«La lettre de Marrakech» s'intéresse cette semaine à l'acteur français Jean Lefebvre, qui est venu s'installer définitivement dans la ville ocre en ouvrant, à Djamaâ El Fna, un restaurant à la mode parisienne : «La Bohême». Marrakech, ville ocre du Maroc n'a pas fini d'attirer les célébrités pour y venir tout d'abord en visiteurs mais parfois le charme du lieu les envoûte tellement que le « flash » se produit et ils décident de s'y installer. C'est le cas de la personnalité dont je vais parler aujourd'hui: Jean Lefebvre, acteur de cinéma, de théâtre mais aussi de télévision. Est-il vraiment nécessaire de présenter ce géant de l'écran qui a donné beaucoup au 7ème art puisqu'il a tourné pas moins de 135 films dont certains sont devenus des grands classiques, d'autres moins bien connus mais restants pour la grande partie des films comiques. Jean Lefebvre, aujourd'hui âgé de 84 ans, est né à Valenciennes un 3 octobre 1919. Issu d'une honnête famille dont le père Marcel, diplômé des arts et métiers et travaillant dans l'industrie métallurgique et d'une mère au foyer : Zelia. Jean me racontait l'esprit de sacrifice et de ténacité de son père puisque son usine détruite par les bombardements de la Guerre 14-18 et celle de 39-45, a été, à chaque fois, reconstruite. Son père est mort à 96 ans à Saint Maxime, et Jean m'expliquait que sa longévité, il la doit aux piqûres d'abeilles car Marcel se faisait piquer chaque mois de mai par ces petites bêtes et de façon volontaire. Tout jeune à 18 mois, Jean a eu la polio que l'on appelait : la paralysie infantile. A l'école, tout le monde le prenait pour un « cor » de « boiteux » et lui, regardait dans un coin les autres jouer au football. Nonobstant, Jean faisait l'andouille, ce qui peut servir, me dit-il, dans la vie. Après des études mouvementées (il a été viré quatre fois de l'école), il se retrouve sous les drapeaux à 20 ans pendant la guerre au camp de Satory près de Paris, mais vite il se fait prisonnier par les Allemands. Grâce à une astuce, c'est-à-dire se faisant passer pour un agriculteur, il est transféré dans une ferme à Düsseldorf. En arrivant chez le propriétaire dont les deux fils étaient aussi mobilisés sous les drapeaux en Russie, le sort a voulu que Jean et ses copains français prisonniers fassent « démariller les carottes » mais sans le savoir, ils réussissent une bonne récolte. De plus l'Allemand ayant appris la mort de ses deux fils en Russie a adopté Jean et son copain et les faisait dormir dans leurs chambres jusqu'au jour où il les a mis dans un wagon de pommes de terre allant en France : l'évasion. C'est un dur voyage que Jean va faire pendant huit jours, sous la pluie des bombes. Accueilli par la Résistance, il sera dirigé vers Limoges comme chauffeur de «Trolleybus». Un jour, une certaine femme «Nenette» de Toulouse monte dans le bus et lui confie un sac plein de grenades. Ce bus fut fouillé par les Allemands et la femme récupéra son « bien ». Depuis et jusqu'à ce jour, cette femme n'a jamais oublié Jean, le suivait dans ses représentations avec des fleurs car il lui a sauvé la vie. Après la Guerre, Jean s'inscrit au conservatoire de Paris et sort avec un premier Prix de l'opéra comique. Il commence une carrière au cabaret. Durant cette période, il va triompher dans la pièce de Robert Dherry : « La plume de ma tante » où Jean jouait le rôle d'un pêcheur breton sur un vrai cheval qui « riait ». La troupe ayant été invitée à faire une tournée aux USA afin de jouer cette pièce. Il fallait trouver un cheval qui riait. Jean en avait un mais comment faire ? L'histoire est longue à raconter mais après des péripéties rocambolesques, on a réussi à tourner la pièce, un triomphe aux USA, avec ce cheval qui riait car Colette Brosset, l'épouse de R. Dherry se souvenait que l'on mettait de la cannelle dans la bouche du cheval ce qui le gênait en lui donnant l'air de rire. Ce fameux cheval, revenu en France, après un séjour chez Eddie Constantine puis dans un haras (comme « boute-en-train ou souffleur ») a fini sa vie tranquillement dans une ferme. La vie cinématographique de Jean Lefebvre serait longue à raconter car très productive (135 films). Il commença sa carrière par un film « Bouquet de joie » tourné en 1952 avec Charles Trenet suivi la même année de « Une fille sur la route » avec G. Guetari et encore la même année de « L'amour, l'amour toujours » avec un acteur pas très connu en ce moment, Omar Sharif. Il participera dans le fameux film avec Brigitte Bardot : «Et Dieu créa la femme» (1956) suivi de : «Quand la femme