Le centre de la mémoire commune et de l'avenir (CMCA) fait un boulot formidable. Il a réussi à impliquer les politiques dans sa démarche. Cela promet… Mardi dernier, la bibliothèque nationale a hébergé un symposium très original. Le CMCA et le journal Achourouk, dirigé par Mohamed Aujjar, l'ancien ministre des Droits de l'Homme, accueillaient des politiques de premier ordre, des universitaires et des militants des Droits de l'Homme. Le sujet était la mémoire commune. Les partis politiques devaient répondre à une série de questions : Les principaux constituants de cette mémoire commune Quelle est la nature des questions importantes et leur hiérarchie du point de vue des partis, mais aussi les moyens mobilisés pour poser ces questions. Quelle approche proposée ? Que font-ils concrètement ? Toutes ces questions ne constituaient en fait qu'un prélude au débat sur la mémoire commune entre le Maroc et l'Espagne et sa présence, ou non, dans l'action politique des structures partisanes. L'utilisation de gaz lors de la guerre du Rif, ou l'enrôlement forcé de Marocains dans les rangs franquistes lors de la guerre civile espagnole ont constitué le plat de résistance. L'approche n'a rien à voir avec l'incantation ou la recherche du repentir de l'autre. Bien au contraire elle vise à trouver les meilleures modalités pour régler ce passif et enraciner des rapports de coopération avec le voisin du Nord. Les débats ont été très riches et la rencontre ne s'est terminée que tard dans la nuit. On a pu se rendre compte de l'importance du sujet, mais aussi des lacunes de son traitement par la classe politique. Une continuité à encourager Le CMCA n'est pas à sa première manifestation. Fin février, il avait organisé un colloque international à Tétouan sur la participation des Marocains à la guerre civile espagnole : Ce colloque a été une véritable réussite parce qu'il a réuni des intellectuels des deux rives. 25 interventions ont été présentées par des Marocains et des Espagnols de différents horizons. Trois films documentaires consacrés à cette douloureuse période de l'histoire, ont été projetés. Il a été question dans ce colloque de «la nécessité de la construction d'une position de compromis sur le passé et le travail de réécriture des faits et de l'histoire, ce qui ouvre la porte à la préservation de la mémoire et le processus de sa construction à travers une approche participative, garantissant le droit à la mémoire et prenant en considération l'horizon historique du projet sociétal fondé sur le respect des droits de l'homme…». La participation Marocaine a évalué, une quasi-unanimité se dégageant autour de l'idée qu'elle n'était pas volontaire. Les conséquences de cet enrôlement, le traitement réservé aux victimes Marocaines de ce conflit, les droits professionnels des soldats malgré eux, ont été revisités à la lumière du droit international. L'approche de la justice transitionnelle a été privilégiée par les participants. Ce débat est un débat de fond, salutaire pour les deux pays et pour leurs relations. L'oubli, la mise sous-scellés de l'histoire, ne laisse place qu'aux rancœurs qui finissent par créer des barrières infranchissables. Ces questions doivent être débattues dans toutes les sphères, politique entre les partis de même obédience, société civile, universités, pour aboutir à une mise à plat des rapports entre le Maroc et l'Espagne et dépassionner la lecture de leur histoire. Et l'Algérie Si pour le moment le centre s'intéresse presque exclusivement à l'Espagne, il paraît légitime d'en attendre la même approche vis-à-vis de nos voisins de l'Est. Il est clair que les « pays frères » ont une drôle conception de la fraternité. Or il s'agit d'atavisme et non pas de crise conjoncturelle. Et ce n'est pas uniquement au niveau des sphères dirigeantes que le prisme conflictuel se situe. Toute l'élite algérienne a une véritable défiance vis-à-vis du Maroc. Cela ne peut pas être juste le fruit de la propagande. Il est peut-être temps de tenter de déchiffrer ce qui peut l'être. Quel est le poids réel de la guerre des sables dans la mémoire collective de nos voisins ? Comment ce souvenir est ressenti aujourd'hui ? A l'inverse, comment la position algérienne sur le Sahara est perçue par les Marocains ? Une série de questions sur la guerre d'Algérie, les désaccords frontaliers, la guerre et les escarmouches, méritent d'être étudiés avec la même approche. Car qu'on le veuille ou pas, des générations de citoyens des deux pays sont élevées dans la haine du voisin. Parler d'unité dans ces conditions relève de la psychiatrie. Pourquoi ce qui est possible avec l'intelligensia espagnole ne le serait-il pas avec l'Algérie ?