«Tu te prends pour Tarzan ?». « Tiens regarde celui-là, on dirait Zorro, et celle-là là-bas, elle se prend pour Brigitte Bardot ?». Tous ces noms, et tant d'autres, qui vont du western à Al Capone, en passant par James Dean ou Steve Reeves, le héros bodybuildé des films d'Hercule, font partie, vous l'aurez compris, de la culture cinéma. Le Maroc, en tant que pays ouvert et moderne, a connu le Septième Art très tôt. Et sa jeunesse dès les années cinquante a vécu le plein boom de ce divertissement même si on ignorait à l'époque, que c'était aussi une véritable industrie. Au Maroc, chaque ville avait sa ou ses salles de cinéma avec le pompon pour Casablanca qui en avait un nombre record. Aujourd'hui, le magnifique et salutaire (pour les cinéphiles) Megarama, sait-il qu'il est le descendant de salles aussi prestigieuses que le Vox, le Lux, le Lynx, le Colisée, le Liberté, le Lutetia… Ailleurs, à Rabat, par exemple on trouvait le Renaissance, le Marignan, et sa boîte de nuit « L'Aquarium » qui recevait ses clients après les séances de films. Les noms les plus divers s'accrochaient aux façades des cinémas. Qui se souvient encore du Chantecler à Kalaat Sraghna, du Rex à Sidi Slimane, du Fantasio de Kénitra, ou du Bijou à Fès. « Le Paris » était à El Jadida, juste en face du cinéma « Taj ». Oserait-t-on dire, qu'à Meknès, derrière les augustes remparts de Moulay Ismaïl, le cinéma Rif avait accueilli, en 62 un concert de Jacques Brel ? Et le cinéma Royal de Rabat, avec sa façade classée monument historique, et dont le propriétaire feu Fratani aimait à rappeler que le nom de Royal, avait été donné en hommage au Roi Mohammed V. Pour les adolescents des années 50 et 60, les cinémas c'étaient d'abord des affiches qui invitaient au rêve. Des affiches fortement colorées, avec les noms d'acteurs en gros sur des images flamboyantes, titillaient l'attente des spectateurs. On avait hâte de voir le film, et quand, enfin, le grand jour arrivait, on pénétrait dans la salle obscure c'était pour boire ardemment les images, s'en mettre plein les mirettes, mais aussi découvrir les bandes-annonces des films programmés prochainement. Et au cinéma il y avait toujours un « prochainement sur cet écran »… L'engouement était tel, qu'en cas de grand film, le marché noir devant les salles de spectacle était florissant avec des petits malins qui revendaient les billets jusqu'à cinq fois leur prix à des spectateurs qui n'avaient pas eu le temps d'aller aux guichets. Des guichets avec toujours une caissière, mignonne de préférence. Cela complétait le décor et les fantasmes. Le cinéma, et on ne peut pas le nier, c'est aussi beaucoup de sensualité. C'est dans la salle obscure, que l'on découvrit les baisers sur la bouche entre l'acteur principal et l'héroïne. On était dans les années cinquante, rappelez-vous… C'est là aussi, dans la discrétion des salles que les adolescents se livraient à leurs premières caresses, et découvraient les premiers émois et battements de cœur. Qui de cette génération n'a pas eu son petit émoi né d'un baiser volé, sur un fauteuil de salle de cinéma ? La censure veillait, à l'époque, et pas seulement pour couper les scènes jugées chaudes des films, mais aussi ailleurs. Sur les titres par exemple. Ainsi, au lendemain de l'Indépendance, un film de gangsters hollywoodien, «La chute d'un Caïd» fut rebaptisé «La chute d'un tueur» pour ne pas faire confusion avec les caïds félons de l'époque. De même pour le film de Sergio Leone, «Il était une fois la révolution», projeté au Maroc quelques temps après la tentative de complot à Skhirat (1971) les Marocains le virent sous le nom «Il était une fois au Mexique». Le cinéma a occupé un large espace culturel au Maroc, et ébloui les jeunes Marocains, au même titre que les Américains et Européens. Cela a permis à tous d'être « tendance » et de garder des souvenirs plein la tête et de la nostalgie plein le cœur. Et de souhaiter devant « l'écran noir de nos nuits blanches » comme l'a si joliment écrit Claude Nougaro, de voir un jour revivre ce temps enchanté.