s'en mêle » en 1975. Bien sûr, nous relatons quelques films sans chronologie comme «La Vandetta», «Le dos au mur », «Un drôle de dimanche», « Le repos du guerrier », « Un idiot à Paris ». « Le bourgeois gentil mec »… Nous ne pouvons pas continuer à citer tous les films de ce grand acteur, disons que tout le monde s'accorde à dire que la carrière de Jean Lefebvre est marquée par des films humoristiques comme la trilogie de la « 7ème compagnie » ou encore par la série des « gendarmes »… comme « Le gendarme de Saint Tropez ». « Le gendarme en balade », « Le gendarme se marie », « Le gendarme à New York ». Tous ces films, rappelons-nous, sont tournés avec Louis de Funes, Michel Galabru, Genevieve Grad et bien sûr Jean Lefebvre dans le fameux rôle du maréchal de logis L. Fougasse. Il est aussi important de signaler que notre ami Jean a tourné aux côtés de Brigitte Bardot, Anouk Aimée, Arletty, Marisa Berenson, François Arnoul, Léonore Aubert, Guy Bedos, Rik Battaglia, Catherine Allegret et bien d'autres. Quand nous étions ensemble cette semaine chez moi, Jean me raconta une histoire fabuleuse qui lui est arrivée pendant un tournage à Agadir. Il logeait au Club-Med quand un messager est venu lui dire que Feu S.M Hassan II aimait bien son personnage et l'invitait chez lui pendant tout le tournage du film. Bien sûr, Jean accepta ce cadeau royal qu'il ne peut jamais oublier. C'est du reste l'une des choses qui lui a fait aimer le Maroc. Il me disait aussi : Mon cher Aziz, je connais le Maroc bien avant que tu sois né, car je suis venu aussi faire du théâtre dans ton beau pays ». Aujourd'hui, il est venu s'installer définitivement à Marrakech en ouvrant sur la fameuse place Djamaâ El Fna un restaurant à la mode parisienne : «La Bohême» avec sa charmante épouse Brigitte Bardou et non Bardot comme il dit. Nous étions très nombreux à l'inauguration où amabilité et gentillesse se mélangeaient avec les bons plats étrangers et marocains. Du reste, des amis à lui, sont venus spécialement de France et d'ailleurs pour fêter avec Jean cette ouverture comme Johnny Hallyday et son épouse Laetitia, Claude Brasseur, Mr et Mme Morreau, auteur et directeur du « Théâtre de nouveautés à Paris », Jean Renard compositeur de chansons, Robert, un premier prix de conservatoire et bien sûr la gracieuse et charmante Nicole Minsky, longtemps gérante du fameux Club parisien « Le King». Tout ce monde buvait à la santé du restaurant de Jean et Brigitte mais au succès de ce bel endroit. Quand on monte les escaliers du resto, on est accueilli par une belle affiche du film : « Du mou dans la gâchette » que Jean a tourné avec B. Bilier. Jean Lefebvre, aujourd'hui marié à Brigitte et père de 5 enfants est venu s'installer à Marrakech. Je lui a demandé pourquoi ce choix, il me répond sans hésiter : « Le Maroc est un pays que j'aime depuis longtemps et sincèrement j'y tiens depuis le geste de votre feu Roi SM Hassan II. Par ailleurs, ici les gens sont gentils et font l'impossible pour vous rendre service sans intérêt. Quand j'ai voulu ouvrir ce restaurant, tout le monde m'a aidé : le wali, la mairie… J'adore le Maroc où on sent le respect, le sourire chez les gens qui n'ont pas un grand pied. Ici il n'y a pas les grands voyous, ni les cambriolages. On se sent serein, intégré et chez soi ». Il continue en me disant : « Je finirais ma vie au Maroc, je veux construire une maison près du Royal Golf car Marrakech, belle ville certes, mais offre aux gens un art de vivre simple, où le Marrakchi est heureux quand il voit l'étranger content». « Mon souhait », dit-il, c'est de monter des spectacles avec des acteurs marocains au théâtre Royal de Marrakech. Je ne connais pas votre actuel Souverain, mais de ce que je lis et je vois, il est extraordinaire provoquant cette ouverture merveilleuse de son pays, sa vision moderniste du Maroc, tout en gardant les traditions, est quelque chose de fabuleux. Ce qu'il vient de faire pour l'évolution de la femme marocaine est une décision digne des grands hommes ». Enfin, je demande à Jean qu'elle est la chose importante pour réussir: « Le travail cher Aziz, mais quand on n'a pas de chance, c'est autre chose. Il y a beaucoup de gens talentueux et performant au Maroc, je le vois, je les connais, il faut les aider à arriver pour une simple raison : ils ne seront que bénéfiques pour leur pays ». Brigitte et Jean, je ne peux vous dire que bonne chance à Marrakech et pour la « Bohême » et sachez tous les deux que vous êtes chez vous et que vous aurez comme moi, beaucoup d'amis ici à Marrakech.