gèrent les fonds de retraite, une réforme globale et profonde du système devient de plus en plus indispensable si l'on veut pérenniser ce droit et aller vers davantage d'équité dans les prestations. Cependant, deux écueils majeurs doivent être évités. D'un côté, il ne s'agit pas de procéder à un simple lifting de l'édifice ou de recourir à des mesures de circonstances, qui risquent d'avoir à terme des conséquences autrement plus fâcheuses que le mal auquel on veut remédier. De l'autre, la réforme est une affaire très sérieuse pour la confier aux seuls experts. Il faut veiller à ce que tous les partenaires sociaux soient associés à l'élaboration de la réforme afin de remporter leur adhésion, et en premier lieu les futurs pensionnés. Pour pérenniser le système par répartition, la logique voudrait que l'on institue un régime unique de base ouvert à tous les actifs sans exception : salariés, travailleurs indépendants, professions libérales… et que l'on confie la gestion de ce fonds national de retraite à un seul organisme, la CNSS par exemple. Avec la liberté bien entendu de s'affilier à un régime complémentaire en fonction de l'employeur ou de la catégorie de travailleurs, sous forme de Caisses internes spécifiques ou d'affiliation à la CIMR quand cela est possible ou tout simplement le recours aux assurances privées. Mais, il faut être conscient que réformer les retraites c'est réformer la société. Il faut donc évaluer toutes les implications de la réforme. En effet, dès qu'on aborde la question des retraites on débouche inévitablement sur la politique de l'emploi, la nature des tâches (pénibles ou non), la gestion des âges de travail, le montant des cotisations avec ce que cela implique en termes de pouvoir d'achat et de répartition de la richesse produite, le type de régime à adopter : répartition ou capitalisation ou mélange des deux. Le débat est donc large et le consensus sera difficile à dégager tant les enjeux sont considérables et les conflits d'intérêts inéluctables. Les mesures de la réforme de la CIMR Les mesures proposées reposent sur une révision des paramètres les plus significatifs du régime tendant à faire participer de façon équitable les adhérents, les affiliés et les retraités. Encaissement par la CIMR de la part salariale A compter du 01/01/2003, les cotisations salariales seront encaissées par la CIMR. L'ensemble des droits à la retraite exprimés en points continueront à être calculés sur la base de la formule actuelle d'octroi des points avec possibilité de sortie en capital. Détermination du montant du capital à verser sur la base des nouvelles cotisations salariales Ce capital qui sera calculé à la date de liquidation est obtenu en revalorisant les cotisations salariales trimestrielles aux taux suivants : • un taux de rendement qui sera arrêté annuellement par le Conseil d'administration sur proposition du comité de pilotage. Il est fixé en 2003 à 3,25 %, • un taux annuel de revalorisation qui sera déterminé par le Conseil d'administration sur proposition du comité de pilotage en fonction des résultats de la gestion financière. Si l'assuré choisit l'option en capital, son stock de points sera réduit de moitié (pour les points acquis sur la période postérieure à la date de la réforme). La moitié restante sera liquidée sous forme de pension. Baisse du rendement à 10 % en 2010 Cette mesure sera réalisée grâce à un gel de la valeur du point de liquidation jusqu'en 2010 et une augmentation du salaire de référence de 4 % par an. A partir de 2011, la valeur du point de liquidation suivra l'évolution du salaire de référence pour maintenir un rendement de 10 %. Limitation de la revalorisation des pensions en service Sur la période 2003-2010 (période de baisse de rendement), la valeur du point de service sera revalorisée annuellement au taux de 0,7 % soit un rythme voisin de celui observé depuis la réforme de 1998. Au-delà, son évolution sera fixée par le Conseil d'administration sur proposition du comité de pilotage. Suppression des majorations familiales Les majorations familiales accordées pour enfants à charge seront supprimées car elles constituent un des éléments de la générosité passée du régime et ne relèvent pas normalement des objectifs d'un régime de retraite. Contribution supplémentaire non génératrice de droits A partir de 2003, une contribution supplémentaire égale à 20 % de la contribution patronale et non génératrice de droits sera instaurée. Sa montée en charge est étalée sur une période de 5 ans. Maintien des avantages gratuits Les affiliés du régime continueront de bénéficier des avantages gratuits résumés ci-après : • Réversion au profit du conjoint survivant et des orphelins, • Points “maladie”, • Mois supplémentaire, • Trimestre de secours. Source : CIMR